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Billet de blog 16 juillet 2025

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En finir avec la colonisation : Pour une éthique de la relation, pas de la hiérarchie

Le miconia, ce "cancer vert" importé dans les îles tropicales au nom du goût et de l’ornement, est devenu symbole de déséquilibre. Arraché à son terreau d’origine, il s’est mis à proliférer, à couvrir les sous-bois d’ombre, à étouffer les plantes, à appauvrir la diversité. Ce n’est pourtant pas lui qui s’est déplacé : c’est l’homme, sans égard pour l’écosystème qu’il perturbait.

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Le miconia n’a pas conscience de nuire, il agit selon ses conditions naturelles. Et pourtant, on le traque notamment en Guadeloupe, on l’éradique, on le désigne comme ennemi, on l'arrache. Il devient alors une métaphore utile pas de la malveillance, mais de la logique coloniale : celle qui déracine, installe, impose, sans comprendre, sans écouter, sans relation.

Dans son habitat d’origine, le miconia fait partie d’un réseau complexe de relations avec insectes, champignons, animaux, autres plantes.

Ailleurs, il devient un intrus : il ne s’intègre pas harmonieusement, il déséquilibre le système.

Il n’est donc ni bon ni mauvais par essence, mais hors contexte, il agit comme un élément perturbateur.

Le colon européen, que l’histoire occidentale a longtemps dépeint comme un « porteur de civilisation », est en réalité l’acteur central d’un déséquilibre planétaire. Déraciné lui aussi  parfois par la misère, parfois par la force , il est projeté dans un territoire inconnu. Il s'y implante, s'y reproduit, s'y étend. Il impose sa langue, son droit, sa foi, ses techniques. Et ce faisant, il étouffe ce qui existait avant lui : langues, cultures, spiritualités, modes de subsistance, liens au vivant.

Tout comme le miconia, il n’est pas toujours un agent pleinement conscient. Il agit dans un cadre plus large : un empire, une économie, une idéologie. Mais les effets de sa présence sont systémiques. Il ne se contente pas d’exister : il modifie l’environnement à son image.

Frantz Fanon écrivait dans Les Damnés de la Terre que la colonisation n'est pas une machine à penser, mais une machine à broyer. Elle classe, ordonne, sépare : le civilisé et le primitif, l’homme et la nature, l’homme et la femme, le fort et le faible. Elle construit une hiérarchie du monde qui justifie la domination, le pillage, l’acculturation, le viol des corps et des territoires. C'est exactement ce que fait actuellement Israël.

Mais cette logique ne s’arrête pas aux frontières des empires. Elle infuse l’ensemble de la modernité occidentale : dans le rapport aux peuples, aux ressources, aux esprits, mais aussi dans le rapport à la terre, au vivant, au féminin.

Le miconia devient alors un peu l'image inversée du colon : non pas celui qui commande, mais celui qu’on accuse de tous les maux, quand la véritable cause est le système qui l’a déplacé : Un système extractif, capitaliste, patriarcal. Même si dans les faits de nombreux colons n'ont été que des Miconias eux aussi car exportés par nécessité.

Les civilisations occidentales n’ont pas le monopole de la conquête, c’est tentant de le penser mais c'est faux. Toutefois elles ont poussé cette logique à son point de rupture : en industrialisant l’expansion, en idéologisant la domination, en rendant universelle leur propre culture. Elles ont colonisé des territoires, mais aussi des corps, des désirs, des imaginaires.

Et aujourd’hui encore, l’Occident continue de coloniser, sous d’autres noms : il colonise les esprits par le marketing, l’influence, la norme, il colonise le vivant par les brevets sur le génome, les OGM, la réduction du monde à une marchandise il colonise les rapports sociaux en imposant un modèle unique d'efficacité, de compétition, d’individualisme, cette colonisation invisible est le prolongement d’une même logique : celle de la hiérarchie.

Fanon ne nous appelle pas à inverser les rôles, à dominer le dominant, à punir le colon. Il nous appelle à rompre avec la logique même de domination, à sortir de la dialectique du maître et de l’esclave, pour faire advenir un monde nouveau, fondé sur la relation, la reconnaissance, la justice.

Ce qu’il faut abolir, ce ne sont pas les colonisateurs pour en nommer d’autres, c’est la structure coloniale du monde, dans nos têtes, nos institutions, nos écoles, nos couples, nos manières d’être.

La colonisation est le modèle d’origine de toutes les formes modernes de domination : le racisme qui hiérarchise les couleurs, le capitalisme qui hiérarchise les classes, le patriarcat qui hiérarchise les genres, le validisme qui hiérarchise les corps ou les psychismes, le spécisme qui hiérarchise les espèces...

En finir avec la colonisation, ce n’est donc pas une question de frontières ou de statues. 
C’est en finir avec toutes les hiérarchies imposées comme naturelles.
C’est sortir de la logique du surplomb (comme la loi Duplomb), du commandement, de la prise, de l'emprise. Combien de féministes convaincue vont artificialiser des sols ou traiter des animaux avec déférence?

Le contraire de la colonisation, ce n’est pas la guerre.
Le contraire de la colonisation, c’est la relation et la reconnaissance de l'interdépendance.

C’est reconnaître que chaque être, chaque culture, chaque plante, chaque voix a sa légitimité, non pas à dominer ou à se défendre, mais à exister en lien.

C’est cultiver une écologie politique du vivant, qui refuse le contrôle, l’uniformité, le productivisme — et qui redonne droit au trouble, à la diversité, à la lenteur, à la réciprocité.

Nous avons été formés pour dominer, oui, même les meufs ! Il nous faut maintenant désapprendre à coloniser, dans nos gestes, nos mots, nos pensées. Good morning Wokisme !

Le miconia, comme le colon, nous rappelle ce qu’il en coûte d’être déraciné et de s’installer sans relation.
Mais contrairement au miconia, nous pouvons "choisir" (?), c'est notre domination sur le vivant.

Choisir de ne plus monter sur l’échelle. Choisir de marcher côte à côte.
Choisir la relation, pas la hiérarchie.

Mais bon... je prêche encore dans le vide intersidéral. Non?

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