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Billet de blog 21 décembre 2021

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Lettre ouverte à Philippe Martinez et Laurent Berger

La Gauche politique étant incapable de proposer une alternative crédible et unitaire à la politique actuelle, le débat a lieu sur une scène hors sol, scindée des inquiétudes et angoisses populaires, mais aussi des propositions des syndicats et associations. Et il n'y a que vous qui puissiez remanier la donne. Lettre ouverte de P. Toussenel et X.-F. Renou.

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20 décembre 2021

     Cher Laurent Berger, cher Philippe Martinez,

     C'est vous, et vous seuls désormais, qui pouvez peser pour que l'avenir du pays ne soit pas livré, pour cinq ans au moins, aux seules puissances financières, voire à à l'Extrême Droite.

     La Gauche politique est menacée de pure et simple disparition. Et elle l'a bien cherché, en étant incapable de proposer une alternative crédible et unitaire à la politique qu'imposent les forces sociales et économiques dominantes. Mais cette éventuelle disparition engage bien plus que les Partis politiques concernés. Car ceux-ci peuvent à la rigueur estimer qu'au-delà du gouffre de 2022, ils auront au moins cinq ans pour réfléchir sur leurs responsabilités et pour s'efforcer de remonter au grand jour, tandis que les classes populaires qu'ils sont censés représenter sont, elles, prises à la gorge aussi bien par l'urgence sociale et économique que par l'urgence climatique. Elles ne peuvent donc, elles, se donner le luxe d'une cure de réflexion et de réorganisation durant les cinq années qui viennent ; car elles savent que tout semble les condamner à devoir choisir soit entre une Extrême Droite qui monte en puissance et un président-candidat qui ne se fera passer pour le rempart contre le danger fasciste que pour continuer, voire amplifier sa politique néolibérale. À moins que, deuxième choix qui ne vaut guère mieux que le premier, il faille choisir entre ce président-candidat et la candidate d'une Droite de plus en plus extrême, c'est-à-dire de plus en plus crispée aussi bien sur l'austérité qu'elle veut imposer pour, dit-elle, « sauver les finances publiques », que sur la sécurité telle qu'elle la conçoit, c'est-à-dire avec une magistrature d'inspiration policière et un « contrôle des flux migratoires » de plus en plus proche d'un franc reniement du principe de la France terre d'asile. Car, disent les ténors de la Droite, et ils n'ont malheureusement pas forcément tort aujourd'hui, « l'élection présidentielle de 2022 se gagnera à Droite ». Une fois de plus, donc, le débat supposé démocratique a lieu sur une scène hors sol, scindée des inquiétudes et angoisses populaires, mais aussi bien des propositions, pourtant nombreuses, des organisations représentatives des forces populaires. Or il n'y a que vous qui puissiez complètement remanier la donne et permettre aux forces populaires, syndicales et associatives de se faire entendre, car, outre votre autorité morale respective auprès de vos homologues dirigeants des grandes forces syndicales, vous disposez, chacun de votre côté , de rapports de confiance et d'expériences d'action commune avec un grand nombre d'associations, l'ensemble de vos deux réseaux de confiance représentant au moins une soixantaine d'associations. Les forces syndicales et associatives constituent donc une immense réserve de connaissance des réalités, d'expérience des luttes, de propositions concrètes et de générosité.

     Le scandale moral et politique est que cette immense réserve reste pour l'instant interdite de parole ou, ce qui revient au même, réduite à l'état de « masses » qu'au mieux on écoute parfois, mais pour ensuite leur apporter des solutions supposées clés en mains qu'on les imagine incapables de concevoir par elles-mêmes. C'est ce monde à l'envers qu'il faut remettre sur ses pieds, dans un véritable TREMBLEMENT DE TERRE ÉCONOMIQUE, SOCIAL, ET POLITIQUE.

