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Billet de blog 12 juillet 2014

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Contre Pierre Rabhi (et qu'Althusser repose en paix.)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Quoi, être « contre »  une si sage et si gentille personne, mais comment peut-on  ? Comment oser ne pas être un admirateur de Pierre Rabhi? Et pourquoi ne pas être persan, tant qu'on y est ?

Et pourtant, oui, parfois, il faut prendre un moment pour dégommer les idoles à la mode dans les milieux de gauche. Parce que ça fait du bien, certes,  mais aussi si ça se trouve  pour le bien de  la dite « gauche » aussi, à la limite.

Il y a quelques décennies, dans la gauche française, ou au moins sa fraction étudiante mondaine, une des idoles qu'il était nécessaire de déboulonner était Louis Althusser. Ce philosophe, membre du PCF et maître à penser des futurs premiers maoïstes français, s'était notamment fait connaître par son ouvrage  Pour Marx, paru en 1965. Il n'y a avec le recul que deux raisons qui me viennent à l'esprit pour expliquer la fascination que cette imbittable relecture « structuraliste »  de Marx a pu exercer à l'époque  :

  • la large méconnaissance du marxisme et des écrits de Marx en France dans les années 1960. Méconnaissance qui était d'ailleurs aussi le fait d'Alhusser et de ses disciples de Normale Sup, qui ont quand même réussi à publier un livre pour expliquer aux gens comment  Lire le capital  alors que eux venaient à peine de découvrir le seul tome I au cours de l'été précédent. Althusser confirme cela  dans ses Mémoires, où l'on constate qu'il n'allait vraiment pas bien dans sa tête malgré des années de cure psychanalytique - ou à cause de celles-ci, peut-être -, mais aussi qu'il  avait un peu conscience quand même d'être un imposteur.

  • Deuxième explication possible : la fascination assez typique des intellectuels de gauche français pour des textes abscons et aussi vides sur le fond que prétentieux sur la forme [ce qu'est Pour Marx , j'ai essayé, c'est vraiment illisible] . Althusser n'est qu'un exemple parmi d'autres, on pourrait aussi évoquer Lacan et Derrida pour les pires d'entre eux.

En réaction à la mode althussérienne, de plutôt jeunes intellectuels liés à la LCR avaient en 1974 publié un cinglant recueil intitulé Contre Althusser, Pour Marx  - réédité par les éditions de la Passion en 1999- , qui s'efforçait de faire feu sur l'idole. Œuvre bien utile,  même si c'était partiellement sur le même terrain de la marxologie universitaire un peu pompeuse.

Mais aujourd'hui, si l'on regarde en arrière, on est obligé de constater que les maîtres à penser de la gauche étaient dans les années 60 et 70  quand même d'une autre trempe que ce Pierre Rabhi dont on va parler maintenant. Althusser s'efforçait malgré tout d'inscrire son action dans le cadre d'un grand parti lié à la classe ouvrière, et entendait s'inspirer de Marx et de Lénine plutôt que de réacs comme Proudhon (au mieux) voire  Malthus (au pire) qui influencent largement la gauche « radicale » d'aujourd'hui. Bref, Althusser, ça avait  une autre gueule que Rabhi, dans le rôle du maître à penser inconsistant. On en est là...

Il a été déjà question de Pierre Rabhi plusieurs fois sur ce blog. Pour l'essentiel, à l'occasion d'une visite à sa ferme expérimentale pas loin de chez nous en Ardèche, au cours de laquelle on avait pu constater avec quelques copains de l'AFIS à quel point les méthodes agronomiques du bonhomme sont une sorte d'arnaque qui repose sur l'exploitation de main d'œuvre gratuite et de dons divers et variés, pour aboutir au final à un résultat absolument minable en termes de production, dont auraient honte même les plus incompétents des jardiniers amateurs (dans mon style)

http://blogs.mediapart.fr/blog/yann-kindo/280912/agroecologie-quand-bastamag-voit-ce-quil-croit

http://afis-ardeche.blogspot.fr/2012/09/humanisme-notre-visite-chez-des.html#mor

Je ne vais pas en rajouter ici sur la question proprement agronomique, que l'on peut considérer comme réglée : si on généralisait les illusions et l'incompétence qui règnent à la ferme du Mas de Beaulieu, il y aurait encore plus de sous-nutrition sur la planète que le capitalisme ne réussit déjà à en provoquer.

