Yacine El Chami

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Billet de blog 17 octobre 2024

Yacine El Chami

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Contre tribune : Le sionisme de gauche et l’usure du temps

Le 7 octobre, le collectif Golem a publié une tribune dans le journal l’Humanité en défendant que « la solidarité internationale n’est pas compatible avec l’antisémitisme ». Cette prise de position révèle toutes les contradictions du sionisme de gauche, après un an de génocide du peuple palestinien.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La binarité de la « paresse intellectuelle » 

Tout l’article repose sur une structure simple, pour ne pas dire simpliste : il y aurait deux côtés au sein de la gauche. D’un côté, celleux qui tentent de construire « un véritable mouvement de solidarité internationale avec le peuple palestinien pour la paix et une résolution politique du conflit israélo-palestinien », en prenant au sérieux le problème de l’antisémitisme en France. De l’autre, celleux qui « soutiennent la guerre et portent un discours antisémite en France ».  

Ce schéma est problématique à plusieurs niveaux. Premièrement, il tend à confondre, antisémitisme et guerre. Comment affirmer que des organisations de gauche soutiennent la guerre ? La plupart en vérité appellent depuis plus d’un an à un cessez le feu, y compris La France Insoumise.  

D’autre part, la tribune amalgame à la fois les « soutiens » et les actes du Hamas avec une posture fondamentalement antisémite. Or, bien que l’on ne puisse pas nier totalement les affects antisémites au sein du Hamas avant, pendant et après le 7 octobre, affirmer que ces actes ne sont déterminés que par cela, c’est condamner « sans comprendre de quoi il s’agit » pour reprendre les termes de la philosophe antisioniste Judith Butler. C’est, pour citer l’historien Reza Zia-Ebrahimi, également confondre un phénomène et un mécanisme politique de discrédit de la cause palestinienne : « l’antisémitisme, varié mais bien réel, de la plupart des mouvements islamistes est une chose ; les études qui en ont été faites dans une perspective anti-palestinienne (…) en sont une autre. ».  

Les actes meurtriers du 7 octobre  

Les actes du 7 octobre qui doivent être condamnés, en tant que tels, actes horribles, effroyables, ne sont pas pour autant et uniquement antisémites, ni même « terroristes ». Affirmer que le 7 octobre est un « pogrom » légitime le point de vue sioniste et occidental de l’événement, en même temps qu’il est totalement anachronique. Dans le cas contraire, comment comprendre que des ouvriers thaïlandais aient été tué et pris en otages par le Hamas, et donc attaqué.es sans être ou perçu.es comme personnes juives.  

Il y a une question pour toustes celleux qui se battent réellement pour la libération du peuple palestinien : peut-on dissoudre la dimension coloniale des actes du 7 octobre ? Est-ce que les soldats gazaouis du Hamas étaient, avant de sortir des murs de l’apartheid, des corps colonisés, avant de devenir, en dehors, des criminels antisémites commettant des féminicides ? Malheureusement, on ne peut pas distinguer les deux temps : les actes du 7 octobre ont une dimension antisémite et une dimension décoloniale. Nous ne pouvons trancher, et le faire, c’est forcément se tromper.  

La Palestine ou la concurrence des racismes 

« Sans cette prise de conscience, la gauche risque de devenir complice des forces d’extrême droite qui ravagent le Proche-Orient et d’alimenter une montée de l’antisémitisme dans le pays. ».  

La dernière phrase de la tribune est la corde que l’on tire en premier avant de dérouler la pelote du mensonge : qui, en vérité, est complice des « forces d’extrême-droite » ? Lorsque, dans une tribune, 1 an après le 7 octobre, 1 an après le début du génocide, on n’est pas capable d’avoir ne serait-ce qu’un seul mot pour les victimes palestiniennes, hormis le moment où l’on critique cette « gauche antisémite » aux détours flous, n’est-on pas en train de soutenir naïvement le discours du gouvernement israélien qui ne voit d’important que les victimes du 7 octobre tout en continuant de larguer les bombes du massacre ?  

La Palestine est historiquement le lieu géographique et symbolique d’un « réagencement des racismes » (Zia-Ebrahimi). C’est à partir de la création d’un Etat israélien que se reconfigure l’antisémitisme et l’islamophobie : depuis 1947, un certain nombre de discours tendent à opposer la totalité des arabes, considérés comme antisémites, presque par essence, aux juifs, victimes éternelles de la Shoah.  

Le fait que la tribune ne fasse aucunement mention d’autre forme de racisme que l’antisémitisme, que le collectif Golem tend à croire (sincèrement) à l’originalité de l’antisémitisme vis-à-vis des autres racismes est révélateur d’une concurrence néfaste qui s’est institutionnalisé entre antisémitisme et islamophobie.  

To be or not to be blind 

Nous sommes en France, en 2024. La loi sur le voile (par ailleurs, parfaitement sexiste) a 20 ans d’existence. Depuis quelques années, on assiste à une intensification de l’islamophobie d’Etat et « d’atmosphère ». On peut citer quelques exemples.  

Loi séparatisme visant officieusement les musulmans.  

