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Sur le "vote utile" et la pression des médias pour que Mélenchon dise qu'il votera Macron au 2e tour au lieu de s'abstenir ou voter blanc.
On sait pourquoi cela est si important pour les soutiens de Macron qui exercent déjà le pouvoir, faut-il le rappeler,et qui veulent non seulement le conserver mais approfondir la domination, se saisir de notre pouvoir de faire et de ne pas faire. Et cela commence maintenant et ici.
Le pouvoir de faire
Melenchon l'a expliqué en raison. Les votes pour Macron furent, au premier tour, pour l'essentiel des votes par défaut et non des votes d'adhésion à un quelconque projet qu'il aurait dû définir. On saisit pourquoi. Par contre les votes pour la FI sont des votes d'adhésion à un projet d'avenir.Et ceci est adéquat et consistant avec le fait que le projet de la FI a été soutenu par des jeunes: 30% des 18-25 ans, le meilleur score.
D'ailleurs au 2e tour de cette élection, il y a deux candidats de même type de ce point de vue. Ce qui est très préoccupant car ils rassemblent un composé hétéroclite de soutiens qui finalement ne pourront gouverner que par des " coups" à destination de l'une puis de l'autre catégorie, un menu de mesures pour briser les regroupements, pensent-ils. Cela ne promet rien de bon car ce qui va souffrir c'est surtout notre capacité de résister.
L'excédence de pouvoir que produit toujours les humains en groupes, est le plus qu'ont les individus qui partagent une vision commune. L'interaction fournit toujours plus que la somme des parties. C'est nous séparer de cette puissance qui est l'opération principale du pouvoir qu'exerce déjà Macron et ses créateurs et créanciers.
Le pouvoir de ne pas faire depuis au moins Aristote
Mais il est un autre pouvoir que nous avons qui est celui qui réside dans ce que nous pouvons ne pas faire. Nous pouvons ne pas vouloir obtempérer à l'injonction de " voter utile" en faveur de la promotion de l'adversaire le plus résolu de l'exercice de notre puissance.
Giorgio Agamben dans Nudités Rivage poche p. 65 reprend la théorie de la puissance développée par Aristote dans "Métaphysique".
" C'est sur cette autre et plus obscure face de la puissance que préfère agir aujourd'hui ce pouvoir qui se définit ironiquement comme " démocratique". Il sépare les hommes non pas tant de ce qu'ils peuvent faire mais avant tout de ce qu'ils peuvent ne pas faire." Comme c'est le cas à propos du travail. Nous ne pouvons pas continuer à accepter tous les petits boulots au nom de la flexibilité, la première qualité que le marché du travail exige de nous.
" Celui qui est séparé de ce qu'il peut faire peut néanmoins résister encore, peut encore ne pas faire. Celui qui est séparé de sa propre impuissance perd au contraire toute capacité de résister."
..." Seule la vision lucide de ce que nous ne pouvons ou pouvons ne pas faire peut donner consistance à notre action".
Nous refusons de devenir après l'homme de marché, le citoyen de marché, le véritable esclave selon Spinoza, celui qui a abdiqué toute puissance, toute humanité, Une citadelle parmi les citadelles, isolé, une monade, la collection des " individualités jalouses" en lutte les unes avec les autres, prêtes à mourir pour défendre leur " identité personnelle", sacs de peau jaloux de la particularité de son caractère et de son carré de pelouse.Il n'y a plus alors de soi qu'en Dieu.
Ce n'est pas l'individualité dont le sacrifice donnerait un sens à la liberté, ajoute Caillois, mais c'est la pensée qui pense l'individu en vérité. Etre libre c'est lucidement et clairement penser le monde. Rien de plus et rien de moins.
" L'esclave pour Spinoza n'est pas tant celui qui obéit à autrui que celui qui obéit dans l'intérêt exclusif d'autrui c'est-à- dire qu'il est inutile à lui-même" ( Roland Caillois dans Spinoza, oeuvres complètes, La Pléiade). On aura alors l'État dans lequel chacun subira "une lente et monstrueuse biologie où chacun est réduit à la puissance ou plutôt à l'impuissance de son corps et cherche désespérément à vivre ou plutot à survivre".
Mais il est encore possible d'utiliser positivement et résolument le pouvoir de ne pas faire comme celui de notre capacité à faire.
Le pouvoir en commun, c'est la démocratie en actes
Il faut nous inscrire dans une histoire plus longue que celle qu'on nous propose, celle de l'immédiat basée sur la seule mémoire et se redire que les situations peuvent changer très rapidement pourvu qu'on saisisse bien les enjeux des situations. Aujourd'hui, les forces au pouvoir et leur politique ordo-libérales sont contestées comme jamais elles l'ont été depuis 40 ans même si c'est sous des formes différentes. Ce refus ne donne pas lieu encore à des avancées positives mais des bases ont été posées sur lesquelles on peut construire.
Ce qui sature tout le champ du possible, selon les mediacrates, ce serait le charisme de notre candidat, comme l'avait déclaré un réactionnaire sur une chaîne de télé avant les sondages à 20% " ce Mélenchon est épatant !" Mais ils se rendent compte désormais que ce qu'ils croyaient être un mouvement ectoplasmique a une cohérence redoutable, des pratiques horizontales, des regroupements ciblés, un contenu d'actes structurés par des propositions d'un programme portée par une grande énergie. L'élection n'est qu'un des champs d'action, d'autres sont déjà investis: la convergence internationale, la communication, l'éducation...
La surprise est produite par leur anciennes structures de pensée basée sur la hiérarchie selon Augustin qui nous assigne à une place dans le monde selon notre degré de "pureté" supposée et la soumission qui en découle. Vision que Macron dans son " mouvement" porte au summum : autour du personnage christique qu'est Macron, s'agitent des experts auto-désignés qui depuis au moins Rocard au pouvoir (1989 quand même) sondent et resondent pour savoir où faire les piqûres sur le "corps social" martyrisé et en dessous il y a la plèbe qui agite des drapeaux.
Alors? Et bien, je propose:
Maurice Kriegel-Valrimond, le héros de François Ruffin et de bien d'autres. "Ils nous ont dit: vous êtes fous!.Entretien avec mon héros." Fakir édition, 2013,Amiens.
P.86 "Si j'avais trente ans aujourd'hui , je ne laisserai pas un jour passer sans établir des contacts avec des gens qui pensent comme moi pour constituer quelque chose qui débouche sur une possibilité réelle de rassemblement majoritaire. Je chercherais tout le temps, tous les jours de mon existence à participer à cet effort-là. À rassembler tout ce qui va dans le sens d'une possibilité d'intervention sur le double plan du mouvement social et de la force politique. "
Maurice Kriegel-Valmirond est décédé en 2006 à 92 ans. Il fut non seulement un des premiers résistant à l'occupation nazie et au régime de Vichy mais aussi un de ceux qui, comme dirigeant des FFI a conduit l'insurrection populaire qui libéra Paris sans pour autant que l'armée des Etats -Unis puisse organiser la France selon ses propres intérêts, celui qui fonda la sécurité sociale, qui s'opposa à la ligne stalinienne du PCF et en fut exclu en 1961.