Ce soir, je suis allé au théâtre à Privas.
Car oui, amis lecteurs d’outre-Ouvèze, nous avons un théâtre, dans notre plus petite préfecture de France.
Hé oui !
Et du coup, c’est vachement bien, parce qu’on peut aller voir des trucs bien au théâtre de Privas
En général, je veux dire, pas ce soir.
Parce que ce soir, j’y suis allé un peu par hasard, si l’on veut, sans du tout savoir ce que j’allais voir. Pour y aller, en quelques sorte, entre autres parce que c’est chouette d’y aller
(oui, comme ça, si il y a un copain prof de gauche qu’on n’a pas vu depuis un moment, on peut le voir là, par exemple).
Donc, le spectacle s’appelle « Grand symposium : tout sur l’amour », et en voilà la présentation sur le site du théâtre de Privas (je sais pas si je vous ai déjà dit qu’on a un théâtre, à Privas, chez nous…) :
http://www.theatredeprivas.com/tout-sur-lamour/
Donc, ça se présente comme une conférence rigolote sur la question de l’amour, et effectivement, au début, on se marre bien. Elles arrivent à deux sur scène, et on comprend vite que ça repose sur le décalage entre le discours d’un côté de l’experte Catherine qui t’explique l’amour, et de l’autre les intervs foutraques de la clown Emma. Et ça fonctionne bien, même si l’experte est experte de on sait pas quoi mais manifestement pas de la maîtrise du jeu d’actrice, ça visiblement c’est pas son métier. Mais c’est pas grave, ça passe bien quand même, notamment parce qu’au début elle sert surtout de faire-valoir aux intervs de la clown, qui sont parfois un peu convenues (dans la manière de jouer avec les spectateurs, on a déjà vu ça bien souvent), mais globalement très efficaces et très sympas. Et on rigole bien et on se dit qu’on va passer une chouette soirée.
Sauf que malheureusement, les rôles s’inversent progressivement au fur et à mesure du spectacle, et c’est de plus en plus souvent la clown qui sert de faire-valoir au discours de l’experte, qui lui est de plus en plus long et de plus en plus pesant, jusqu’à en devenir à la fin vraiment gonflant.
On a une première alerte quand dans un effet qui aurait pu être pas mal du tout avec un autre contenu, est présentée via la vidéo la parole d’un spécialiste encore plus spécialiste que l’experte. Ce gimmick récurrent qui convoque en quelques sorte à la barre plusieurs témoins issus de plusieurs disciplines (histoire, "gynécologie", anthropologie, physique, philosophie) s’ouvre fort logiquement par la parole d’un historien - noble corporation s’il en est - qui est chargé de disserter vite fait sur les origines historiques du sentiment amoureux.
Bon courage, mon gars, démerde-toi avec ça !
Et là, on a d’abord du mal à y croire, l’historien chargé de nous éclairer savamment est….. Alain Decaux.
Authentique.
J’explique pour les plus jeunes d’entre vous – c’est à ce genre de formule qui vient tout naturellement qu’on reconnaît qu’on est devenu un vieux, by the way - :
Alain Decaux, c’est pas vraiment un historien, c’est un mec qui racontait l’Histoire à la télé quand j’étais plus jeune que vous (comme ça date vraiment pas d’hier, c’est dire si je suis vraiment vieux). En fait, je devrais plutôt dire qu’il racontait « des histoires », parce que son propos, pour captiver le spectateur, était largement romancé, voire parfois un peu fictionnel. Tout cela est très ancien (c’est à ce genre de formule que…), mais je crois me souvenir que, alors môme, j’avais été fasciné par son récit de la malédiction de Toutankhamon et de ces archéologues qui mourraient mystérieusement les uns après les autres pour avoir osé profaner la tombe du Pharaon.
Evidemment, avec le recul et la sagesse qui vient avec l’âge….
Pourtant à ce moment-là du spectacle, on se dit encore que le choix de Decaux est en lui-même une vanne, que c’est pour donner une dynamique très second degré à un parti-pris de conférence faussement sérieuse qui va moquer les discours pseudo-savants sur l’amour.
Pas de bol, en fait on se rend compte que derrière la galéjade il y a la volonté d’édifier son public en lui tenant un discours qui se veut profond mais dont on se dit au fur et à mesure (que Catherine prend l’ascendant sur Emma) qu’il est creux et un peu con quand même. La référence à Freud en début de spectacle avait déjà mis la puce à l’oreille, mais le pot-aux-roses est découvert (pour le mec qui n’avait pas lu le programme avant) quand, au détour d’une évocation de Françoise Dolto, on apprend que la Catherine sur scène est la fille de sa mère Françoise.
