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Billet de blog 26 août 2023

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Ségolène Royal, entre arrivisme et incompétence.

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Parce que je suis d’une candeur infinie et que je m’étonne encore de ce qui ne devrait plus m’étonner, j’hallucine ce matin en voyant dans Le Monde que Ségolène Royal est sérieusement envisagée du côté d’une partie de la France Insoumise pour représenter la gauche aux prochains élections européennes.

Et pourtant, je sais bien que la gauche est dans un profond état de délabrement intellectuel. Pour ma part, je le résume comme ça :

On a d'un côté une gauche "sociétale", écolo woke, pour qui la lutte de classes est devenue la dernière des roues du carrosse, au profit des bidouillages intersectionnels et identitaires qui sectionnent à qui mieux mieux. Disons la gauche Sandrine Rousseau.

De l'autre côté, on a une gauche social-démocrate plus traditionnelle, pour qui la classe ça compte encore un peu, au moins en apparence, mais qui propose toujours les mêmes impasses électoralistes, qu'elle agrémente de plus en plus de trucs réacs et populistes pour "faire peuple", avec une dose de nationalisme voire de poison anti-immigrés. Disons la gauche Fabien Roussel (ou, encore plus nettement en Allemagne : Sahra Wagenknecht dans Die Linke)

Ces deux gauches s’opposent  en de pathétiques concours de tweets, mais en France on a la chance de pouvoir quand même dépasser ces clivages : avec la FI et Mélenchon, on a en effet quelque chose qui synthétise les deux dérives en même temps.

Bref, ça va très mal, tout ce paysage délabré est absolument désolant. OK.
Mais…Ségolène Royal, sérieusement ???

SEGOLENE ROYAL !!!!

Celle-là, quand même, je ne m’y attendais pas.

Je ne comprends absolument pas comment cette politicienne parmi les plus arrivistes et les plus incompétents pourrait être ne serait-ce qu’un tantinet prise au sérieux. Je me suis du coup obligé à faire ici quelques rappels sur certains de ses hauts faits d’armes, pour savoir de quoi on parle.

Souvenez-vous d'abord de l’année 2007. Royal est alors candidate contre Sarkozy aux élections présidentielles. Avec son association « Désirs d’avenir », elle anticipe la geste de Mélenchon consistant à court-circuiter le cadre plus ou moins démocratique des partis politiques pour lui substituer le cadre complètement a-démocratique du « club de supporters à la gloire de notre chef(fe) ». Et pendant cette campagne, dans un duel télévisé, elle s’illustre sur la question du nucléaire, qu’elle met elle-même sur la table. Elle veut piéger son adversaire et se met avec condescendance en mode « prof qui interroge un élève »  - je suis prof, je précise donc que je n’interroge pas mes élèves avec ce petit ton de supériorité insupportable -,   pour lui demander avec insistance s’il sait quelle est la part du nucléaire dans la production électrique française. Tout cela sent le coup bien préparé pour faire le buzz médiatique. A ce moment du récit, pour comprendre la suite, sachez que cette part est alors de 70%, et que ce chiffre est archi connu. Or, Sarkozy se vautre et répond « 50% ». Et là se produit l’impensable : croyant triompher, Royal se ridiculise encore plus que son adversaire et avance le chiffre totalement farfelu de « 17% », avec un aplomb qui na rien à envier à sa suffisance. Voyez ça, avec un fact-checking de l’époque :

Le nucléaire dans le débat Royal-Sarkozy en 2007 © Énergie et développement

Ségolène Royal et la production d'énergie, c’est une longue histoire de fiascos. En 2016, alors qu’elle est ministre de l’environnement – car elle a été ministre, et même de l’environnement – elle inaugure avec enthousiasme un tronçon d’un kilomètre de « route solaire » - une route couverte de panneaux solaires, donc – ,  censée fournir en électricité une ville de 5 000 habitants ( !). Las, le projet est un bide retentissant : les panneaux s’encrassent et produisent rapidement moitié moins que prévu, alors que les voisins se plaignent des nuisances sonores liées au passage des véhicules sur cette chaussé révolutionnaire. En 2022, on estime que la « route solaire » alimente en tout et pour tout 3 logements en lieu et place des 5000 habitants, et on attend sa disparition prochaine.

