Le numérique façonne de nouvelles formes d'exploitation du travail, souvent invisibles, parfois consenties, rarement rémunérées à leur juste valeur.
Le méchant de james Bond Amazon Mechanical Turk (AMT) a longtemps été le symbole d’une main-d’œuvre mondialisée et dérégulée façon MILEI.
Des millions de personnes, dispersées aux quatre coins du globe, acceptaient des tâches répétitives, fastidieuses, sous-payées, destinées à nourrir les bases de données des géants de la tech. Il s’agissait d’un prolétariat digital assigné à la portion congrue : corriger des captchas, étiqueter des images, vérifier des contenus.
Brutal, mais explicite. Le contrat social, aussi inégalitaire soit-il, était lisible... pour ceux qui savaient lire en tout cas.
Il est vrai que le bordel monstrueux de Bezos à travers AMT n'est pas infaillible et qu'il est même copieusement contourné par les petites mains.
L'arroseur arrosé, avec l'IA qui fini par ... former l'IA...
Avec l’émergence des intelligences artificielles génératives, comme ChatGPT, un glissement s’est opéré. Ce ne sont plus seulement des travailleurs précaires qui participent à l’apprentissage des machines, mais l’ensemble des usagers. Chacun, en posant une question, en corrigeant une réponse, en partageant un savoir, devient malgré lui un maillon de la chaîne d’entraînement de l’IA. Une belle brochette de maillons faibles.
Ce qui était jusqu’ici une activité de micro-travail rémunéré s’est mué en participation gratuite, voire payante. Car nombreux sont ceux qui, désormais, souscrivent à des abonnements premium pour bénéficier d’une IA plus performante, contribuant ainsi, à leurs frais, à son amélioration continue. En plus il est désormais possible socialement de dire "j'ai pété" sans être regardé de travers.
Le paradoxe est saisissant. Là où le travail du turker était dévalorisé mais reconnu, l’utilisateur de l’IA générative devient un travailleur dissimulé, intégré dans une boucle d’apprentissage sans en avoir conscience.
Il offre sa créativité, parfois même ses données personnelles, pour perfectionner un outil dont les profits sont strictement captés par des entreprises privées. L’extraction de valeur est maximale, l’implication humaine est totale, mais la reconnaissance est nulle. Pire encore : ce système inverse la relation de pouvoir en faisant croire à l’utilisateur qu’il est servi, quand il est en réalité exploité.
Ce nouveau régime repose sur un brouillage complet des rôles.
C'est ni plus ni moins la vision de MATRIX dans laquelle les humains ne sont plus que des batteries pour les machines...
Il n’y a plus de séparation nette entre producteur et consommateur, entre outil et travail, entre usage et contribution. C’est l’idéal du capitalisme cognitif dans sa forme la plus aboutie : un système dans lequel la matière première est la pensée elle-même, où chaque interaction devient une ressource, chaque mot une donnée, chaque conversation un actif monétisable.
Drill, baby drill !!!!
Ce n’est pas seulement une question éthique ou économique. C’est un basculement civilisationnel qui fout un peu les jetons !
Nous sommes en train d’entrer dans une ère où le savoir collectif, co-construit, partagé gratuitement, devient la matière première d’un monopole technologique opaque.
L’IA générative ne se contente pas de reproduire les biais du passé : elle perpétue un modèle où la valeur produite par le plus grand nombre est accaparée par une infime minorité. Une forme ultime d’enclosure cognitive, qui clôt l’espace des communs pour en faire une rente privée.
Peut-on encore parler de progrès quand celui-ci se construit sur une telle asymétrie ?
Quand l’intelligence artificielle devient le miroir inversé d’une intelligence collective spoliée ? Il est urgent de poser les bases d’une alternative : une IA éthique, transparente, gouvernée démocratiquement, respectueuse des contributions humaines. Faute de quoi, nous risquons d’assister à l’avènement d’un techno-féodalisme où nos pensées, nos dialogues, nos savoirs nos âmes numériques seront irrémédiablement colonisés.
C'est qui qu'a pété ???!!!