J’ai surtout été intéressé par les perspectives de travail qu’a tracées Alain Badiou pour les intellectuels attachés à l’émancipation. Mais puisque le thème du « péril de la civilisation judéo-chrétienne » (dixit Onfray) est ressassé jusqu’à l’écoeurement par les medias de masse et que le gouvernement en a fait son prisme de vision du monde pour aller bombarder ici ou là, je me permets de soumettre un passage du livre de Fernand Braudel « La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II » qu’on trouve dans le chapitre « Les civilisations » page 489 du tome 2 « Destins collectifs et mouvements d’ensemble », édition du livre de poche datée de 1990.
« Lucien Febvre s’est amusé à imaginer les étonnements d’Hérodote refaisant son périple, devant la flore qui nous semble caractéristique des pays de la Méditerranée : orangers, citronniers, mandariniers, importés d’Extrême-Orient par les Arabes ; cactus venus d’Amérique ; eucalyptus originaires d’Australie (…) ; le cyprès, ce persan ; la tomate peut-être une péruvienne ; le piment, ce guayannais ; le maïs, ce mexicain ; le riz, ce « bienfait des Arabes » ; le pêcher, ce « montagnard chinois devenu iranien » ou le haricot, ou la pomme de terre, ou le figuier de Barbarie, ou le tabac…La liste n’est ni complète ni close. Tout un chapitre serait à ouvrir sur les migrations du cotonnier, autochtone en Egypte et qui finit par en sortir pour voyager sur les mers. Une étude serait la bienvenue aussi, qui montrerait, au XVIe siècle l’arrivée du maïs, cet américain, dans lequel Ignacio de Asso, au XVIIIe siècle voulait voir, à tord, une plante à double origine, venue sans doute du Nouveau Monde, mais dès le XIIe siècle aussi des Indes orientales, et grâce aux Arabes. Le caféier est en Egypte dès 1550, le café, quant à lui est arrivé en Orient vers le milieu du XVe siècle : certaines tribus africaines en mangeaient les grains grillés (…). Quant au tabac, il arriva de Saint Domingue en Espagne et par le Portugal « l’exquise herbe nicotiane » gagna la France en 1559, peut-être même en 1556 avec Thevet. En 1561, Nicot envoyait de Lisbonne à Catherine de Médicis de la poudre de tabac pour combattre la migraine (…). La liste de ces petits faits peut s’allonger : le platane d’Asie Mineure (…), la laitue dite chez nous « romaine » fut rapportée en France par un voyageur qui s’appelait Rabelais ; et c’est Busbec, dont nous avons si souvent cité les lettres, qui ramena d’Andrinople les premiers lilas… »
Et il ajoute : « Une civilisation qui n’exporterait pas hommes, façons de penser ou de vivre est inimaginable. » et encore : « Pour une civilisation, vivre c’est à la fois être capable de donner, de recevoir, d’emprunter. » Je précise : pas de bombarder.
Notre civilisation, s’il fallait la nommer par ses traits principaux, est surtout latine et méditerranéenne comme son art de vivre, sa cuisine, ses paysages, « ses arts de faire » et même dans son histoire de défaire les vieilles lunes. La religion pour importante qu’elle ait pu être, compte pour du beurre aujourd’hui,. Elle n’a pas façonné notre civilisation d’ici et de maintenant plus que les emprunts aux autres civilisations, les voyages et les échanges, n’en déplaisent aux tenants de la « manif pour tous » et à une poignée « d’intellectuels » qui voit dans la religion le facteur essentiel des civilisations arabe et latine comme les appelait Fernand Braudel et non pas musulmane et judéo-chrétienne comme ils les nomment eux-mêmes. Pourquoi vouloir remettre de la distance là où elle existe de moins en moins ? Pour nier l’universalité en marche ? Pour lui battre les flancs et laisser la globalisation financière capitaliste sans contrepoids ? C’est un peu comme faire un barrage contre le Pacifique.