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Billet de blog 4 février 2020

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Libération de Samir Belarbi, on achève bien le Hirak

Cette libération inattendue et de surcroit médiatisée par des chaines de télévision au service de la contre révolution, ne peut qu’éveiller des soupçons et alimenter notre scepticisme et notre incrédulité en la bonne volonté et la bonne foi du pouvoir.

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-Youcef Benzatat-

On ne peut que se réjouir de la libération de Samir Belarbi, un Hirakiste de premier plan, avec autant d’aura, de recouvrer sa liberté et d’être réhabilité de toutes les charges qui pesaient sur lui. 
Néanmoins, cette libération inattendue et de surcroit médiatisée par des chaines de télévision au service de la contre révolution, qui diffusent en boucle des interviews problématiques de Samir Belarbi depuis sa libération, au même moment où la répression et les arrestations de Hirakistes se poursuivent avec férocité, ne peut qu’éveiller des soupçons et alimenter notre scepticisme et notre incrédulité en la bonne volonté et la bonne foi du pouvoir.


Dans ses déclarations, Samir Belarbi se focalise sur la levée des principales charges qui pesaient sur lui, celles d’avoir été accusé de Hirakiste subversif qui menacerait l’unité et l’intérêt national. Mais là n’est pas le plus important, il insiste surtout dans ses déclarations, volontairement ou inconsciemment, sur le fait que le tribunal qui l’a relaxé l’aurait fait souverainement et par conséquent, la justice, au moins dans cette affaire, aurait recouvert son indépendance du pouvoir exécutif ou du pouvoir tout court. A n’en douter, Samir Belarbi croit où veut nous faire croire que c’est le juge chargé de son dossier qui l’a libéré souverainement et indépendamment de toute injonction de quelque cercle occulte du pouvoir. L’indépendance de la justice se retrouve ainsi au centre de ses déclarations et il n’hésite pas à vouloir faire croire que c’est là une amorce de victoire de la principale revendication du Hirak, celle de l’état de droit. En ce sens, il va jusqu’à rappeler l’épisode de la mutinerie des magistrats au mois de mars en les haranguant à l’occasion de revenir sur le terrain de la lutte pour un état de droit. Il faudra comprendre cette phrase de Samir Belabed dans le contexte global de son énonciation « La priorité des priorités consiste à libérer cette justice aux ordres » en même temps de reconnaître que sa libération fut un acte indépendant de toute injonction, mais seulement par l'esprit d'indépendance du juge qui a ordonné sa libération, qu'il encense au passage ! Passant sous silence la légitimité même de l’institution judiciaires dans ses fondements constitutionnels.
Rappelons-nous la déclaration de Khaled Drareni à sa libération « on m'a dit de ne pas recommencer, sinon vous allez avoir des problèmes » ! Malgré d’être averti que le système broie tout ce qui lui résiste, il n'a pas eu peur et a recommencé comme si de rien n'était. Aucune libération de détenus du Hirak ne ressemble à une autre et n’obéie aux mêmes règles. Aux dernières nouvelles, qu’il faudra mettre sur le compte de la rumeur, Khaled Drareni serait un élément de Xavier Driencourt, il se sait intouchable, voilà pourquoi il persiste dans son travail journalistique critique de couverture du Hirak. Si cette rumeur s’avère véridique, cela implique que bon nombre de nos médias sont sous influence et que l'ancien colonisateur tient réellement notre pouvoir en laisse.

Quant au reste, je ne crois pas un instant que Tebboune ou Chengriha travaillent pour le Hirak et contre le commandement de l'armée pour un état civil. Je trouve cela un peu surréaliste ! Pardonnez mon incrédulité. Même s’il semblerait qu’ils sont plus proches du Hirak qu'ils ne le sont de ceux qui tirent les ficelles actuellement, à savoir les résidus que Gaïd Salah avait disséminés dans les services et les directions centrales du MDN (les deux ne relevant pas du chef d'état-major.) Les rivalités au sommet du commandement de l'ANP ont de tout temps existés et le système s'en est bien accommodé. C’est de l’aveu de Chadli Bendjid lui-même, qui avait dévoilé en fin de vie, que les membres influents du système sont liés en permanence par un code d'honneur qui devrait astreindre chaque membre au devoir de protéger l'unité du système. Pour cela je ne pense pas un instant que Tebboune et Chengriha puissent agir contre les intérêts de leurs rivaux.

Toute cette affaire résonne comme une mauvaise mise en scène destinée à un public peu regardant sur les artifices de la manipulation des masses et de la propagande à des fins populistes. Alors que dans un premier temps, avant d’avoir été relaxé, le procureur aurait demandé 3 ans de prison ferme et 50000 DA d’amende. De quoi alimenter la polémique sur une confusion dû à la rivalité au sommet du pouvoir et que celle qui aurait eu le dernier mot serait celle qui œuvre pour un véritable état de droit. L’objectif serait de convaincre la grande masse des Hirakistes de la bonne foi du Gouvernement Tebboune et sa volonté de vouloir rétablir l’état de droit, aux fins d’inciter le plus grand nombre à cesser de participer aux manifestations hebdomadaires du Hirak ou du moins les détourner de la contestation de la légitimité de sa Présidence.


La libération de Samir Belarbi apparait comme une initiative à moindres frais pour le pouvoir, car ce dernier n’est pas un foudre révolutionnaire de la trompe de Karim Tabbou ou de Fodil Boumala, dont l’état de droit semble être plus indissociable de l’état civil. A remarquer que Samir Belarbi n’a à aucun moment dans ses interviews évoqué la dictature militaire, ni faire allusion à cette exigence principale du Hirak qu’est l’état civil avec insistance. Pire, il va jusqu’à manifester son désaveu de Karim Tabbou dans sa déclaration sur l’armée à la réunion de Kherrata.  


L’arrestation arbitraire et la séquestration des figures emblématiques du Hirak, en plus de les avoir éloignées du terrain de la lutte et d’avoir neutraliser leur influence directe sur les manifestants, il était attendu qu’ils pouvaient servir de monnaie d’échange au moment opportun. Ce moment est venu, celui de légitimer la façade civile d’un pouvoir militaire en mal de dissimulation et venir à bout du Hirak en l’affaiblissant dans la durée.

Samir Belarbi, Karim Tabbou, Fodil Boumala et beaucoup d'autres détenus du Hirak ne doivent leur notoriété populaire que dans leur engagement dans le Hirak. Pour cela, ils restent dans la conjoncture actuelle comme de véritables pôles d’influence du processus révolutionnaire en cours. C'est pour cette raison d'ailleurs qu'ils ont été arrêtés et maintenus en détention. Ils auront certes un rôle à jouer dans la poursuite de ce processus révolutionnaire, mais leur retour parmi le Hirak ne peut être un gage suffisant pour garantir une véritable prise en charge de la transition de la société algérienne d’un état traditionnel vers un état moderne avec toutes les valeurs de modernité que cela implique et particulièrement l'état civil et l'état de droit. Car beaucoup parmi eux représentent de véritables forces de reflux à l’égard du processus révolutionnaire, particulièrement en rapport au projet d'état auxquels ils sont sensibles. Certains parmi eux semblent vouloir rejouer l’épisode de Sant’égidio, sans tenir compte que la société algérienne avait complètement changé et s’était émancipée de l’emprise religieuse dans son rapport au politique. C’est cette disposition au reflux du processus révolutionnaire qui fait qu’ils sont vulnérables et devenir potentiellement une monnaie d’échange à moindres frais au profit du système.  

Y.B.

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