[c’est brandi comme un titre de gloire au moment de cette évocation, c’est pourquoi je me suis permis le titre de cet article tel qu’il est].
Je réexplique pour les plus jeunes, qui décidément n’y connaissent rien à rien faute d’avoir connu les temps glorieux que nous avons connus : Dolto, c’est….
Comment dire ?....
Disons que vous prenez ce qu’à été Alain Decaux pour l’histoire à la télé, et vous transposez pour la psychologie et surtout la pédiatrie à la radio.
Mais en pire, et en moins sympathiquement ringard.
Dolto, c’était une cinglée freudienne – pléonasme - qui a tenu le crachoir dans le poste en situation hégémonique voire monopolistique pendant des années. Et, en (très) gros, ses préceptes éducatifs permissifs et foireux sont une des origines du modèle de l’enfant-tyran qui a sévi par la suite et peut-être pourri la vie de pas mal de parents et de leur entourage. Pour en savoir plus, vous pouvez aller voir sur mon blog ces deux billets à son sujet :
Un compte rendu d’un ouvrage biographique qui démolit le mythe Dolto, et qui est suivi en nota bene d’un recueil de citations édifiantes qu’un copain a piochées dans les bouquins de Dolto qu’il s’est courageusement fadés. Et ça vaut le détour :
http://blogs.mediapart.fr/blog/yann-kindo/291013/dolto-une-mise-au-point-final
Un complément avec des réponses aux arguments apportés à mon billet par les doltolâtres :
http://blogs.mediapart.fr/blog/yann-kindo/311013/dolto-complement-au-point-final
Si à ce stade de mon compte-rendu du spectacle vous avez lu ces deux billets, vous aurez compris que maman Dolto était à la fois illuminée et réac [ça va souvent de paire]. Illuminée, elle l’était bien au-delà des habituelles fadaises freudiennes sur l’Œdipe et tutti quanti, puisqu’elle croyait en sus à la psychogénéalogie ou à des pouvoirs psys des gosses, entre autres machins paranormaux. Réac, elle l’était bel et bien, malgré son discours éducatif permissif qui lui a donné de faux airs libertaires. Elle avait entre autre gardé de son milieu natal catholique et maurassien un rejet catégorique de l’IVG. Et ses positions sur l’inceste entre un adulte et un enfant sont juste déguelasses, vous l’aurez constaté.
Ceci dit, ça, c’est la mère, pas la fille, et la seconde ne saurait être tenue pour responsable des errements de la première, et tout cela n’a a priori rien à voir avec le spectacle.
Sauf qu’en fait, sous la pointe émergée et comique et de l'iceberg, on baigne un peu dans cette ambiance illuminée et réac à la fois, et ça m’a coupé l’envie de rire (heureusement réveillée à plusieurs moments par la clown, qui a permis encore de bons moments même vers la fin du spectacle).
Déjà, un peu avant ou après avoir présenté Alain Decaux comme un historien, le récit de Catherine Dolto sur les origines de l'amour présente de fait comme une vérité historique le mythe du matriarcat primitif, mais ça on pouvait s’y attendre, c’est un classique qui a la peau dure :
[Voir à ce sujet : http://cdarmangeat.blogspot.fr/2013/04/reponse-une-non-critique.html ]
Ensuite, la deuxième spécialiste qu’on voit apparaître en vidéo est une gynécologue… taoïste et acupunctrice !!! Je peux pas vous résumer ce qu’elle a dit dans son intervention, ça n’avait ni queue ni tête.
[je laisse ici au lacanisme qui imprègne le spectacle le soin de donner sens au fait que dans l’expression que j’utilise ici il y a la formule éminemment castratrice « ni queue », qui elle même rappelle le « Nique » coïtal, etc. etc.]