Un candidat (qui concentre en lui-même cette concurrence des racismes) qui a fait campagne sur l’islamophobie, au point de renommer son parti au nom d’une période de reconquête des chrétiens sur les maures musulmans (d’ailleurs les juifs étaient également touchés par la persécution dans l’Espagne inquisitrice du XVe siècle) a fait 7% aux élections présidentielles de 2022.  

Un ancien premier ministre « modéré », du centre-droit, a défendu l’idée « d’un droit et d’une organisation spécifiques aux musulmans ».  

Les attaques contre les lieux de culte musulman se multiplient. Dans l’Essonne, à Vigneux-sur-Seine, les pratiquants musulmans ont eu la joie de découvrir sur la porte de la mosquée une tête de sanglier. Quel beau cadeau pour un soir de noël.  

En vérité, ce que ne voit pas, ou ne veut pas voir les militant.es du collectif Golem, c’est que ce n’est pas seulement l’antisémitisme qui monte, c’est la haine raciale en général. Peut-être qu’au lieu de se croire unique au monde, le mouvement qui s’attaque à l’antisémitisme « d’où qu’il vienne » devrait faire le lien avec le racisme « peu importe lequel ».  

Malheureusement, Golem ne voit pas qu’il légitimise, bien malgré lui, les différentes extrêmes droites d’ici et là : ces dernières ont simplement substitué leur antisémitisme pour un philosémitisme, dans l’optique d’attaquer symboliquement et de plus en plus physiquement les musulmans. Frantz Fanon affirmait à son époque que la négrophobie et la négrophilie n’était que les faces inverses d’une même pièce. Combattre les extrêmes-droites, c’est aussi se méfier de son propre langage, de sa propre posture, ce que Golem, mouvement sioniste, ne fait pas.  

L’unicité des racismes 

J’emprunte à Reza Zia-Ebrahimi, cet exemple évocateur quant à l’importance de souligner l’unicité des racismes :  

« En octobre 2018, un extrémiste de droite, Robert Bowers, fait irruption dans une synagogue de la ville de Pittsburgh, en Pennsylvanie, et y assassine, à bout portant, onze fidèles. Cette attaque est l’attaque antisémite la plus meurtrière de l’histoire américaine. Bowers est un fervent lecteur d’écrits nazis et de théories du complot à caractère antisémite, ce qui fait naturellement de lui – unicité des racismes oblige – un suprémaciste blanc convaincu. Mais ce qui nous intéresse ici, c’est qu’entre autres griefs, il accuse ses victimes juives de participer activement à l’immigration « maléfiques » musulmans (…) Bowers reposte les dires d’autres internautes au contenu similaire : « Ouvrez les yeux ! Ce sont les juifs crasseux et MALEFIQUES qui amènent des musulmans crasseux et MALEFIQUES dans ce pays !! » ». 

D’une certaine manière, nous, racisé.es, nous sommes toustes « dans la même merde ». Il s’agit de lutter toustes ensemble contre toutes formes de racismes au lieu de mettre l’un sur un piédestal, en faisant mines d’oublier les autres.  

Un prétexte, une clarification 

Critiquer la relativisation de Mélenchon concernant « l’antisémitisme résiduelle » est totalement légitime. Le faire en faisant excès inverse, en sous-entendant que LFI est une organisation réactionnaire et antisémite, parmi d’autres structures de gauche, ne résout pas le problème, elle en crée un autre, voire dévoile la lutte réelle qui se cache entre les lignes de la tribune.  

Sous prétexte de défendre la solidarité internationale avec les palestinien.nes, le collectif Golem porte en vérité la voix d’un sionisme de gauche.

Il ne faut pas tout jeter cependant. La posture critique est celle qui tend à produire du nouveau en partant de l’habituel : Golem défend, malgré lui, une posture usuelle dans les médias dominants. Se réclamant de la gauche, il utilise les mêmes stratagèmes que Bfm et Bolloré, et se situe dans un même continuum avec le gouvernement sioniste israélien.  

Mais, il reste un avertissement qu’il faut prendre au sérieux : l’antisémitisme est réel, son augmentation aussi - il n’est pas « résiduel ». Cette relativisation est dangereuse tout autant pour les personnes juives que pour toutes les personnes racisées.  

Nous sommes toustes sur une ligne de crête. A partir du moment où l’on refuse fermement toute forme d’antisémitisme mais que l’on rejette avec la même intensité toute forme de domination coloniale, nous sommes responsables quant au refus ultime du piège dans lequel on tend à enfermer les militant.es pour la libération palestinienne, celui de l’équivalence entre antisémitisme et antisioniste. Le collectif Golem perpétue ce piège : ce qu’il ne voit pas, c’est qu’il construit mots par mots, actions par actions ses propres chaînes.  

La contradiction propre au « sionisme de gauche » contient sa propre fin.  

Pour aller lire la tribune de "Golem" : Un an après le 7 octobre 2023, des voix pour la paix au Proche-Orient : « La solidarité internationale n’est pas compatible avec l’antisémitisme » (2/5) - L'Humanité (humanite.fr)

Sources : Reza Zia-Ebrahimi, Antisémitisme et Islamophobie. Une histoire croisée, Editions Amsterdam, 2021

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