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Née à Tel Aviv, Yael LERER est éditrice, traductrice et chercheuse et militante de longue date pour l’égalité et la justice en Israël/Palestine. Entre autres, elle était cofondatrice et porte-parole du parti politique Balad, et a créé la maison d'édition Andalus, qui a publié la littérature arabe vers l’hébreu. Naturalisée française, elle a été la candidate de la NUPES à l’élection législative partielle dans la 8ème circonscription des Français-e-s de l’étranger. https://www.yaellerer.fr/

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Billet de blog 20 janvier 2024

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Née à Tel Aviv, Yael LERER est éditrice, traductrice et chercheuse et militante de longue date pour l’égalité et la justice en Israël/Palestine. Entre autres, elle était cofondatrice et porte-parole du parti politique Balad, et a créé la maison d'édition Andalus, qui a publié la littérature arabe vers l’hébreu. Naturalisée française, elle a été la candidate de la NUPES à l’élection législative partielle dans la 8ème circonscription des Français-e-s de l’étranger. https://www.yaellerer.fr/

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La vision d’un Israël democratique freine notre capacité à agir et à le sanctionner

Peut-on vraiment traiter Israël comme une démocratie ? Imposer des sanctions sera un acte de solidarité avec tous les habitants d’Israël/Palestine, Palestiniens comme Israéliens. Chaque jour, Israël fait un pas de plus vers la destruction de l’avenir de ces deux peuples. Pour les protéger, en espérant qu'il ne soit pas déjà trop tard, la France et l'Europe doivent intervenir fermement.

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Née à Tel Aviv, Yael LERER est éditrice, traductrice et chercheuse et militante de longue date pour l’égalité et la justice en Israël/Palestine. Entre autres, elle était cofondatrice et porte-parole du parti politique Balad, et a créé la maison d'édition Andalus, qui a publié la littérature arabe vers l’hébreu. Naturalisée française, elle a été la candidate de la NUPES à l’élection législative partielle dans la 8ème circonscription des Français-e-s de l’étranger. https://www.yaellerer.fr/

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans son discours télévisé adressé aux Français le 12 octobre 2023, au début des effroyables bombardements israéliens qui ont suivi les atrocités commises par le Hamas, le président Emmanuel Macron, en parlant du devoir israélien de préserver les populations civiles palestiniennes, a accentué: « c’est le devoir des démocraties ». A l’évidence, les offensives contre les civils sont toujours inacceptables, quel que soit le prétexte. Aucun crime de guerre, même le plus épouvantable et le plus méprisable, ne peut donner raison à d’autres.

Depuis, dans presque chaque discours, le président, comme tous les dirigeants français et européens, parle d’Israël comme d’une démocratie, avec laquelle on pourrait donc discuter « entre amis ». Même après trois mois de destructions et de meurtres aveugles, la mort de  25 000 personnes, dont plus de 5 350 enfants et au moins 3 250 femmes, la vision d’un Israël democratique freine notre capacité à agir et à prendre des sanctions– à la différence de ce qui s’est fait avec la Russie, l’Iran ou des pays du Sud Global. 

Pourtant, peut-on vraiment traiter Israël comme une démocratie ?

Ils bombardent leurs compatriotes aussi bien

« Comment, dans cette trombe de bombes qui s’abat sur Gaza, Israël parvient à éviter de tuer les otages ? Savent-ils où ils sont ? », m’a innocemment demandé une amie. Sa question cristallise les notions républicaines de citoyenneté et de démocratie. Pour nous Français, la République est d’abord un collectif de citoyens et doit œuvrer à la protection de ces derniers. On ne peut pas imaginer une démocratie qui bombarde de manière délibérée ses propres citoyens. Les otages qui ont été libérés après une cinquantaine de jours sous les bombardements ont raconté les horreurs, la peur, le sentiment d'être abandonnés par leur patrie. Selon la presse israélienne, quelques dizaines d’Israéliens ont même été tués par leur armée après des ordres donnés le 7 octobre et depuis. 

