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Parmi ces idées, son indignation retweetée devant la toile de Miriam Cahn, Fuck Abstraction ! qui selon lui fait l’apologie de la pédophilie et qu’il voudrait voir, comme d’autres, censurée, refoulée loin de sa vue et de celle de tout le monde. Je souhaite répondre à ces censeurs en reprenant certaines idées des intervenants ayant débattu sous ce texte.
Fuck Abstraction !
Le tableau de Cahn ne laisse effectivement pas indifférent, sans toutefois être le témoignage d’un grand talent artistique. Je laisse ça au goût de chacun. C’est une oeuvre figurative que personnellement je rapprocherais du courant expressionniste.
Les couleurs dominantes sont le rouge, le noir et le vert, comme si les personnages étaient éclairés par une lumière écarlate, le tout dans les mêmes tons que peut avoir une viande avariée : on y voit un homme nu et musculeux, debout, qui maintient face à son sexe la tête d’un être fluet à genoux, les mains ligotées dans le dos et faisant à l’homme une fellation. On distingue aussi une autre personne assise par terre entre l’homme et sa victime. La tête de cette personne est aussi maintenue par l’autre main de l’homme qui semble la forcer à regarder l’acte sexuel. Cette personne paraît plus adulte ou plus âgée que l’être fluet. Ce pourrait être une femme.
L’être fluet a tous les attributs d’un jeune garçon entre 7 et 10 ans.
Je ne reviendrai pas sur les explications ou les justifications de l’artiste. Ce qui importe, c’est d’abord l’interprétation qu’on en fait et qui est le but de toute oeuvre d’art : ici, pratiquement tout le monde voit la représentation d’un acte pédocriminel.
Mais est-ce une apologie de la pédophilie ? Est-ce une incitation à l’acte pédophile ?
Le style, les couleurs, la violence de l’acte représenté indiquent clairement que non. Vraisemblablement, l’oeuvre dénonce plutôt quelque chose et lorsqu’on s’intéresse au parcours de l’artiste et à l’ensemble de son oeuvre, on devine qu’il s’agit probablement du patriarcat.
En tout cas, si elle voulait donner de la pédophilie une image positive, elle s’y prendrait autrement.
La loi
Elle pose à l’art des limites à ne pas dépasser : entre autres choses, pas d’incitation à la haine, pas de diffamation, pas de négationnisme, pas de pédopornographie.
Sur ce dernier point qui nous éclairera peut-être, que dit la loi ?
Il s’agit de «tout matériel pornographique représentant de manière visuelle un enfant réel participant à un comportement sexuellement explicite ou s’y livrant, y compris l’exhibition lascive des parties génitales ou de la région pubienne d’un enfant, ou une personne réelle qui paraît être un enfant participant ou se livrant au comportement visé au point [précédent], ou des images réalistes d’un enfant qui n’existe pas participant ou se livrant au comportement visé au point [précédent].»
Le tableau de Cahn pourrait être concerné par le troisième cas, en tant qu’image «réaliste». Mais ce n’est clairement pas le cas.
La justice vient de donner raison à l’artiste et a débouté les censeurs.
Les censeurs
Le texte de Claude Janvier est tout à fait le genre de laïus prescriptif que je n’aime pas. L’auteur s’y pose en parangon de vertu, se vêt d’une supériorité morale par laquelle il s’investit de la mission de guider les masses imbéciles qui ne savent pas ce qui est bien pour elles ni ce qui est mauvais non plus. Il emploie les habituels poncifs de la droite sans savoir vraiment les définir, à l’instar de la bien-pensance dont il accuse la gauche mais dans laquelle il patauge pourtant jusqu’aux mollets.
Lorsqu’on le contredit ou le critique, il dénonce une grossièreté quand ce n’est que l’usage d’une langue un peu verte que n’aurait pourtant reniée un monument du franc-parler à la française, j’ai nommé mon bien-aimé Frédéric Dard (oups!), mais insinue chez son contradicteur une complaisance pour la pédophilie. Et oui, que cela plaise ou non à ceux qui se croient libres de les proférer avec une fausse naïveté, poser des questions du genre « la pédophilie n’est-elle pas un crime à vos yeux ? » est une méthode peu reluisante. La formulation est importante ici car elle connote ce que l’on pense. Si on accorde ne serait-ce qu’une seconde de l’humanité à une personne, même en désaccord avec nous, on suppose que comme la très vaste majorité, cette personne partage avec nous des positions de sévérité contre ces actes.
