Je n'ai jamais fait de la présidentielle une priorité. On nous présente cette élection, depuis des lustres, comme le sommet de la vie démocratique française alors qu'elle en est son enterrement de première classe. Je pense que la démocratie c'est dans les quartiers, les villages, les villes qu'elle doit commencer de vivre, avec et par les citoyens. Le pouvoir n' a pas de sens. Et ce pouvoir-là, qui consiste à frayer pour sa petite personne un chemin jusqu' au poste suprême à grands coups de mensonges, de mépris, d' abaissements divers et d'égoisme relevant plus assurément d'un carrièrisme d'entreprise que de la quête d'un bien commun est, en plus, ridicule.
"Ils ont voté et puis après" chantait Léo Ferré. Hé bien nous y sommes : ils ont voté... et puis après... et bien après : les mêmes lobbies, les mêmes décideurs, les mêmes intérêts particuliers, la même oligarchie, la même volonté d'agir d'abord pour soi et non pas pour l'ensemble- ce qui fait sans doute la différence entre un vote de droite et un vote de gauche-. Des enfants, nombreux, vont encore passer à côté de l'école ; des femmes, nombreuses, vont encore subir les salaires au rabais, les temps partiels imposés, la nourriture mendiée aux restos du coeur ou les couches-culottes au travail puisqu'ils ont même mis la pause-pipi au plan social ; des hommes, nombreux, vont encore continuer de maudire leurs quotidiens et l' humiliation à n' être rien aux yeux de ceux qui les dirigent dans un mépris affiché de leur condition de sous-humanité ; et puis des anonymes, trop nombreux, vieux, jeunes, enfants, vont continuer de mourir dans la rue les hivers prochains dans l'indifférence généralisée.
Ouai, on a voté et puis après... les financiers, les patrons, les clubs d'obédiences diverses mais à la pensée unique, les médias des milliardaires, les cercles autorisés et les editorialistes pattentés vont continuer, eux moins nombreux, à diffuser au bon peuple le message qu' il n'a le cerveau de comprendre que le vote d'une télé-réalité. Tout ça pour finir par se demander si il faut vraiment continuer de laisser voter les idiots.
On devrait faire du "Discours de la servitude volontaire" de La Boétie une sorte de livre de chevet du lycéen et de l'étudiant et quelles que soient les filières.
On ne guérit pas de la vie, c'est évident. Mais elle est déjà tellement et suffisamment injuste qu'on devrait commencer de cesser d'en rajouter.
On est entré, parait-il, dans une inconnue climatique ; la planète est traversée de conflits et de massacres où le pouvoir le dispute au profit avec toujours les mêmes intermédiaires religieux ou militaro-industriels ; chaque minute, en Afrique, un enfant meurt parce que l'eau qu'il a bu est contaminée ; le père Ubu est roi du monde ; les urgences sont partout : sociales, environnementales, sanitaires et tellement vitales qu'il semble que nous n'ayons plus beaucoup de temps à perdre. Mais eux, ils s'en foutent, et veulent toujours plus nous intéresser de force à leur monopoly électoral dont ils ont par avance confisqué la rue de la paix et où ils se sont déjà partagé les palaces.
Je ne suis qu'un infirmier de 10ème zone et je ne sais combien de personnes sont passées entre mes mains depuis que j'exerce. Je pense qu'il y en a eu des centaines et des centaines -peut-être plus, je ne saurais le dire- de beaucoup d'origines et de beaucoup de cultures différentes. Et si je sais aujourd'hui que nous sommes incroyablement riches de nos différences, nous sommes aussi totalement identiques dans nos aspirations à exister. Peut-être faudrait-il partir de là.
Au deuxième tour, je n'irai pas voter. Je préfère laisser la droite se dépatouiller avec elle-même et je n'accepterai aucune morale. Les socio-démocrates de la rue de Solférino et leurs combines à la gomme ont habillé Jean-Luc Mélenchon des mêmes habits trafficotés que leurs homologues américains avaient offert à Bernie Sanders et s'apprêtent maintenant, aux législatives, à envoyer Les Verts au charbon (ça c'est un comble ) face aux candidats de Macron, histoire sans doute, avec la lâcheté et la veulerie qui les caractérisent depuis cinq ans, de ne pas affronter la liquéfaction de leur idéal politique.
Non je n'irai pas voter au deuxième tour. Mais ça ne m'empêchera pas de continuer à rêver. Après tout, je crois que si on ne rêve pas au mieux, on finit par apporter une pierre de plus à l'édifice du pire.