Elle avait démarré très fort, la campagne du PS pour les européennes, avec Harlem Désir qui annonçait que cette campagne allait être centrée sur la nécessité de «rompre avec les politiques d'austérité imposées par les conservateurs » :
Ainsi donc, le premier secrétaire du principal parti qui constitue le gouvernement annonçait que le parti allait mener campagne contre la politique d'austérité, qui est par ailleurs celle du dit gouvernement - gouvernement que l'on peut effectivement, et Désir a raison sur ce point, qualifier de « conservateur » plus que de « socialiste ».
Heureusement que je suis pas freudien, sinon je me mettrais ici à débiter des hectolitres de sornettes sur la « haine de soi » que révèle ce thème de campagne.
Donc, le PS annonce qu'il va mener campagne contre la politique qu'il mène.
OK, ça commence fort....
Autre chose : jetons un œil sur le meeting qu'a tenu à Metz hier soir Edouard Martin, tête de liste du PS pour cette circonscription. A la base, on a quand même là un syndicaliste de chez Mittal qui fait campagne pour le parti qui a regardé son usine fermer, et qu'il avait accusé de trahison pendant la période de lutte contre la fermeture.
Bon, OK,...
Et au meeting du PS, Martin a fait tout son possible pour nous expliquer que le PS, à la limite, ça n'a rien à avoir avec Hollande et Ayrault :
«Je vais être très clair: le PS, ça n’est pas que Ayrault et Hollande», a -t-il déclaré.
Oui, peut-être, si l'on veut, et si l'on aime les investigations au microscope ultra puissant pour explorer l'infiniment petit et retrouver des traces de ses racines ouvrières dans l'actuel Parti dit « Socialiste ». La politique ouvrière au PS, c'est comme les molécules de produit actif dans les produits homéopathiques des laboratoires Boiron : ça a été tellement dilué qu'il n'en reste en réalité rien du tout.
Du coup, Martin a beau essayer d'être très clair, son choix politique apparaît ici quand même comme particulièrement confus. Parce que le PS, c'est quand même un tout petit peu surtout Hollande et désormais Valls, hein, c'est difficile de le nier.
Si on suivait la très grande clarté de Martin, on arriverait à se convaincre que Hollande n'a jamais été premier secrétaire du PS, pas plus que candidat du PS aux élections présidentielle et évidemment pas du tout président de la République soutenu par le PS. Hollande et le PS, c'est très différent, c'est bien clair.
Donc, reprenons : un syndicaliste fait campagne pour ceux qu'il a accusé de trahison peu avant, tout en nous expliquant que le parti du Président c'est très différent du Président.
Bientôt on va nous expliquer le PS est encore le meilleur rempart contre le PS.
…..
Cherchez pas, c'est dialectique.
......
D'ailleurs, il y a toujours un fin dialecticien pour nous expliquer ça, au PS, un représentant de cette chose contradictoire dans les termes qui s'appelle « la gauche du PS ». Celui qui incarne le mieux cette pathétique figure ces temps-ci, c'est Gérard Filoche, ex militant trotskyste devenu pleureuse médiatique officielle pour déplorer les trahisons du parti qu'il appelle dans le même élan à renforcer.
Dans le genre, il a été très bon à la télé récemment, chez Ruquier :
J'aime bien son numéro de clown triste, dans le registre : "jamais je n'aurais imaginé que François Hollande ferait une politique de droite", "je n'y croyais pas quand j'ai appris que Valls était nommé premier ministre" ou encore "41 députés socialistes sur 280 qui s'abstiennent à propos d'un plan d'austérité drastique, c'est une victoire incroyable à laquelle je n'osais pas rêver"
[ce sont des résumés fidèles quoique ironiques de ses propos , pas des citations]
Donc, le mec est membre du bureau national du PS, soit un peu au sommet de l'appareil et au cœur de la bête, mais tout ça il l'avait pas venu venir. Moins d'un quart des députés de son parti s'abstiennent sur un plan d'austérité – ils ne votent pas contre, hein, ils s'abstiennent juste – et lui il en peut plus tellement il nage dans le bonheur face à un signe aussi fort dans lequel il voit un tournant majeur annonciateur de grandes choses à l'avenir
[selon les comptes de nos experts, depuis le début de sa carrière - période LCR incluse - c'est la 883 258e fois que Filoche annonce un moment de rupture importante vers la gauche au sein du PS. Même Elisabeth Teissier n'a jamais fait autant de fausses prédictions, c'est dire.]
Son rôle d'idiot candide amusera peut-être le public de Laurent Ruquier qui le découvre, mais quand on a un peu de recul militant, à force, on est un peu lassé, je dois avouer.
Bref, je résume le tout :
On a un parti qui fait (supposément) campagne contre sa propre politique, avec un candidat qui explique que le PS n'a rien à voir avec ses principaux dirigeants aux affaires, pendant qu'un autre dirigeant explique qu'il faut le suivre dans ses paris sur l'avenir et qu'il a raison vu qu'il n'a rien compris à ce qui s'est passé dans les deux dernières années.
C'est bien « Kafka meets Orwell », en effet.
Yann Kindo