Je défends ici chaque mot des arguments de l’intervenant qui se reconnaîtra et qu’il m’excuse pour ce plagiat que je crois nécessaire :
Lorsqu’il parle de Gabriel Matzneff, ce n’est pas pour faire le banal lien entre l’oeuvre et l’homme ou comment les séparer ou non, mais pour illustrer le fonctionnement de la justice : Matzneff n’a pas été condamné pour ses écrits mais pour ses actes.
Lorsqu’il parle de montrer le tableau de Cahn à ses enfants et d’en discuter avec eux, il ne formule pas une recommandation générale et à aucun moment il ne mentionne l’âge auquel il considère qu’il peut le faire.
Lorsqu’il décrit les idées de Claude Janvier comme similaires à celles des tueurs de Charlie Hebdo ou de Samuel Paty, il ne dit pas à un seul instant qu’il le croit capable de commettre un acte similaire. Ça, c’est une conclusion abusive faite par simplisme et par ignorance des ellipses. Non, l’idée qui a grandi dans l’esprit de ces assassins est à l’état de graine chez Janvier et son texte a le potentiel d’être le terreau idéal pour un esprit fragile.
Détester ce tableau, c’est un droit. Je ne trouve moi-même à cette oeuvre aucune autre qualité que de provoquer le débat. Vouloir le faire disparaître, c’est une autre affaire. Mais Claude Janvier cache mal ses vrais motifs dans les absurdes contorsions de son raisonnement.
Il croit fermement que la pédophilie est une « propagande », voyez-vous. Il souhaite donc que cette « propagande » soit bannie du paysage artistique français. Qu’on n’en parle plus nulle part. Ainsi, croit-il, les crimes pédophiles disparaîtront d’eux-mêmes, comme par enchantement. On devrait aussi essayer avec le meurtre. Et pourquoi pas avec Macron ? Ça doit être ça, la pensée magique.
Oui, brûlons les livres de Nabokov ! Effaçons la musique de Gainsbourg, surtout Mélody Nelson ! Purgeons les films qui ont eu l’audace de parler de pédophilie, et ils sont nombreux… Ainsi, tout deviendra plus propre et supportable pour lui…
Je ne reviendrai pas sur les contradictions qui parcourent son texte, mais j’en pointerai une autre, moins évidente et que je découvre : la controverse sur le tableau de Cahn a été initiée par Karl Zéro dont le nouveau cheval de bataille est la lutte contre la pédocriminalité qu’il voit comme un complot généralisé. Je ne me suis jamais intéressé à la question que de loin et je ne parviens pas à savoir si l’homme et son combat bénéficient réellement à la cause qu’il défend… Pourtant n’est-il pas contradictoire de réclamer le décrochage d’une oeuvre qui, contrairement à ce que clament Janvier et Zéro, n’est pas une éloge ou une incitation quelconque à la pédophilie et dans le même temps de condamner la mise au placard d’une cinéaste qui a enfin parlé de pédophilie dans un film ?… En résumé, Zéro veut tout et son contraire. Janvier, qui lui voudrait interdire carrément ce type de films, n’a absolument pas remarqué ce paradoxe… Je me demande quel aspect du tableau, entre pédo et porno, gêne le plus les censeurs…
Maintenant et pour conclure, quelles sont en réalité les motivations de Claude Janvier derrière son texte ? Certains indices sont très faciles à entrevoir et poignent déjà à quelques endroits de son discours, d’autres brillent par leur absence :
Si la pédocriminalité est un tel danger selon lui qu’il faille absolument en avertir la population, comment se fait-il que dans son sermon, il n’ait pas un mot pour la pédophilie au sein de l’église catholique ? Cette vraie pédophilie qui a détruit des dizaines, des centaines de jeunes. Pourquoi n’appelle-t-il pas les parents à éloigner leurs enfants de ces lieux de culte en lieu et place des musées et des galeries d’art ? Pourquoi s’acharne-t-il au lieu de cela sur une simple peinture d’une artiste que peu connaissaient et qui grâce à des gens comme lui et Zéro vendra certainement très cher sa croûte ?
La réponse est évidente : parce que cela desservirait son agenda qui est de tout foutre sur le dos de la gauche qu’il veut exclusivement associer à tous les vices et rendre responsable de tous les vices. Donc sur un site de gauche qui publie ce texte, ça méritait bien une réponse.
(*) Le temps du changement est venu ! par Claude Janvier