C’était en 1951, fin de l’été je crois, la RATP venait de mettre en service de nouvelles rames montées sur pneumatiques, la Rolls des métros !
Je fais le déplacement par curiosité et désœuvrement. Presque personne. Sur la banquette en molesquine d’en face, à ma gauche, un jeune homme aux traits asiatiques, la vingtaine, le regard vif et souriant.
La voie navette est courte entre le Pré Saint Gervais et la Mairie des Lilas, mais une improbable panne nous plonge dans un huis clos de près de 45 mn. Dans un premier temps le métro s’immobilise, les lumières faiblissent mais persistent, puis finissent par s’éteindre brusquement après une dizaine de minutes.
Pendant quelques minutes, ambiance lumières tamisées, quelques soupirs, quelques regards inquiets, on s’observe discrètement.
Quelques échanges débutent. Je m’adresse à mon voisin.
« chouette le métro ! … étudiant ? »
Haussement de sourcils
« oui »
1951, une année chargée…, création de la CECA, mais également signature de la convention de Genève sur le statut des réfugiés.
A l’époque je suis plutôt engagé à l’UNEF, d’ailleurs on vient de terminer une mobilisation pour la défense des crédits de la sécurité sociale étudiante. Il n’a pas l’air de s’intéresser aux affaires franco-françaises, il semblait en revanche animé d’un désir sincère de justice et de progrès social. Il est également préoccupé par le devenir de son pays menacé par des voisins puissants et des conflits aux enjeux internationaux. Comme moi, il rêve de l’abolition de la propriété privée, et de la fin de l’individualisme exacerbé au profit d’une société solidaire et dévouée à la recherche de l’épanouissement collectif. Comme moi il a une dent contre la bourgeoisie décadente et une caste politique corrompue.
« vous les français n’avez aucune excuse »
« je te demande pardon !! ? »
« La Commune de Paris a été trahie par la bourgeoisie, vous le savez, et la Révolution Française, est la preuve à la fois que l’alliance des paysans et des intellectuels peut changer le cours de l’Histoire, et qu’une Révolution qui fait les choses à moitié se condamne elle-même ! »
Selon lui il y a peu de place pour la négociation pour qui souhaite une vrai transformation de notre monde.
Fort sympathique ce garçon, vraiment, j’aurais adoré poursuivre cette conversation devant une bière.
Mais, les lumières reviennent et la rame redémarre.
Je suis persuadé qu’il accomplira de grandes choses pour son pays.
C’est rassurant de croiser d’autres humains préoccupés par le sort du collectif.
Sâr deviendra Pol Pot quelques années plus tard.
A suivre : j'ai couché avec Angela MERKEL, mais aussi j'ai fait un flipper avec Amedy COULIBALY...