     Plus précisément, après des mois de pitoyables querelles d'egos plus ou moins bien cachés par des masques idéologiques, quelque chose bouge un peu autour de l'idée d'une « primaire populaire » à laquelle se déclarent prêtes à participer déjà près de 30000 personnes.
On ne peut que se réjouir de cette aspiration à l'unité. Mais celle-ci ne suffit évidemment pas. Car de deux choses l'une. Ou bien tel(le) ou tel(le)s « candidats et candidat(e)s professionnel(le)s de la candidature », bien que déjà invalidé(e), parvient à faire le coucou dans le nid de cette aspiration unitaire, et cette primaire, aussi populaire qu'elle se veuille, ne sera qu'un épisode triste de plus. Ou bien émergera une personnalité réellement apte à susciter un début de confiance populaire. Mais dans les deux cas, le tremblement de terre économique social et politique que nous venons d'évoquer est indispensable. Dans le premier cas en effet l'unité syndicale et associative que vous auriez réussi à susciter, constituerait un recours contre le désespoir absolu : elle rendrait possible que l'après élection soit non plus une période tragique mais dramatique seulement, sans désespoir. Dans le deuxième cas le candidat ou ou la candidate qui aurait réussi, in extremis, à devenir crédible dans les milieux populaires, ne pourrait ni vaincre, ni, surtout, exercer le pouvoir sans obtenir, par des concertations et des négociations pré- et, davantage encore, post-électorales, un soutien critique, exigeant, vigilant, des forces syndicales et associatives dotées de leur propre corps d'analyses et de propositions. Allende est tombé peu de temps après avoir élargi, sur le plan politique sa base électorale, . Et cela parce que manquaient, dans la société civile les médiations qui auraient permis d'anticiper les difficultés et contradictions et, plus précisément, éviter que l'espoir qu'avait fait naître l'élection d'un président se revendiquant de l'unité populaire soit suivie d'une prise en tenaille de celui-ci entre la haine affichée de ses ennemis des classes dominantes et la méfiance ou l'agressivité sourde de déçus des classes populaires. Dans le sens inverse, tout Français ne le sait que trop bien, l'espoir immense qu'a suscité l'élection de François Mitterrand en 1981, tout comme le léger regain d'espoir qu'a donné élection de François Hollande en 2012 ont été suivis d'une telle déception que les blessures sont encore à vif. De sorte que pour toute conscience politique dotée d'un minimum de mémoire, les choses sont claires : si les organisations de la société civile , syndicats et associations, ne parviennent pas à trouver des formes d'alliance, de discussion et de propositions pérennes qui les rendent aptes à entrer en dialogue d'égal à égal avec les forces politiques, quelles qu'elles soient, la politique n'a pas vraiment de substance, ni de capacité à introduire des améliorations elles-mêmes pérennes. Il n'y a que vous deux, qui, aujourd'hui, avant l'emballement définitif désormais imminent, de la campagne électorale, puissiez donner du poids aux voix unies des forces du monde du travail et des forces vives, multiples, dans le pays ; que vous deux qui puissiez du même coup proposer un contenu solide, puissant, attractif, au désir d'espoir que représente la mobilisation pour une primaire populaire. Faute de quoi cet espoir restera du domaine affectif et impuissant face aux querelles d'egos. Cette responsabilité peut vous paraître trop lourde. Et il est bien vrai qu'elle est TRÈS lourde. Mais vous ne seriez pas les premiers qui, prenant sans crainte une responsabilité et un risque non prévus, se trouvent haussés, à leurs propres yeux même, au-dessus de ce qu'ils croyaient être leurs limites. Plus important : cette responsabilité peut vous déstabiliser parce qu'elle vous astreint à sortir de votre « zone de confort », bien que, pour vous deux, ce « confort » soit déjà fort relatif là où vous êtes. Bien sûr il y a entre vos confédérations une concurrence inévitable ; il y a aussi de lourds contentieux ou de lourdes méfiances issus de l'histoire du mouvement ouvrier. Nous avons eu nous-mêmes, là où nous étions dans l'engagement syndical, une connaissance de l'intérieur de ces méfiances et de ces contentieux ; et nous savons combien il serait illusoire de croire en tourner la page d'une manière velléitaire. Mais nous savons aussi, par expérience, que lorsque la volonté d'unité est là, les choses peuvent bouger, d'abord à la marge, puis, peu à peu, au centre des coopérations.

     Nul ne peut ignorer l'angoisse politique dans laquelle se trouvent aujourd'hui toutes les consciences citoyennes. Mais face à la menace du pire, nous savons que se regrouper à la hâte CONTRE cette menace, c'est déjà se déterminer par rapport à elle seulement. Les victoires ne sont possibles que dans des combats POUR. Et vous représentez tous deux, directement et indirectement, des forces qui se battent POUR des changements positifs. De sorte que, vous pouvez en être sûrs, un pacte entre vous, ou même des pas vers un pacte entre vous auraient, auront une résonance immense qui bouleversera le paysage. C'est pour contribuer autant que nous le pouvons à ces premiers pas vers un pacte entre vous que nous vous soumettons le projet de Déclaration unitaire accessible par l'hyperlien ci-dessous :

Projet de déclaration unitaire

     Il va de soi que ce texte n'est pas à prendre ou à laisser : nous n'avons pas, nous, d'egos à la recherche de consécration médiatique. Nous ne visons qu'à vous préparer un peu le travail, à vous, et à tous vos camarades et homologues qui, peut-être sans l'avoir ni prévu ni souhaité, vous trouvez en un lieu déterminant de la conjoncture actuelle. Vous pouvez, sinon changer le monde à vous seuls, du moins, et c'est déjà considérable, bouleverser les conditions de la campagne électorale pour l'échéance désormais si proche. Faites-le, s'il vous plaît ; et du risque que vous prendrez à le faire, vous retirerez, nous en sommes certains, un gain tellement immense qu'il vous surprendra.

     Recevez nos encouragements et nos sentiments amicaux,

                                                                                           Pierre Toussenel (1), Xavier-F. Renou (2)

(1) Longtemps secrétaire général adjoint du SNES ; et un des fondateurs, en 1993, de la FSU.

(2) Longtemps militant du SNES ; et initiateur , en 1998, du Manifeste Pour un lycée démocratique, dans la lutte contre la politique scolaire de Claude Allègre.

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