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Billet de blog 8 juin 2025

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THE APPRENTICE : l’art de la duplicité

Le film « The Apprentice » prétend raconter l’ascension de Donald Trump, mais échoue à en saisir l’axe central : la transmission stratégique de Roy Cohn. En reléguant cette relation à l’arrière-plan, le biopic passe à côté de son sujet — non pas qui est Trump, mais comment il est devenu Trump.

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Fiche du film : The Apprentice Réalisateur : Ali Abbasi Scénario : Gabriel Sherman Acteurs principaux : Sebastian Stan (Donald Trump), Jeremy Strong (Roy Cohn) Genre : Biopic, Drame politique Année de sortie : 2024 

Un biopic linéaire et sans relief

Le film The Apprentice, centré sur l’ascension de Donald Trump, un homme du Queens déjà fortuné grâce à son père, n’est pas l’histoire d’un autodidacte parti de rien. Il ne s’agit pas d’un homme issu des classes populaires, vivant en HLM et rêvant d’entrepreneuriat. Trump a bénéficié d’un apport financier conséquent de plusieurs millions de dollars, facilitant son entrée sur le marché de l’immobilier de Manhattan, un rêve inaccessible pour un ambitieux sans un solide capital de départ. 

Puis le film s’éparpille dans une succession d’épisodes biographiques qui auraient dû rester secondaires. Ce choix affaiblit la portée du récit, empêchant une véritable réflexion sur l’ascension d’un ambitieux dont l’apprentissage stratégique aux côtés de Roy Cohn a été déterminant. En fin de compte, The Apprentice ne fait que recycler des éléments déjà bien documentés dans la presse et les biographies, sans apporter un nouvel éclairage sur la manière dont Trump est devenu l’homme qu’il est aujourd’hui. 

« Fake it till you make it »  

Comme son titre l’indique, « The Apprentice » aurait dû se focaliser sur l’apprentissage de Trump, sur la manière dont il a intégré les stratégies enseignées par Roy Cohn. Or, il choisit d’accorder une place excessive à des éléments biographiques secondaires — ses mariages, l’achat d’un bateau… qui auraient dû rester en arrière-plan. 

Cette dispersion affaiblit la puissance du récit et empêche le film d’offrir une lecture approfondie du processus de formation d’un homme d’affaires médiatique devenu président des États-Unis. Ce qui est loin d’être anodin. 

De Fred Trump à Roy Cohn : le double héritage  

Trump n’est pas un self-made man au sens strict. Le premier levier d’ascension de Donald Trump, c’est son père Fred Trump qui lui a donné bien plus que de l’argent : il lui a inculqué une vision du monde fondée sur la force, la domination et l’absence de pitié. Dès l’enfance, Trump a intégré la règle fondamentale de son père : seuls les prédateurs survivent, les autres sont des losers.

Pur produit du Queens, Trump n’avait pas les clés pour réussir seul de l’autre côté du fleuve : Manhattan. Il lui fallait des relations qui maîtrisaient les codes de la Big Apple, fondée sur l’influence et la manipulation. C’est là qu’intervient Roy Cohn, celui qui va structurer et affiner ses méthodes : brutalité stratégique, maîtrise des rapports de force, manipulation et mensonges qui parachèvent son éducation de futur « roi du monde ». 

Or le film échoue à capter cette transmission essentielle, ce passage de relais entre un père qui lui inculque l'importance de dominer et un mentor qui lui enseigne l’art de la guerre judiciaire et de la propagande médiatique. 

La relation trump-cohn sous-exploitée  

Un autre écueil du film réside dans l'exploration inutile de la vie privée de Roy Cohn, qui détourne l’attention du véritable sujet. Une scène de partouze, par exemple, illustre cette volonté de sensationnalisme qui ne sert en rien l’intrigue principale. Montrer les pratiques personnelles de Cohn n’apporte aucune valeur analytique et participe davantage à un catalogue de clichés qu’à une compréhension fine de son influence sur Trump. En insistant sur ces aspects superficiels, le film passe à côté de ce qui aurait dû être son cœur narratif : la relation singulière entre Trump et Cohn et l’apprentissage du premier sous l’égide du second. 

