Apprenons à traduire le lexique néo-libéral pour éviter cette funeste prédiction de la domination sans quartier des chaussures à clous de nos maîtres. A tout un chacun d’apporter sa pierre à cette opération de désintoxication déjà engagée par des réseaux d’éducation populaire comme le réseau grenaille ou l’ardeur.
Il faut faire comme le journal Le Monde dans son édition du 17-18 mai dernier qui se moquait du jargon du « pédagogisme » des textes officiels en proposant une traduction raisonnable de « milieu aquatique standardisé » par piscine, « outil scripteur » par crayon, « activité duelle de débat médiée par un volant » par badmington. On pourrait ajouter le célèbre « référentiel bondissant » pour le ballon.
Bien entendu le journal de « référence » s’est bien gardé de pousser plus avant cette louable dénonciation du langage des experts notamment économiques. Pourtant toujours dans le lexique de l’éducation, il y a l’oxymore « égalité des chances » pour « inégalité » mais aussi « démocratisation de la culture » pour culture populaire. La chance est toujours inégale sinon le Loto, ruiné, n’existerait plus. « Démocratiser » la culture dominante est l’exemple de la passion néolibérale pour l’inégalité. Apporter du « pain » et des « jeux » aux masses ignorantes…
La bienséance néolibérale de la télévision veut qu’on ne dise pas à quelqu’un « menteur ! » mais « vous énoncez une contre-vérité ! ».
Comme le dit Franck Lepage : « en quelques décennies a disparu la possibilité de nommer négativement le capitalisme. Et sans mots négatifs vous ne pouvez plus penser la contradiction ». L’idéologie dominante règne alors sans partage. On ne dit plus « employés » mais « collaborateurs » dans les manuels de management selon Boltanski et le mot « hiérarchie » a été remplacé par celui de « partenariat ». C’est tellement plus apaisé ! Mais vous rencontrez aussi « capacité de s’adapter à une situation de changement » pour exploitation, « avoir des compétences » à la place d’une qualification, un « emploi » à la place d’un métier, un « à la recherche d’un emploi » à la place du mot chômeur trop anxiogène.
Dans le texte de la loi Macron, selon Martine Bulard (Monde diplomatique d’avril 2015) on trouve des perles du parler néo-libéral. On ne dit plus privatiser mais « opération sur le capital des sociétés à participation publique » ou que « l’Etat devrait revisiter son périmètre ». Le profit devient le « ratio endettement/marge opérationnelle » tellement plus clair pour le citoyen qui s’aviserait de fourrer son nez là-dedans.
Les mots aussi ont une histoire et un retentissement émotionnel. Gommer le lexique de la contestation de la domination et faire en sorte que le système capitaliste et son cortège de mots devenus positifs comme « compétitivité », « concurrence », « emploi », « manager », « projet », c’est changer les codes fondamentaux de « l’ordre muet de notre culture » (Michel Foucault) et préparer des changements encore plus fondamentaux. Après avoir mis l’Etat à leur service et les « partis de gouvernement », voilà que nos maîtres le font du vocabulaire de l’émancipation, un bien commun par nature. C’est le « progrès » et la « modernité » de la novlangue d’aujourd’hui qu’on pourrait traduire par domination si ce n’est pas trop fort, bien évidemment.