Insistons donc plutôt sur d'autres raisons pour lesquelles il vaut la peine de se positionner « contre  Rabhi », quitte à peiner les croyants qui l'idolâtrent aveuglément.

D'abord, il faut combattre Rabhi comme on combat toutes les religions, comme autant d'opiums du peuple et de superstitions archaïques. Je ne vais pas revenir sur les sortes de rituels magiques et biodynamiques qui se pratiquent dans sa ferme expérimentale, à l'instar de ce  «  mésenstère de cerf »  qui nous a tant fait marrer après la visite, sorte de talisman gastrique fièrement accroché au toit de la maison pour capter plein d'énergies positives. Non, plus largement, la pensée de Rabhi est fondamentalement une pensée religieuse, et le bougre ne s'en cache même pas :

« Je fonctionne sur une spiritualité qui m’est propre. Je ne peux pas imaginer que la vie soit un hasard, je pressens une intelligence qui régit tout ça que j’appelle le « divin », pas dieu. Je suis persuadé qu’il y a quelque chose qui nous échappe, qui outrepasse nos capacités, il y a un grand mystère dans toute chose. Nous-mêmes, pourquoi nous sommes nés, qui nous a réalisé ? C’est une intelligence infinie qui a créé la réalité dans sa totalité et je ressens ce mystère en moi. Et sans rituel d’aucune sorte, c’est un ressenti presque permanent. Chacun de nous vit en mangeant, respirant... Pour moi ce n’est pas anodin car tellement bien fait et organisé. Je n’ai donc pas besoin de temple ni de prière, lorsque je ne trouve pas de réponses ou de solutions, j’en appelle à ce « divin ». »

Source : http://blogs.mediapart.fr/blog/friture-mag/180614/pierre-rabhi-lorsque-je-ne-trouve-pas-de-reponses-ou-de-solutions-j-en-appelle-au-divin

Invoquer les esprits pour leur demander d'envoyer la pluie ou le soleil pour aider les plantes à pousser, ça reste fondamentalement ça, l'agriculture à la Rabhi. Peut-être qu'il fait comme le nouveau pape et qu'il compte régler le conflit israélo-palestinien [= l'oppression du peuple palestinien par l'état d'Israël]   en
invitant à la prière, faute d'avoir trouvé d'autres réponses ou solutions.

Cet aspect religieux est ce qui a sans doute alerté un autre bloggeur de Médiapart, Jospeh G, qui a consacré un billet à une critique du personnage et de son système :

http://blogs.mediapart.fr/blog/joseph-g/170414/le-cas-rabhi-nie

Joseph G remarque fort justement que puisque l'on baigne en pleine spiritualité, il n'est pas surprenant que les admirateurs de Rabhi aient avec lui une relation qui est celle qu'ont des disciples avec leur gourou. En ce sens, Rabhi est bien un nouveau Lacan, à la différence près que Rabhi, lui, on comprend ce qu'il raconte. Ce qui n'est pas forcément à son avantage...

Par exemple, sur son blog, Rabhi a publié un billet intitulé « Je ne veux pas être un gourou ».

http://www.pierrerabhi.org/blog/index.php?post/2012/07/20/Je-ne-veux-pas-etre-un-gourou

Voilà qui tombe bien. Sauf que, les commentaires sous le billet viennent immédiatement contredire cette sorte d'antiphrase, avec des choses du genre :

« Pierre, Monsieur Rabhi...

Ces billets m'émeuvent aux larmes à chaque lecture tant le verbe est juste et la pensée claire, simple, lucide. Ayant grandi à quelques kilomètres de votre ferme je garde un lien intime avec votre parcours, vos actions, votre chemin. Je suis touchée au plus profond par l'humanisme et l'intelligence de la vision que vous transmettez. J'ai dit un jour pour introduire un de vos textes qu'il existe parmi nous des sages. Vous êtes l'un d'eux. »

« Merci Monsieur Rabhi pour cette lettre d'amour et de dignité.

Inestimable... Je vous aime »

« Votre conscience m'aide a développer ma conscience et à choisir mon avenir en fonction d'une nouvelle manière de penser, de concevoir le monde. »

« On vous aime. »

« Monsieur Rabhi, vous êtes un éclaireur, un porteur de lumières, merci pour votre intelligence et votre amour de l'humanité,c'est la combinaison magique !

