Ils ne sont pas des anomalies isolées.
Lily Phillips et Nikocado Avocado incarnent deux formes contemporaines d’un même phénomène :
le corps utilisé comme support de visibilité — jusqu’à l’effondrement.
Leurs actes, radicaux, souvent éprouvants, ne relèvent pas d’un dérèglement personnel.
Ils obéissent à une logique plus large, plus brutale : celle d’un environnement qui sacralise la démesure comme seul mode d’apparition, et où la reconnaissance passe par l’exposition jusqu’à l’écœurement.
Dans un monde saturé d’images, seule l’extrême visibilité garantit l’existence.
Le sexe démultiplié, la dévoration filmée, la chute ritualisée — tout devient contenu.
Et au bout du contenu : la déchéance.
Une forme de pornographie gore, où le spectacle flirte avec le suicide public scénarisé.
Deux récits : sexualité industrialisée, ingestion grotesque.
Un seul point de rupture : quand le mal-être devient monétisable.
Lily Phillips et Nikocado Avocado : deux performances du mal-être
Lily Phillips – L’intimité rendue industrielle
Ce n’est pas une performeuse.
C’est une marathonienne de l’endurance.
Dans « I Slept With 100 Men in One Day », Lily Phillips aligne les hommes comme on aligne les chiffres.
Chaque pénétration devient une donnée.
L’usure du corps rejoint celle de l’esprit.
Ce que l’on observe, ce n’est pas de l’érotisme.
C’est une mécanique de dégradation, objectivée en pleine conscience.
« Je ne sentais plus rien. »
Phrase nue, dissociation mentale devenue marchandise.
Nikocado Avocado – Glouton spectaculaire
Nikocado n’est pas un simple glouton.
Il orchestre sa propre déchéance physique — en direct.
Chaque vidéo montre une prise de poids selon deux axes :
- Ingestion excessive tournée en dérision : perche à selfie, grimaces, gestes absurdes ;
- Dramatisation de la chute : cris, larmes, accusations adressées à l’audience.
« Regardez ce que vous m’avez fait devenir. »
Le corps gonfle.
La douleur déborde.
Et la détresse devient levier d’engagement massif.
Deux trajectoires, une même logique : l’intime exploitable
Ils ne se ressemblent pas.
L’une performe le sexe. L’autre, la nourriture.
Mais tous deux déplacent l’intime vers l’espace public.
Ils exposent ce qui, d’ordinaire, relève de l’alcôve ou de la honte.
Chacun dissocie sa personne pour produire une image.
Leur corps n’est plus vécu : il est rempli, saturé, vidé, mis en scène.
Il ne compte plus comme chair, mais comme instrument de captation.
Mise en scène : répétition, effraction, rentabilité
Pourquoi ça attire ?
Parce que ce n’est pas une fiction.
C’est un naufrage en direct, transformé en spectacle, puis valorisé par l’algorithme.
Ce que les abonnés viennent chercher, ce n’est pas un contenu.
C’est un mécanisme.
- Répétition : plus l’acte est extrême, plus sa fréquence le normalise. Chaque vidéo ancre l’attente. L’excès devient standard.
- Effraction : l’intime est arraché à sa fonction — jouissance, honte, solitude — pour devenir scène. Ce n’est plus montré : c’est forcé, ritualisé, consommé.
- Monétisation : la douleur devient produit. L’effondrement, le clou du spectacle.
La caméra ne capte pas une dérive.
Elle l’encadre. Elle l’oriente. Elle la valorise.
Capitalisme du regard : une économie du désenchantement
Ce que tu regardes n’est pas une marginalité.
C’est le symptôme régulier d’un système matérialiste, individualiste, voyeur.
Un système où le mal-être exposé devient un capital.
Trois forces l’organisent :
- Les plateformes : elles valorisent l’extrême, l’émotion brute, la rupture.
L’algorithme ne récompense pas le sens, mais l’impact.
Plus c’est vu, plus c’est montré.
Plus c’est choquant, plus c’est promu. - Les créateurs : ils s’ajustent.
Ils intègrent les règles.
Ils produisent ce qui capte — donc ce qui rapporte. - L’audience : elle ne valide pas, elle consomme.
Elle clique pour exister dans le flux, et renforce, sans le vouloir, ce qui mérite attention.
Pourquoi regarde-t-on ? Le spectateur comme complice rationnel
Le regard n’est jamais innocent.
Ce que l’audience vient chercher, c’est une version ritualisée de ses propres pulsions.
Lily Phillips : le fantasme du viol rationalisé
Sous la bannière de l’« empowerment sexuel », c’est un vieux rite qui revient :
le viol en série déguisé en performance.
Les hommes passent, la caméra tourne, le chiffre monte.
Tout est consenti. Rien n’est neutre.
Ce n’est pas de la relation.
C’est la version premium d’un bordel militaire mis en ligne.
Nikocado Avocado : la boulimie par procuration
Le spectateur ne mange pas. Il regarde l’autre se goinfrer.
Il exorcise sa propre fringale en assistant à l’effondrement d’un autre.
Ce n’est pas grotesque. C’est une purge symbolique.
Sortir ? Contre-modèles invisibles, échappatoires interdites
Le système ne prévoit pas de sortie.
Ou plutôt : il la punit par l’effacement.
Certain·es ont tenté : se retirer, changer de contenu, alerter.
Résultat ? Silence algorithmique. Perte d’audience.
Le système ne récompense ni la retenue ni la rémission.
Et même si l’un d’eux s’arrête, un autre prend sa place.
Parce que ce qui importe, ce n’est pas l’individu.
C’est le rôle sacrificiel.
La sortie n’est pas un choix. C’est une désintégration.
Le marché du mal-être
Ce que l’on nomme divertissement est ici une visibilité conditionnée par la chute.
On ne crée plus pour exister.
On se brise méthodiquement pour émerger.
TikTok, YouTube, OnlyFans et consorts organisent cette économie.
Ils transforment la faille en capital.
La déchéance en levier de croissance.
Ce qui se normalise, c’est un modèle où l’on s’élève en tombant — jusqu’à la ruine.
Yades Hesse - 2025

Agrandissement : Illustration 1
