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Billet de blog 5 mai 2025

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Tim FRIEDE du venin à l'unité : l'individuation de l'humanité

Tim Friede est un homme ordinaire qui s'est livré à une expérience extraordinaire : pendant plus de vingt ans, il s'est injecté, à doses progressives, le venin des serpents les plus dangereux de la planète. Non pas pour se détruire, mais pour s'immuniser. De cette démarche, on peut voir une métaphore puissante de notre condition humaine...

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De cette démarche, on peut retenir l'exploit biologique. Mais on peut aussi y voir une métaphore puissante de notre condition humaine : exposer le corps au poison pour qu'il développe ses propres anticorps, c'est en quelque sorte descendre dans ses ombres pour en extraire la lumière. Et c'est bien ce que semble pointer l'humanité aujourd'hui, en projetant la lumière sur ses dérives : pédophilie, prédation sexuelle, avidité économique, etc.

Tim Friede : Huffpost

C'est exactement le chemin que propose Carl Gustav Jung avec le processus d'individuation. Ce processus psychique, largement inconscient, invite l'être à faire face à ses ombres, à ses peurs, à ses blessures, non pour s'y complaire, mais pour s'y reconnaître pleinement. L'individuation est un retour à l'Unité, à l'Un, une réconciliation des opposés intérieurs, une traversée de la division pour accéder à la complétude.

Dans ce contexte, l'expérience de Tim Friede peut être lue comme une parabole de l'éveil : celui d'une humanité qui, pour survivre à ses propres poisons (peur, haine, rejet), doit s'y confronter, les absorber, les transmuter.

Dans la tradition yogique, la kundalini est une énergie spirituelle, dormante à la base de la colonne vertébrale, symbolisée par un serpent enroulé. Lorsque cette force s'éveille, elle remonte les centres d'énergie (chakras), provoquant transformation, éveil, union de l'être avec le divin.

Le serpent de Friede, porteur de mort à l'origine, devient, comme la kundalini, un vecteur de renaissance. Il est l'épreuve initiatique, la descente aux enfers nécessaire pour toute résurrection. À l'échelle de l'humanité, ce serpent symbolise ce que nous devons affronter en nous : nos instincts refoulés, nos violences héréditaires, nos rejets de l'autre.

Jung décrit l'individuation comme une nécessité vitale, mais rarement volontaire. L'âme humaine est appelée, souvent par la souffrance, à explorer son inconscient, à rencontrer ses archétypes, ses complexes, ses blessures. Ce voyage n'est pas une errance, mais une quête de vérité : apprendre à connaître ses limites, pour les transformer en points d'appui.

L'humanité, à son tour, semble entrer dans cette phase de descente. Les crises globales (climat, polarisation, solitude, nihilisme) agissent comme autant de venins injectés dans le corps social. Ce venin peut tuer, ou guérir, selon la conscience que nous y apportons. Jung nous invite à accepter ce désir de totalité, même dans la confrontation à ce que nous détestons voir. Ce n'est pas se vautrer dans la noirceur, mais reconnaître : "Rien de ce qui est humain ne m'est étranger" (Térence).

Mais cette reconnaissance ne saurait s'arrêter à l'individu. Elle doit s'étendre à notre regard sur les autres, même sur ceux dont les idées nous effraient ou nous choquent. Il est facile d'aimer l'alter ego, le semblable. Plus difficile est d'accepter l'altérité radicale, celle de l'adversaire idéologique, de l'hésitant, du réactionnaire. Pourtant, dans une démarche d'individuation collective, il nous faut aussi comprendre les peurs qui nourrissent le repli, les tensions qui alimentent les votes extrêmes. Même ce que nous considérons comme les pires horreurs de l'histoire — fascisme, nazisme, totalitarisme — sont nés de blessures humaines, de ressentiments, de frustrations, de besoins non reconnus. Cela n'excuse rien, mais cela oblige à regarder en face les failles qui rendent ces dérives possibles.

Accepter notre dualité, c'est ne pas se contenter d'opposer progrès social et conservatisme, mais comprendre que toute société est traversée de ces deux forces. Le désir de changement et la peur de perdre, l'élan vers l'autre et le besoin de se protéger, coexistent en chaque être. Même au sein du Rassemblement National, de la droite conservatrice, ou de ceux qui s'y rallient, il y a des individus, souvent blessés, qui cherchent une forme de réponse à un mal-être. Les exclure du champ du dialogue, c'est refuser de voir ce qui en nous-mêmes peut encore rejeter, mépriser, dominer. Ce que nous combattons à l'extérieur n'est jamais que le reflet de ce que nous n'avons pas encore pacifié à l'intérieur.

Ce chemin d'individuation n'est possible que s'il est soutenu par une force fondamentale : l'Amour. Pas l'amour romantique, mais l'Amour comme mouvement vers l'Unité. L'Amour qui voit l'ombre et la reconnaît comme partie de l'être. L'Amour qui accueille la peur, sans s'y identifier. L'Amour qui accepte sans condition, comme le proposait Carl Rogers dans sa théorie de la "considération positive inconditionnelle".

Ce même amour est présent dans toutes les traditions spirituelles : il est la force qui relie, qui relève, qui rassemble. Dans une société divisée, où l'altérité est perçue comme une menace, l'Amour devient un acte politique et subversif.

L'individuation de l'humanité serait alors ce mouvement collectif où chaque être, chaque culture, chaque sensibilité reconnaît son propre venin, le transforme, et l'intègre dans un tout plus vaste. Ce n'est pas l'effacement des différences, mais leur harmonie dans une symphonie de singularités.

Ce chemin est long, semé de désillusions, de peurs, de conflits. Mais il est le seul qui ne nous laisse pas orphelins de nous-mêmes. En acceptant l'ombre, en reconnaissant nos désirs, nos peurs, nos échecs, nous devenons entiers. Et une humanité entière est une humanité pacifiée.

L'expérience de Tim Friede, comme celle de tout chercheur de vérité, nous montre qu'on ne guérit pas en fuyant le poison, mais en l'approchant avec conscience. Le serpent n'est plus l'ennemi, mais le guide. Il nous invite à plonger dans notre profondeur, à remonter nos énergies, à retrouver notre complétude.

Le chemin vers l'Un n'est pas une fuite vers un idéal pur, mais une traversée courageuse de notre humanité dans toute sa complexité. C'est cela, l'Amour. C'est cela, l'Unité. Et peut-être, le sens profond de notre présence au monde.

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