Isolement diplomatique ? Sanctions américaines ? Tensions et menaces à toutes les frontières ? Assassinats mystérieux ? Régime allié des plus extrémistes de la région ? Répression policière ? Rien de tout ce qu’on entend sur la Syrie et qu’on vient constater sur place n’est vraiment perceptible à Damas. En ce début des mois de Ramadan et de septembre, c’est l’augmentation des prix alimentaires et la longueur de la journée de jeûne qui préoccupent le plus la majorité de la population que les difficultés économiques et des décennies de dictature ont dépolitisée. Quant aux plus nantis, l’ouverture est là depuis que les marques internationales de voiture comme de prêt à porter ont transformé l’allure des beaux quartiers de Damas avec la libéralisation des importations au cours des cinq dernières années.
Les médias officiels, que personne n’écoute, fanfaronnent pourtant sur l’importance de la visite du Président français qui vient reconnaître « la place régionale et internationale incontournable de la Syrie sous la direction clairvoyante de son président Bachar El Assad. » Comment expliquer sinon que Nicolas Sarkozy, perçu comme le président le plus pro-américain et le plus grand ami d’Israël que la France ait élu, qui vient en outre comme président en exercice de l’Union européenne, inscrive la réconciliation avec la Syrie comme une « évolution majeure » de sa diplomatie ? Car on évoque peu à Damas les gages qu’il a fallu donner pour redevenir fréquentable : tout d’abord le déblocage de l’impasse libanaise à Doha, rendu possible par la bonne influence de la Syrie sur ses alliés libanais mais aussi l’annonce de négociations de paix avec Israël par l’intermédiaire de la Turquie. Deux changements essentiels qui ont permis à Nicolas Sarkozy de justifier l’invitation contestée de Bachar El-Assad au Sommet de la Méditerranée et au défilé du 14 juillet à Paris. Réfutant le changement de cap, le président syrien a tenu à se rendre avec la moitié de son gouvernement à Téhéran quelques jours après son voyage à Paris pour réaffirmer qu’il ne renonce pas à son alliance avec le régime iranien et quelques jours après à Moscou dont il a soutenu l’action en Géorgie. Huit ans après avoir hérité de la République, Bachar le maladroit est devenu plus malin, renouant avec les alliances de revers, pour lesquels Assad père passait pour un génial machiavel ?
La moitié du monde à Damas
La volte face des deux dirigeants français et syrien qui partagent le goût de surprendre n’est pas interprétée comme telle par ceux qui depuis longtemps éprouvent une méfiance obsessionnelle vis-à-vis de la politique et du discours du régime. « Qu’y a-t-il d’étonnant à ce rapprochement ? » dit un avocat sexagénaire, « qui a jamais cru au sérieux de la menace extérieure contre la Syrie ? Ce n’est que propagande. Ce chantage nationaliste qui présente le pays comme une citadelle de la résistance arabe face aux régimes capitulards de la région a toujours servi à justifier l’oppression intérieure et les coups tordus extérieurs ? Le régime est parfaitement protégé, y compris par Israël auquel il garantit sa frontière la plus sûre et par les Etats-Unis qui savent pouvoir compter sur sa collaboration pour les choses sérieuses, notamment en matière sécuritaire, même s’ils s’en servent comme repoussoir pour leur propre propagande. » Ce raisonnement compliqué, que les familiers du Moyen-Orient connaissent, notamment chez les vieux nationalistes arabes exprime l’incrédulité face au cynisme du pouvoir.
Moins sceptiques, les milieux d’affaire syriens, notamment la jeune génération de la bourgeoisie sunnite damascène, caution essentielle pour le pouvoir, suivent avec intérêt la fin de l’isolement du pays. Avec le sommet quadripartite prévu jeudi entre Assad, président en exercice de la Ligue arabe, Sarkozy président de l’UE, le cheikh du Qatar, président du Conseil de coopération du Golfe et Premier ministre Erdogan d’une Turquie au carrefour du Moyen-Orient, du Caucase et de l’Asie centrale, c’est pratiquement la moitié du monde qui se retrouve à Damas.
Il est vrai que le régime syrien peut se vanter auprès de ses hôtes de sa stabilité, notamment intérieure puisqu’il a pratiquement éliminé toute opposition, depuis longtemps et souvent dans le sang. Le monde préfère sans doute une dictature laïque que l’on peut contrôler, intimider ou solliciter au besoin à un patchwork libanais explosif ou un confessionnalisme irakien meurtrier ou encore une république islamique. Quitte à promettre aux défenseurs des droits de l’homme que le sort des prisonniers d’opinion dans les oubliettes syriennes sera évoqué. Sarkozy s’y serait engagé.