Youcef Benzatat
Les manœuvres du système pour tenter d’enfumer le hirak tournent à la théâtralisation shakespearienne et expose les secrets de fonctionnement de l’institution militaire à tous les regards indiscrets de la planète. Le Général Ouassini Bouazza, patron de la DGSI (ex DRS), l’œil omniscient et le fouettard des agitateurs subversifs contre le système, devenu le temps de la menace par le hirak sur la forteresse qui abrite le butin de la rente l’homme le plus impopulaire, serait sous mandat de dépôt au su et au vu de toute la planète. Tous les médias, y compris ceux qui ont été banni du champ où l’on sème le mensonge, ont eu leur part du tuyau pour propager la nouvelle. Dans toutes les armées du monde de tels évènements, qui relèvent du secret défense, se passent généralement à huit clos. Mais à Alger, par besoin d’enfumer la masse des hirakistes, pour affaiblir leur influence par les plus incrédules et préserver de la sorte ses arrières, on n’hésite pas à reléguer au second plan la nécessité de préserver les secrets de fonctionnement de l’institution militaire. Puisque le hirak a mis sa tête à abattre autant la lui offrir pour duper son ardeur. Bouazza et les membres de son clan seraient accusés de haute trahison contre la Patrie avec tous les détails de ses actes antipatriotiques déversés à la face de l’opinion mondiale, donnant l’occasion à tous les services du monde entier à communiquer des rapports détaillés à leurs gouvernements sur les secrets les plus sensibles du fonctionnement de l’Armée algérienne et de ses services. Les non-dits de cette cabale se révèlent plus dangereux encore, puisqu’ils laissent la porte ouverte à toutes les spéculations et interpolations sur les secrets de fonctionnement de l’institution militaire. Car, dans cette guerre inter clanique, c’est toujours le clan le plus affaibli qui porte le chapeau de la trahison. Hier, le clan du Général Mohamed Medienne, ex-patron du DRS, aujourd’hui celui du Général Ouassini Bouazza. Les accusateurs d’aujourd’hui deviendront les accusés de demain lorsque leur clan faiblira à son tour et porteront eux aussi ce chapeau alibi de la trahison à leur compte. Les qualificatifs de trahison ne manqueront jamais, car liés à la nature du système de pouvoir algérien qui fonctionne sur le mensonge, la manipulation, la fraude électorale, le détournement du droit et donc la violation systématique de la Constitution, acte hautement considéré par le peuple comme l’ultime trahison à la Patrie. Dans un passé récent, les exécutants de cette forme de trahison dans le système de pouvoir de l’ex-Président déchu, Abdelaziz Bouteflika, se sont vu reprocher la violation de la Constitution pour falsification des conditions d’éligibilité du candidat à la Présidence pendant plusieurs mandatures de suite pour leur permettre toutes sortes de malversations. Dans le collimateur également, Belkacem Zeghmati, Ministre de la justice et bourreau acharné contre les militants du hirak, impopulaire depuis la compagne d’arrestations et de condamnations arbitraires des militants, est lui aussi promu au sacrifice pour la circonstance, pour enfumer un peu plus le hirak par l’impact de l’émotion du spectaculaire, en lui faisant croire à la volonté de rétablir l’état de droit, considéré comme le principal objectif de la Révolution populaire. Il sera assimilé à son tour au clan des comploteurs contre la Patrie et un procès pour trahison sera monté contre lui de toutes pièces que chacun des clans possède un échantillon à son actif. C’est ce que la stratégie de l’enfumage du hirak laisse croire par la rumeur déversée sur l’espace médiatique. Plus rien, ni personne n’est épargné dans cette lutte à mort contre le peuple qui exige le départ du système, de ses hommes et de leur République. Ces cabales spectaculaires n’auraient jamais eu lieu si la pression exercée par le peuple n’était pas venue menacer tout l’édifice du pouvoir. Les clans tombent les uns après les autres sous la pression du hirak dans des règlements de compte interminables. La censure sélective, qui s’exerce sur les médias et dont le critère principal est la complicité dans cette stratégie d’enfumage, laisse apparaître des signes de panique qui font croire que les dernières cartouches ont été consommées pour une probable reprise en main des affaires en douce. L’avenir immédiat s’avère imprévisible dans les conditions actuelles. Le risque d’effondrement du système que laisse entrevoir cette fuite en avant dans les guerres inter-claniques successives ne présage pas une fin heureuse. La société civile de son côté est minée par autant de clivages inconciliables, islamistes contre laïques, Berbéristes contre arabophones, nationalistes conservateurs contre progressistes modernistes et autant de clivages ne pouvant se reposer sur un fondement commun susceptible de créer un consensus pour aller ensemble vers une constituante, tellement les a priori idéologiques des uns excluent systématiquement ceux des autres. La pandémie du coronavirus qui s’annonce ravageuse, la paupérisation de la société qui pointe au rythme de l’effondrement des prix des hydrocarbures, aggravent encore plus les perspectives de sortie de crise et menaceraient durablement la paix civile. Car, même l’émergence d’un consensus fort au sein de l’institution militaire, qui l’amènerait à durcir la gestion autoritaire de la société ne pourra résister à la détresse populaire et pouvoir contenir sa colère insurrectionnelle. L’ANP dans ces conditions n’aura plus rien à faire valoir, ni théâtralisation d’un semblant de recherche de moralisation des institutions, ni de stratégie d’enfumage de la révolte populaire, que son engagement à conduire et accompagner les forces du changement dans la société à dépasser tous les clivages en leur sein pour parvenir à instaurer ensembles un état civil, fondé sur la souveraineté de la justice et les valeurs de modernité politique, alternance au pouvoir par le suffrage universel, liberté d’opinion, liberté de conscience, droit de toutes les minorités potentielles dans la société, etc.
Y.B.