Dans la présentation du spectacle sur le site du théâtre, Catherine Dolto est elle-même décrite comme tenante d’une discipline psy parallèle :
« Médecin pédiatre, Catherine Dolto se consacre à l’haptopsychothérapie qui aide à soigner les enfants en tenant compte de leur affectivité. »
[Oui, parce que les autres psys pas hapto, eux ils s’adressent aux enfants sans tenir compte de l’affectivité de ceux-ci, c’est bien connu. Ils sont vraiment trop cons, les autres…]
A un moment, il y a clairement, et dans le sillage de maman, un éloge des ressorts de la « psychologie transgénérationelle », qui est un peu à la psychologie ce que l’astrologie est à l’astronomie :
[pour ce truc-là, la psychogénéalogie, voir : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article888 ]
A un autre moment, pour faire scientifique quand même, Catherine Dolto explique le comportement du mec marié qui a envie de coucher avec une jolie fille croisée dans la rue à l’aide de quelque chose qui ressemble à de la psychologie évolutionniste [=> malgré le vernis de culture monogame il a fondamentalement envie de répandre ses gènes le plus possible un peu partout], mais pas dans la version la plus finaude m’a-t-il semblé. De même, après les salades sur l’amour comme désir de retrouver la paisibilité fusionnelle du liquide amniotique, et pour appuyer le discours néo-freudien sur le fait que tout se joue pour un enfant pour toute sa vie dans sa relation primitive avec sa mère dès les premiers jours voire dès l’utérus, il est fait appel aux mécanismes bien commodes de l’épigénétique, dans une version qui m’a semblé largement abusée (mais je ne pourrais pas l’assurer, je suis pas assez compétent).
Gourou Lacan est évidemment cité, mais je fois avouer que sa phrase répétée deux fois, et qui ressemblait pour une fois de très près à quelque chose comme du français normal avec des règles de grammaire, est plutôt spirituelle et marrante (un truc un peu cynique sur la rencontre amoureuse comme choc de deux illusions, ou quelque chose comme ça). Mais bon, même si j’ai ri, j’ai pas applaudi quand même à ce passage, parce qu’il est pas encore arrivé le jour où j’entrechoquerai mes mimines en hommage à cet escroc.
Bref, au fur et à mesure, le spectacle s’enlise dans des discours de plus en plus longs et lourdingues, avec parfois une petite pointe d’obscurantisme pseudo-scientifique qui affleure de-ci de-là. Il y a même un moment où, grand classique des discours ronflants pseudo-scientifiques et postmodernes, on fait appel à la physique quantique pour expliquer l’amour, tant qu’à faire. Là, je craignais le pire du pire, mais en fait c’était au contraire très bien, puisque c’est Etienne Klein qui est apparu en vidéo, pour un topo autour des particules élémentaires et du fonctionnement quantique du cerveau amoureux dont je soupçonne que Klein lui-même ne l’a pas pris au sérieux, comme s’il voulait surtout arriver à placer un bon vieux jeu de mots bien lourdaud en fin de topo.
Mais aussi, et surtout, ce spectacle est au final vraiment réac, sous ses airs libérés – et Catherine Dolto joue pour le coup très bien ce truc récurrent des freudiens qui consiste à faire croire que les autres sont coincés du cul et que eux osent dire les choses du sexe telles qu’elles sont.
Il y a d’abord ces petites alertes, avec un discours assez anti et vaguement puritain à propos de la pornographie, et surtout un passage allusif sur la PMA dont on n’a pas l’impression qu’il respire vraiment le progressisme.
Mais surtout, surtout, voici le problème fondamental de ce spectacle qui fait que j’ai eu du mal à comprendre comment des copains gauchistes pouvaient faire le coup de la standing-ovation à la fin :
En 1h30 de spectacle – ça m’a paru bien plus long, évidemment -, alors que l’on décortique l’amour sous toutes ses facettes, et que l’on insiste lourdement sur l’idée selon laquelle aimer c’est fondamentalement rechercher l’altérité [un autre mème freudien moderne],
IL N’A JAMAIS, MAIS ALORS ABSOLUMENT JAMAIS, ETE QUESTION D’HOMOSEXUALITE.
Rien, nada, que dalle, ça n’existe visiblement par pour Dolto quand elle parle d’amour.
L’amour, c’est un homme et une femme, point barre, le reste n’est visiblement même pas envisageable ou mentionnable.
Pendant tout le spectacle, je me suis dit « c’est pas vrai, elles ne vont quand même pas oser, c’est pas possible », mais si, elles l’ont fait.
Ainsi, on a baigné toute la soirée dans une atmosphère « un amoureuxt/une amoureuse » à la limite du « un papa une maman », ce qui donnait, quand on prend un tout petit peu de recul, un côté très « Manif pour tous » au propos tenu.
Ce qui n’étonnera pas ceux qui savent qu’en France le freudisme est avec le catholicisme, l’islam et la Deep Ecology un des derniers bastions de l’homophobie compatissante.
Voilà.
Mais sinon, la clown était souvent marrante, hein.
Yann Kindo
PS : Le prochain spectacle du duo, un peu lourdement annoncé après les applaudissements en même temps que la promotion des livres à vendre à la sortie, portera, je vous le donne en mille, sur … l’écologie :
http://chatelet-theatre.com/fr/event/z-humains
ça promet.