L’Étrange Défaite*… de Bruno Retailleau

Louis Sarkozy (fils de ...) lance, en partenariat avec le média (?) digital 21News, un machin podcast intitulé En Toute Liberté (?). Après environ 5.30 mn d'écoute je tombe sur une perle... Sa dernière lecture : "l'étrange défaite" de Marc BLOCH. Qu’il ose brandir L’Étrange Défaite comme une arme contre la "paperasserie" et la "bureaucratie" en dit long : Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur français, tente d’instrumentaliser un texte fondateur de notre mémoire collective, écrit par Marc Bloch, historien éminent et résistant fusillé par les nazis.

C’est là sa propre étrange défaite : faire servir un témoignage de lucidité et de courage, né dans l’effondrement de 1940, à une bataille politicienne contre l’administration.

Marc Bloch, un progressiste républicain

Il faut rappeler qui était Bloch.

Il croit à l’éducation (pas celle de Pierre Edouard STERIN), à la raison critique, au rôle émancipateur du savoir, il défend la démocratie contre l’autoritarisme (L'Ordre, l'ordre, l'Ordre), il veut moderniser l’école, l’armée, l’administration → non pas les détruire, mais les rendre plus intelligentes et responsables. L’Étrange Défaite est une tentative de comprendre pour reconstruire une France plus lucide, plus démocratique, plus forte. Bloch croit que l’histoire avance, que les institutions peuvent s’améliorer, que l’homme peut apprendre de ses erreurs.

Cofondateur de l’école des Annales, il révolutionna l’histoire en l’ouvrant aux sciences sociales. Historien du Moyen Âge, il refusa de réduire l’histoire française au seul "roman national". Résistant jusqu’au bout, il paya de sa vie son engagement contre le nazisme.

Bloch fut profondément anti-nationaliste : pour lui, l’histoire de France ne se comprenait qu’inscrite dans une histoire européenne, mondiale, universelle. C’est cette ouverture d’esprit, cette lucidité critique, qui fait encore la force de L’Étrange Défaite.

Retailleau, le contresens

Que Retailleau, ministre se réclamant d’un conservatisme identitaire, proche de mouvements comme Nemesis qui flirtent avec l’extrême-droite, s’approprie Bloch relève du contresens.

Retailleau critique les élites technocratiques : mais non pas pour les réformer en profondeur, plutôt pour dénoncer leur déconnexion des "valeurs" et de la "France réelle". C'est un défenseur de l’ordre et de l’identité : son projet est davantage de restaurer qu’innover.

Bloch analyse surtout la faillite des élites françaises en 1940 : Les généraux incapables de penser une guerre moderne ; Les responsables politiques paralysés par le conservatisme et les divisions ; Une société figée, sans créativité ni audace.

Il dénonce la « trahison des élites » qui ont conduit à la débâcle. Bloch dénonçait les élites pour leur aveuglement, pas pour justifier un repli identitaire. Bloch appelait à refonder l’État et la démocratie, pas à les instrumentaliser au profit d’un discours anti-bureaucratique opportuniste. Bloch s’est battu contre toutes les formes de nationalisme étroit, au moment même où Retailleau les flatte.

L’extrême-droite n’a pas sa place

Instrumentaliser Marc Bloch est une profanation mémorielle. Il ne s’agit pas seulement d’un contresens intellectuel, mais d’une trahison morale, par celui qui n'a pas hésité à manifester sa sympathie à l'égard d'un mouvement identitaire NEMESIS.

"Les « panthéonisations » étant propices aux récupérations politiques et la figure de Marc Bloch ayant déjà fait l'objet de tentatives en ce sens, la famille de l'historien dont on peut rappeler qu'il signa l'appel des intellectuels antifascistes en 1934 a tenu à présenter une série d'exigences au Président de la République", dans une lettre qu'on peut retrouver ici.

Extrait : "En ce sens, il nous paraît essentiel d’affirmer haut et fort : l’extrême-droite, sous toutes ses formes, doit être exclue de toute participation aux cérémonies en hommage à Marc Bloch. Son héritage est celui de la lucidité critique, de l’humanisme républicain et de l’engagement jusqu’au sacrifice contre les idéologies de haine."

Rejet de la créolisation :

Au micro de En Toute Liberté, Bruno Retailleau est également interrogé (environ à 39 mn) sur le projet de société défendu par Jean-Luc Mélenchon (La France Insoumise) : « Il y a un projet clairement assumé de M. Mélenchon : c’est la « créolisation ». Ce qu’ils veulent, dans une stratégie de chaos et de désordre, c’est l’effacement de ce que nous sommes. De notre civilisation.

Bloch aurait sans doute reconnu la créolisation comme un fait historique majeur, parce qu’il voyait déjà le Moyen Âge comme une époque de brassages permanents (commerce, croisades, circulation des savoirs). Sa critique du nationalisme l’aurait rendu sensible à l’idée que toute culture est un mélange et qu’il n’y a pas de "pureté" nationale.

Comme Glissant, il voyait vraisemblablement l’histoire comme un mouvement, un tissage, et non comme une essence figée.

Bref...

👉 L’Étrange Défaite, en vérité, n’est pas celle de la France de 1940 qu’invoque maladroitement M. Retailleau. C’est celle d’un ministre qui, en voulant s’adosser à Bloch, révèle au contraire sa propre incapacité à comprendre ce que fut ce témoignage, et ce qu’il continue de nous dire : refuser la résignation, le nationalisme et la médiocrité des élites qui trahissent leur peuple... au fond ce type de récupération revient un peu à allumer sa cigarette avec la flamme du soldat inconnu? Non?

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