L'influence de Roy Cohn ne s'est pas limitée aux conseils informels ou aux stratégies politiques, elle a été assimilée et retransmise par Trump lui-même. Dans The Art of the Deal, son livre emblématique publié en 1987, on retrouve de nombreuses méthodes directement inspirées de l'enseignement de Cohn. Trump y développe un ensemble de principes qui rappellent ceux inculqués par son mentor : 

  • Attaquer en premier, sans jamais reculer
  • Transformer une accusation en contre-attaque
  • Utiliser les médias comme une arme de persuasion
  • Ne jamais montrer de faiblesse, quel qu’en soit le prix 

Ce mentorat, qui aurait dû être au cœur du film, est réduit à une série d’apparitions fugaces de Cohn. On ne voit pas la relation s’intensifier, ni comment Trump assimile progressivement ces stratégies. 

Et, si un grand réalisateur avait été aux commandes ?  

Un réalisateur traditionnel n’est pas le bon prisme pour raconter Trump. 

Il ne s’agit pas d’un personnage à creuser, mais d’un produit à mettre en façade comme ses initiales plaquées or sur tous les supports possibles et inimaginable, car tout, chez lui, relève de la mise en scène marchande : son nom, ses tours, ses émissions, ses cravates, ses steaks. 

Trump n’est pas seulement le fils de

Il est devenu un logo.

Pas une image de marque.

Un mirage de marque

Seul un réalisateur issu de la publicité aurait pu capter cela : filmer la surface d’un emballage en valorisant l’illusion, en trompant sur la qualité du son contenue. Exactement ce que fait Trump. 

Une structure narrative plus forte aurait pu transformer le film  

Plutôt qu’un récit linéaire, The Apprentice aurait gagné à adopter une structure plus immersive et dramatique, inspirée de Citizen Kane ou Wall Street.

Voici comment le film aurait pu mieux capturer l’essence de cette relation mentor-disciple : 

Scène d’ouverture : la Mort de Roy Cohn (1986) : 

  • Cohn, mourant et rejeté, regarde les boutons de manchette « Tiffany » en toc offerts par Trump.
  • Une larme silencieuse coule sur sa joue.
  • Flashback : retour dans les années 70, où il rencontre Trump pour la première fois.

Tout le film aurait alors raconté cette relation « maître/élève », montrant comment Trump a absorbé l’enseignement de Cohn avant de l’abandonner courant des années Sida. 

Scène finale : Retour à la mort de Cohn : 

  • Un proche de Cohn fait expertiser les boutons de manchette… et découvre qu’ils sont faux.
  • Ironie tragique : Trump n’a jamais eu de loyauté, même envers celui qui l’a forgé. 

Roy Cohn le véritable stratège, l’architecte des méthodes qui ont façonné Trump, s’est rendu compte qu’il avait misé sur le mauvais cheval. Trump n’est qu’un « bâtisseur » d’immeuble. 

En définitive, Trump n’est qu’un opportuniste sans scrupules, un escroc dans l’âme qui a eu la chance initiale d’être un gosse de riche.

Avec une telle structure, le film aurait eu un impact émotionnel et symbolique bien plus puissant. 

Conclusion :  

The Apprentice n’apporte aucun nouveau point de vue sur Donald Trump. Il se contente d’une reconstitution schématique et sans relief, vidée de toute véritable complexité psychologique. 

L’axe le plus fascinant, la relation entre Trump et Roy Cohn, est relégué à l’arrière-plan. Ce qui aurait pu être un drame puissant sur la construction et la trahison d’un mentor devient une fresque sans relief, se contentant d’aligner des événements sans en exploiter la portée psychologique. 

En éludant cette confrontation centrale et l’inévitable mise à mort symbolique du père/mentor, The Apprentice manque l’opportunité de structurer son récit autour d’un conflit dramatique essentiel. Privé de tension et de progression émotionnelle, il reste figé dans une narration linéaire où les enjeux se diluent au fil des scènes. Un flashback centré sur la chute de Cohn aurait pu renforcer la tragédie de cette relation, en illustrant la fatalité de leur relation. 

Le film échoue à s’imposer comme un grand film psychologique. Là où il aurait pu explorer « la fabrique du Monstre », il reste en surface en se contentant d’une biographie illustrée, manquant non pas d’ambition, mais de profondeur. 

Un biopic qui réduit à l’anecdotique ce qu’il aurait dû déconstruire : l’essentiel n’était pas de raconter Trump, mais de comprendre comment il est devenu Trump.  

Et c’est là que le film rejoint son propre sujet en miroir. 

The Apprentice, comme Donald Trump, ne réussit pas parce qu’il est le meilleur. Il réussit parce que les autres échouent. 

Yades Hesse - 2025

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