Orphelin de votre mère, sachez que toutes les mères sont vos mères. »

« Peut être pas un gourou, mais un être d'exception oui ! »

Et ça continue comme ça à l'infini, que ce soit sur le blog de Rabhi directement ou sur le site de France Inter, quand la station avait fait une journée spéciale de promotion du grand homme simple et bon. On est frappé par le côté essentiellement affectif de ces remarques, et par l'incapacité des laudateurs à discuter le moins du monde de quoi que ce soit d'un peu précis et de tangible en dehors des grandes considérations creuses (et souvent  misanthropes) sur le thème « l'humanité est méchante, heureusement que vous nous montrez la voie de la bonté ». Ce qui est somme toute le créneau sur lequel surfe Rabhi.

Rabhi adulé par ses ouailles qui le gourouifient même quand il proclame qu'il ne veut pas être un gourou, ça évoque forcément cette magnifique  scène de  La vie de Brian  des Monthy Python, dans laquelle les disciples du Messie-qui-ne-veut-pas-l'être- répètent en chœur ses paroles selon lesquelles chacun est différent et doit penser par lui-même [désolé, c'est en anglais]:

Quant au contenu du « message » de Rabhi, il est sidérant de vide et de nullité. Parce qu'au fond, qu'est ce qu'il raconte, en dehors de vagues sentences sur la sobriété heureuse à la façon de Bernard de Clairvaux, l'inspirateur des moines cisterciens ? En gros, face au capitalisme, Rabhi dit ce que l'Eglise catholique nous serine depuis deux millénaires : aimez-vous les uns les autres, serrez-vous un peu la ceinture pour votre bien et remettez-vous en au divin pour le reste. Mais surtout, pas de lutte des classes, hein, ça c'est pêché !

Par exemple, sur Médiapart c'est Jade Liingard qui s'occupe de la promotion des idées écolos et décroissantes. Elle a donc logiquement fait la promo du nouveau livre de Rabhi dans cette interview :

http://www.mediapart.fr/journal/france/251008/pierre-rabhi-le-developpement-durable-est-une-mystification

Voici un passage qui résume la quintessence de la pensée Rabhi :

« Avec le mouvement pour la terre et l'humanisme, nous voulons un changement de paradigme. Sinon, on va continuer à mystifier, à gérer au jour le jour de petites échéances en petites échéances, tranquilliser les gens par une certaine démagogie. Mais sans donner la solution radicale qui est nécessaire : changer de logique, mettre l'humain et la nature au cœur de nos préoccupations. Revenir à une civilisation de la modération, de l'autolimitation. »

«  changer de logique, mettre l'humain et la nature au cœur de nos préoccupations », ça ne mange pas de pain, c'est tellement vague que tout le monde sur l'échiquier politique peut dire ça. Sur le terrain des formules creuses et générales qui ne font de mal à personne le Front de Gauche et son fameux « L'humain d'abord » doivent donc faire face ici à une rude concurrence.

Quand la journaliste l'interroge sur la question des inégalités, Rabhi brasse encore du vide avec  des trucs du genre : « Contre les inégalités, il faut inventer de nouvelles politiques, inventives, locales. ». Oui, inventons des inventions, c'est ça qu'il faut faire, mais c'est bien sûr ! Qui pourrait ne pas être d'accord avec des solutions inventives, surtout si elles sont au niveau local, en plus ? Parce que le niveau local, c'est le bon niveau, c'est sûr, à l'heure où l'ensemble de la production est désormais mondialisée... A part ça, que nous dit Rabhi ? Qu'« il faut des règles éthiques et morales », que « Si une société est généreuse et vraiment préoccupée d'équité, elle résoudra le problème. », que « la société civile est un immense laboratoire d'utopies et d'expérimentations d'intérêt général. », que « nous appelons à l'insurrection des consciences », et que  « L'écologie devrait être transversale. Elle concerne tout le monde, les arbres, les créatures, tout. ». Et bla bla bli et bla bla bla. Ça doit pas demander beaucoup d'efforts, d'aligner comme ça de telles platitude creuses [car oui, Rabhi arrive à rendre creux ce qui est  pourtant plat, c'est en cela que c'est un être d'exception à mes yeux]

Et surtout, en termes de critique du capitalisme et de perspectives politiques pour les exploités et les opprimés, le discours de Rabhi ne pisse pas plus loin que ce que n'importe quel pape moyen peut raconter dans un sermon qui ferait titrer aux journalistes des choses du genre « L'Eglise se place résolument aux côtés des pauvres ».

