Dans ces temps où l’évaluation généralisée, en attaquant la langue, attaque toutes les pratiques, tous les métiers, la pratique psychanalytique est menacée de disparition par son assimilation à une psychothérapie. A rebours de la position de Freud et de Lacan, de nombreux psychanalystes ont souhaité ou accepté que la psychanalyse soit intégrée dans le marché des psychothérapies régulé par l’Etat. Ils espéraient trouver un abri dans cette réglementation : en échange d’un statut officiel, ils ont soumis leur formation, leur pratique et leur vocabulaire au contrôle d’experts incompétents. Mais d’autres psychanalystes refusent de sacrifier la singularité de la pratique psychanalytique : le Manifeste pour la psychanalyse, lancé en 2004, a aujourd’hui recueilli 970 signatures. Ceux qui ont initié ce mouvement publient aujourd’hui un livre éclairant et percutant, le Manifeste pour la psychanalyse. Les auteurs estiment que les psychanalystes doivent aujourd’hui manifester publiquement pour la psychanalyse, en dépassant l’opposition artificielle entre l’individuel et le collectif, pour trouver une écriture du lien entre acte politique et acte psychanalytique. Un symptôme (angoisse, dépression, empêchements divers, agitation de l’enfant), qu’une psychothérapie vise seulement à supprimer, est en fait une précieuse solution trouvée par le sujet pour dire son refus de rester à la place que lui assignent parents ou institutions : le symptôme est un grain de sable dans le système (famille, école, travail). C’est en cela que le symptôme a une portée insurrectionnelle. Le psychanalyste peut dévaloriser la jouissance pathologique du symptôme – c’est ce qui aura un effet de guérison de surcroît – mais il ne doit pas réprimer la rébellion que porte ce symptôme. Sauf à faire le jeu de l’Etat, lequel commence à former des psychothérapeutes habilités à faire purement et simplement disparaître les symptômes par rééducation, suggestion ou médicaments psychotropes, ou par leur recouvrement par de pseudo nouvelles pathologies. C’est sur une conception du symptôme promu à la dignité d’un acte politique qu’une rencontre a eu lieu entre le Manifeste pour la psychanalyse et son éditeur, La fabrique. Les conditions d’un débat au-delà des cercles psychanalytiques sont réunies, parce que ce Manifeste dépasse autant la caricature du psychanalyste enfermé dans sa tour d’ivoire que celle du militant politique embarrassé par la psychanalyse. Parce que l’inconscient, c’est la politique.
Yann Diener
yann.diener@wanadoo.fr
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