Cela fait trois mois que tous les otages auraient déjà pu être de retour parmi leurs familles. Depuis le 8 octobre, Israël a refusé systématiquement les propositions d’accords d’échanges de prisonniers : soit l’échange de « tous contre tous » , soit « l’échange humanitaire » des femmes, enfants et personnes âgées. Certes, grâce à la pression européenne et étasunienne, la majorité des femmes et les enfants ont été libérés lors de la courte trêve d’une semaine. Mais celle-ci a été interrompue par Israël, qui, à la vie de ses citoyens, a privilégié une guerre de vengeance sans objectifs clairs, ignorant par là encore un des devoirs des démocraties.

Une île lointaine imaginaire

Beaucoup croient qu’entre la Méditerranée et le Jourdain il y aurait d’une part l’État d’Israël qui serait une démocratie comme la nôtre – et, d’autre part, ailleurs, comme sur une île lointaine imaginaire, « l’occupation », illégale au regard de la France, de l’Europe et de la communauté internationale. Dans cet imaginaire, Israël et les Territoires palestiniens occupés sont complètement séparés. 

S'agit-il vraiment de deux entités distinctes ? Pouvons-nous qualifier Israël de démocratie et oublier l'occupation ? 56 ans après la guerre de 1967, Israël et l’occupation sont un seul et même lieu, où se trouve environ 15 millions de personnes, pour moitié juifs-Israéliens, pour moitié Palestiniens. Il n’y a qu’une seule frontière extérieure, une seule armée légitime, une seule monnaie, un seul système d'électricité, un seul registre de population – tous contrôlés par le gouvernement élu d’Israël, tous appliqués partout entre la Méditerranée et le Jourdain, y compris dans la bande de Gaza. 

Environ 750 000 colons israéliens constituent près du quart de la population de Cisjordanie et environ 10% des citoyens juifs israéliens. Par exemple, pour eux, aucune frontière n'est réellement identifiable le long de l'autoroute 5 qui relie Tel Aviv à la colonie d'Ariel, pourtant située entre les villes de Naplouse et de Ramallah, au cœur de la Cisjordanie. L’université d’Ariel est même reconnue par l’UNESCO, qui la répertorie comme université israélienne.

Certes, Israël/Palestine, et surtout la Cisjordanie, est l’un des lieux les plus morcelés de la planète. Ce territoire est divisé et sous-divisé. Il comprend de nombreux obstacles, des murs de séparation, des checkpoints militaires, des zones interdites aux Palestiniens. Mais la ségrégation qui l’organise n’est pas géographique (sauf à Gaza), ni même liée à la « Ligne verte », la frontière issue de la guerre de 1948 : elle relève d’un système de division raciale et coloniale qui réduit l’espace à un ensemble de confettis. 

Or, quand il s'agit de savoir qui gouverne cet espace entre la Méditerranée et le Jourdain, seulement 56% de la population peuvent participer aux élections - il s’agit des citoyens d’Israël (dont environ 1.5 millions de Palestiniens), y compris les colons.

Pouvons-nous considérer comme une démocratie un pays dont une grande partie de la population qu'il gouverne est exclue du processus démocratique ?

***

Israël ne peut continuer ni les massacres de civils et la destruction totale de Gaza, ni l’occupation, sans le soutien inconditionnel de l’Europe.

En effet, l'Europe est le premier partenaire commercial d'Israël qui bénéficie de la plupart de ses programmes de coopération, y compris militaires. L'Europe demeure également pour la majorité des Israéliens un référent culturel. En l’absence de la moindre sanction diplomatique, la politique israélienne reste perçue par la plupart des Israéliens comme partie intégrante de la politique européenne.

Des sanctions contre le gouvernement d'extrême droite de Netanyahu seront un acte de solidarité avec tous les habitants d’Israël/Palestine, Palestiniens comme Israéliens. Chaque jour, Israël fait un pas de plus vers la destruction de l’avenir de ces deux peuples. Pour les protéger, en espérant qu'il ne soit pas déjà trop tard, la France et l'Europe doivent intervenir fermement. C'est le devoir des démocraties.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.