Dans cette interview avec Jade Lingaard, jamais Rabhi ne prononce  des mots comme « bourgeoisie », « classes sociales » ni même tout simplement « capitalisme ». Tout cela n'existe pas pour lui, il faut juste que chacun se serre un peu la ceinture et tout ira bien.

D'ailleurs, en fait, pour être honnête, je crois à la réflexion que le Pape se préoccupe plus des inégalités sociales et des réalités du capitalisme que ne le fait  Pierre Rabhi.

Ce qui n'est pas très surprenant, parce qu'en fait Rabhi s'accommode très bien du capitalisme et du pouvoir de la bourgeoisie, ce qui doit expliquer pourquoi il est le « penseur » « radical » préféré des bourgeois et du show-bizz.

Dans l'interview à Médipart, Rabhi nous dit :

« L'argent, je ne le diabolise pas. On en a tous besoin, moi le premier. »

Effectivement, on l'a vu dans la reportage de l'AFIS 07 à la ferme expérimentale des disciples de Rabhi : ils en ont besoin, d'argent, vu qu'ils ne produisent que très peu par eux-mêmes, malgré toute la main d'œuvre gratuite à leur disposition. Alors ils font payer les « stagiaires » qui viennent travailleur pour eux, et ils font appel aux dons. Et ce à une échelle semble-t-il très large. Parce que la sobriété heureuse de Rabhi, pour qu'elle puisse se répandre, il faut quand même que de riches mécènes plus heureux que sobres viennent lui donner un petit coup de pouce. Ainsi, comme les ventes des livres et des DVDs du gourou ne suffisent pas encore à mettre assez de beurre dans les épinards, il s'est créé une « fondation Pierre Rabhi » dont voici la liste des membres fondateurs ainsi que le comité exécutif :

 http://www.fondationpierrerabhi.org/fondateurs-et-structures-historiques.php

Aux côté des éditions Actes Sud, on trouve donc d'abord Point Afriques Voyages et son PDG Maurice Freund. Oui oui, une agence de voyages qui organise des transports en avion [quelle horreur !!!!! Et le réchauffement climatique ? Et le repli sur le local ?] pour entre autres aller faire en Afrique des circuits en 4X4 [oh mon Dieu, pas le 4X4, non, pas ça !!!]

Il y a aussi parmi les fondateurs Charles Kloboukoff, dont la « petite » entreprise résiste très bien à la crise, puisque Léa Nature surfe sur le créneau porteur des produits bio et qu'il est à la pointe du très classique processus de concentration du capital qui est actuellement à l'œuvre dans ce secteur florissant:

http://www.agriculture-environnement.fr/dossiers,1/agriculture-biologique,54/la-concentration-dans-le-bio,940.html

« Le 20 mai dernier, le géant du bio Léa nature a pris le contrôle total d’Ekibio, dont il détenait jusqu’alors 40% du capital. Désormais, le groupe de Charles Kloboukoff pèse donc plus de 200 millions d’euros et emploie près de 1000 personnes. Il devient ainsi l’un des leaders incontestés de la transformation des produits bio en France. (…). À l’horizon 2020, son futur holding, baptisé Groupe Léa Biodiversité (et qui réunira Léa Nature et Ekibio) devrait atteindre les 350 millions d’euros de chiffre d’affaires, avec une part à l’international de près de 10 %, notamment vers l’Asie et le continent américain. »

Le local, on vous dit, le local.

La sobriété heureuse, qu'on vous dit, visez petit pour être épanouis, qu'on vous dit.

Mais il y a de aspects du message de Rabhi que son bailleur de fonds a bien enregistrés, il faut arrêter de faire du mauvais esprit :

« Avec une croissance continue oscillant entre 10 et 30% par an depuis dix ans, le groupe affiche une augmentation de son chiffre d’affaires de 11 % pour 2013.

