Enserrée dans les trois mâchoires de fer du « monde occidental », de l’union européenne et du gouvernement austéritaire, la France s’étiole, s’enfonce dans la dépression sociale et morale. Que faire de notre désillusion quand la démocratie ne fonctionne plus? Les Argentins après avoir entendu le discours du président Fernando de la Rua le 1er décembre 2001 qui annonçait le gel des comptes bancaires étaient descendus avec leur batterie de cuisine.
C’est la question que John Holloway avait soulevée lors d’une conférence le 6 mars 2005[1] constatant que le PT de Lula, un réel parti ouvrier de gauche, deux ans après sa victoire électorale n’avait pas changé au fond la politique néolibérale du Brésil.
Même si nous ne nourrissions, à la suite de l’élection de M.Hollande, que peu d’espérance de voir une politique réellement de gauche être menée, c’est-à-dire une action pratique pour réduire les inégalités et permettre à tous de mieux vivre, nous ne nous attendions pas à subir une action aussi alignée sur la politique néolibérale. Au moins les doutes sont désormais levés.
Comme les forces de droite, le pouvoir de M.Hollande et ses séides pratiquent l’austérité couplée à l’autoritarisme c’est-à-dire une politique austéritaire (mot tenté par Mélenchon) dans une cascade de mépris envers un peuple harcelé, déboussolé. Je crains que la période austéritaire ne soit désormais dépassée et que nous soyons en plein milieu d’une étape cruelle et régressive : la restauration des notables et des méthodes policières. Nous sommes revenus, à bien des égards, à la SFIO de la guerre d’Algérie couplée à la première restauration des Bourbons, celle de 1814. La modernité de la « révolution néo-libérale » est celle de la restauration d’une société d’ordre, celle de l’héritage et de la hiérarchie « naturelle ». Après avoir détruit le PS d’Epinay, voilà que la « deuxième gauche » sape la gauche « morale », celle qu’elle revendiquait comme sa matrice.
Cette désillusion est de celles qui ne nous font grâce de rien. Le cœur de celle-là réside dans l’incroyable aggiornamento moral qui veut que toutes les décisions prises le soient au nom de l’inégalité naturelle habillée en nécessité et non plus au nom de l’égalité réelle vécue au quotidien, au nom de la dépendance de la nation et non plus de son indépendance, de l’égoïsme individualiste au lieu de la fraternité, de la nécessité au lieu de la liberté. Le cœur de la gauche est détruit, la république vacille.
Le noyau de l’appareil d’Etat durci par l’oligarchie devient une machine de guerre antisociale qui nous inscrit dans une périphérie du monde capitaliste repeint en monde occidental assiégé par une poignée de terroristes islamistes. Et il n’y aurait rien à faire ! La trahison des oligarques de gauche et des « progressistes » n’est pas propre à la France, il est vrai. De l’Allemagne au Brésil, du Royaume-Uni où elle fut habillée en théorie aux Etats-Unis, toute décision se transforme en un moment de cruauté pour le peuple, en un acte de foi dans la nécessaire inégalité « créatrice », génératrice de pauvreté et de violence, en un sauve-qui-peut vers le repli sur soi et la citadelle individualiste du cocooning…Ce qui prouve que ce ne serait pas seulement une question d’hommes de gauche qui trahissent mais aussi le fait des structures de domination, des dispositifs mis en place d’autant plus fermement que le système capitaliste est en grave crise de légitimité.
La démocratie représentative mise en scène par les médias des exploiteurs ne sert pas la République. Faut-il alors simplement changer la forme de celle-ci ou élire des partis qui sauront se défaire des prédateurs ? Faut-il inventer une VIe République et continuer à faire confiance au choix de nos représentants par l’élection parmi ceux présentés par des partis ? Faut-il encore accepter de déposer l’autorité dans l’Etat sachant qu’il est de nature oligarchique et seulement espérer vouloir contrebalancer sa tendance à servir les capitalistes par un pouvoir politique populaire réel ?
Comment avancer vers l’émancipation de chacun ? Peut-être faut-il au moins commencer par s’organiser en agent de souveraineté capable de lutter contre les agents de la domination sociale et politique que sont les medias de propagande, les politiques qui s’accrochent à leur fauteuil et n’osent mordre la main de leur maître, l’oligarchie financière, le gouvernement des « mâchoires serrées » et des clowns au nez rouge ?
Il ne suffit plus d’étudier l’art des usurpateurs à nous dépouiller pour notre bien, de notre condition de citoyen, ce que font les médias « critiques » avec succès, je crois. Au Chili, on sortait les casseroles pour faire du tintamarre parce qu’on ne pouvait manifester autrement au temps de la dictature. Que faut-il que nous inventions ?
[1] http://1libertaire.free.fr/JHolloway02.html