Bref, Charles Kloboukoff n’est pas vraiment un adepte de la décroissance ! En tout cas, en ce qui concerne ses propres affaires. Car le discours n’est plus du tout le même lorsqu’il s’agit, par exemple, de l’Afrique. Selon lui, ce continent ne doit pas profiter du développement que l’on connaît en Occident. « Le monde occidental qui a colonisé ce continent porte une grande responsabilité dans les dérives modernistes que rencontrent les peuples africains. Nous avons tout fait pour les couper de leurs racines et les éloigner d’une vie simple et authentique. Nous avons introduit des méthodes du soi-disant développement qui ne sont pas les leurs, et ainsi suscité des tentations destructrices. L’Afrique aurait très bien pu se passer du consumérisme occidental ! », estime le businessman, qui souligne qu’« heureusement, beaucoup d’Africains vivent encore dans le détachement et la simplicité matérielle ». Autrement dit, dans la pauvreté et la misère. »

«  Je suis convaincu que les produits vivants, qui se développent par eux-mêmes en puisant dans la nature les nutriments dont ils ont besoin, sont plus profitables à l’Homme que les produits sous perfusion d’intrants chimiques », déclare l’homme d’affaires. Pour lui, « ce qui nous manque le plus, c’est cette capacité à écouter la part d’irrationnel en nous. ».

Eloge du naturel et de l'irrationnel et apologie de la pauvreté (pour les autres surtout), la pensée Rabhi n'est pas trahie par la croissance du chiffre d'affaire et l'absence de diabolisation de l'argent dont on a évidemment  tous besoin, et soi-même le premier.

Ensuite, parmi les piliers de la Fondation Pierre Rabhi, il y a fort logiquement François Lemarchand, le fondateur de la chaîne de magasins bobos Nature et Découvertes – qui a aussi par ailleurs sa propre Fondation à son nom, évidemment. Si Bill Gates en a une, il n'y a pas de raison qu'il n'en ait pas. La fortune personnelle de François Lemarchand était estimée à 45 millions d'euros en 2009 [Source : Wikipédia, article sur le bonhomme]. Sans doute François Lemarchand ne fait-il que s'efforcer d'appliquer le bon conseil que donne Rabhi dans son interview à Médiapart :

« Souvent je rencontre des jeunes qui me demandent comment vivre dans la simplicité, avec un simple lopin de terre. Je leur réponds : «Commencez par devenir millionnaires!» La terre est devenue tellement chère. Le foncier fait partie des sujets à repenser. »

En attendant de « repenser le foncier » [encore une formule creuse] et de cultiver son petit lopin de terre, François Lemarchand est déjà devenu multimillionnaire. On verra après pour la suite du projet....

A ses côtés pour soutenir l' « insurrection des consciences » du prophète Rabhi, on trouve également Jacques Rocher, héritier du groupe de cosmétiques Yves Rocher, rien que ça. Mais attention, Jacques Rocher est un écolo, et donc il utilise le profit de l'exploitation de ses employés et de la vente de ses  produits très au-dessus de leur valeur réelle pour faire planter des arbres. C'est pas pareil.

Enfin, le tableau des mécènes Fondateurs ne serait pas complet sans une authentique princesse héritière apparentée à la famille des Grimaldi du Rocher, la ci-devant « Constance de Polignac ». Lisez dans La Croix le récit merveilleux de la rencontre fructueuse entre la « princesse écolo » et le pauvre agriculteur algérien, c'est digne des meilleurs papiers de Gala ou des plus belles histoires de la collection Harlequin :

http://www.la-croix.com/Actualite/France/Constance-de-Polignac-ou-les-aventures-d-une-princesse-ecolo-2013-06-19-975539

Après, c'est sûr, dans le registre « La bourgeoise et le jardinier », on a le droit de préférer « L'amant de Lady Chatterley », quand même... Pour leur part, Rabhi et Constance de Polignac ont ensemble développé un projet de rénovation d'un domaine de la famille en Bretagne. Il faut préciser toutefois, par rapport au récit de La Croix, que, comme toujours, quand il est écrit des choses comme « Ils ont rénové », il faut comprendre qu'ils ont apporté le pognon et/ou leurs envies, et que concrètement ce sont les travailleurs employés qui ont vraiment rénové le domaine et créé la valeur liée à son exploitation.
Celle-ci se présente ainsi :

« Outre son activité hôtelière familiale de haut niveau, Kerbastic est aussi une exploitation agricole et forestière où la préservation de la biodiversité et la production biologique sont une priorité absolue. On y a même fait l’acquisition d’une jument de trait »

 On peut-être sûr qu'avec l'application des méthodes agricoles de Rabhi, le pognon qui rendra l'ensemble viable ne viendra  pas de la production agricole qu'on y fait  mais des dépenses luxueuses de bien être et de divertissement  de bourgeois qui se sont enrichis avec le travail des autres, ce qui est appelé par La Croix une «  activité hôtelière familiale de haut niveau » [sobre et heureuse]

Bref, avec tous ses bourgeois pleins aux as dans la Fondation Pierre Rabhi, il est probable que les membres fondateurs arrivent à donner les 325 000 euros sur les 5 premières années auxquels ils se sont engagés, afin de financer l'activité de Rabhi en synergie avec ses autres structures -  comme il est indiqué dans la présentation de la Fondation.

Tout le monde l'aura donc compris :  le réseau de Pierre Rabhi est une des meilleures opportunités de Greenwashing pour des capitalistes qui aiment la nature. D'ailleurs, dans le Comité Exécutif de la Fondation Pierre Rabhi, aux côtés des habituels charlatans naturopathes et écomédecins, il y a l'incontournable Serge Orru, ancien dirigeant du W.W.F. France, qui a dû quitter ses fonctions dans l'ONG sous pression interne parce que ses méthodes faisaient quand même trop mauvais genre. Il avait notamment été publiquement enfoncé dans un entretien avec Elise Lucet pour l'émission Cash Investigation, spectacle réjouissant qui n'est malheureusement plus disponible en ligne depuis la suppression du lien sur Youtube.

Mais soyons fair-play, et reconnaissons pour finir que Rabhi ne fait pas que récolter la charité de millionnaires pour financer les activités de son réseau de jardiniers incompétents. Il sait aussi donner de sa personne, et les supports de sa parole de type livres ou DVD se vendent sans doute bien et viennent compenser ce que l'activité (très peu) productive ne parvient pas à assurer. D'ailleurs, d'une certaine manière, la parole de Rabhi elle-même est d'or, au sens propre du terme. En effet, Rabhi peut aussi avoir des caprices de diva et sait monnayer ses prêches publics à leur juste valeur (à ses yeux). Par exemple, quand la mairie de Privas en Ardèche l'a sollicité en 2012 pour participer à la semaine du développement durable, il a dû décliner l'offre. Bien qu'il se sentait alors « dans l’optimum de [ses] compétences spécifiques » [= parler pendant des heures pour brasser du vide], il était appelé en d'autres lieux, notamment à l'international – le local, on vous dit, le local- , parce que, on s'en doute, il est très demandé. Ce qui est par contre plus surprenant dans la réponse faite par une collaboratrice de Rabhi aux solliciteurs privadois, c'est leur choix de ne faire participer Rabhi qu'à un événement  « en mesure d’accueillir au minimum 600 personnes et qui soit bien relayée dans les médias. », avec comme conditions (toutefois négociables) de rembourser les frais de déplacement, hôtel et nourriture pour deux personnes [normal] en plus d'un cachet de.... 1000 euros ! [Source de l'information protégée, mais bon, la ville a été gérée par la gauche, alors....]

Pour prendre la mesure de la chose, je précise que j'organise depuis des années dans la même ville des conférences avec des intervenants universitaires dont certains sont des pointures dans leur domaine, et avec tous  infiniment plus de compétences spécifiques à leur optimum que n'en a jamais eues Pierre Rabhi.  Et tous l'ont fait gratuitement, sans rechigner à causer dans un café devant 20 personnes, en étant quasiment toujours logé chez l'habitant,  et alors que certains refusaient même [à mon grand désarroi]  de se faire simplement  prendre en charge leur repas.

Rabhi, lui, en voisin ardéchois qu'il est,  n'avait en gros qu'à franchir le col de l'Escrinet pour venir délivrer son préchi-précha vide de toute information concrète et qui ne demande donc aucun travail de préparation. Pour 1000 euros et devant 600 personnes minimum...

Conclusion :

 L'interview de Médiapart avec Pierre Rabhi était titrée selon ses mots : « Le développement durable est une mystification ».

 Le développement durable, je sais pas.

Mais ce dont je suis sûr, c'est que Pierre Rabhi est une mystification.

Yann Kindo

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