 Après avoir raconté et fait n’importe quoi en matière de production énergétique, Ségolène Royal s’attaque en 2015 à un sujet au moins aussi sensible pour moi que le nucléaire : le Nutella. Elle appelle en direct à la télé à faire un incroyable geste dont je serais moi-même bien incapable tant il me manque la force et le courage pour en arriver à des telles extrémités : boycotter le Nutella. Vous vous doutez de la raison de cette croisade gastronomique insensée : dans le Nutella il y a de l’huile de palme, et l’huile de palme c’est l’ennemie, « parce qu'il y a eu une déforestation massive qui entraîne aussi du réchauffement climatique» Je ne sais pas si à ce moment-là Madame "17% de nucléaire" réalise que les palmiers sont des arbres, et qu’un ensemble d’arbres proches les uns des autres, ça s’appelle.. comment déjà ?... ha oui : une forêt. Elle se fait reprendre dans le Figaro par un ingénieur agronome qui lui rappelle que « Le palmier à huile produit 8 à 10 fois plus d'huile végétale par hectare que les autres cultures oléagineuses et donc, pour une même production d'huile, il faut occuper 8 à 10 fois moins de superficie. Cela signifie que, dans le contexte d'une culture dans un environnement boisé, on déforestera 8 à 10 fois moins. ». De toutes façons, avant même que ce brave homme ne tente de la ramener à un minimum de logique, Ségolène Royal avait piteusement présenté ses « mille excuses » à Nutella sur son compte Twitter. Encore une victoire sans appel du terrible et surpuissant lobby de la pâte à tartiner chocolatée. Je ne sais pas comment Alexis Corbière et Raquel Garrido peuvent accueillir aussi favorablement la perspective de la candidature d’une telle renégate sur un sujet aussi essentiel à la cause écolo-bobobio, ça me révolte…

 Moins drôle : en 2018, vous en vous en souvenez peut-être, des images avaient beaucoup choqué. En marge de manifs lycéennes, 150 ados sont arrêtées par la police, qui les fait rester pendant plusieurs heures pour certains à genoux par terre avec les mains sur la nuque et la tête baissée, alors qu’un des sadiques en uniforme commente et trouve que « voilà une classe qui se tient sage ». Face à ce qui apparaît aujourd’hui comme une anticipation du climat de violences et d'arrogance policières que nous connaissons, toute la gauche est indignée et proteste.
Toute la gauche ? Non, car du côté du Poitou-Charentes, soit presque la Bretagne, une irréductible Marianne résiste à la pression et estime sur Europe 1 que « Les policiers ont parfaitement bien géré les choses ». Parce que ces sales jeunes, faut bien les mater, si ça se trouve ils mangent du Nutella, ces sauvages.

 En 2019, invitée sur RMC, Ségolène Royal sort de nouveaux chiffres de son chapeau magique. Elle surfe sur la mode du moment et réclame de nouvelles règles en ce qui concerne les épandages de pesticides, avec l’argument suivant : « «Vous vous rendez compte tous les cancers. Vous vous rendez compte qu'une femme sur dix est touchée par le cancer du sein. C'est dû à quoi ça ? c'est dû aux pesticides». Les rubriques de fact-checking de Libération et du Monde se penchent sur l’affirmation, pour constater sur la base de la littérature scientifique et des rapports d’experts que ce qu’elle dit ne repose sur absolument rien et est seulement issu de sa fertile imagination. Axel Kahn, alors président de la Ligue contre le cancer, est lui-même obligé de la rappeler à l’ordre en ce qui concerne les causes réelles des cancers (l'obésité, l'alcool, le tabac, les prédispositions génétiques,  tout ça...). Une fois de plus démasquée, Royal tente alors d’expliquer que « c’est un peu résumé… », elle invoque n’importe comment le « principe de précaution » - à l’égard des pesticides, pas de  ses bobards  - et se prend une nouvelle fois les pieds dans le tapis en évoquant des cancers supposément plus nombreux chez les agriculteurs – ce qui est encore une fois faux.

 L’année 2019 n’est décidément pas favorable la possible future candidate de la gauche unie: c’est l'année où l’on apprend que celle qui est alors  ambassadrice de la France aux négociations sur les pôles, et qui n’a assisté à aucune des réunions en question,  a par contre effectué un aller-retour en avion sur une journée pour se rendre en Islande et y célébrer l’inauguration d’une bateau de croisière de luxe. Le réchauffement climatique, c'est la faute au Nutella, comme chacun le sait....

 Pendant la pandémie de Covid 19, elle a à nouveau l’occasion de s’illustrer en tant que politicienne démago qui raconte n’importe quoi, cette fois-ci – comme beaucoup-  dans le sens du principe de... « au diable les précautions ! ». Elle a ainsi fait partie de la cohorte des supporters de la chloroquine du bon docteur Raoult, et a eu de surcroît la maladresse de tenter de faire disparaître ça en effaçant ses tweets sur le sujet. Pas complètement guérie pour autant, elle remet ça à l’automne 2020 en soutien aux rassuristes qui niaient la deuxième vague de contaminations, et elle se met en mode complotiste pour critiquer les mesures de sécurité adoptées . Dotée d’un culot sans limites, elle critique deux mois plus tard le manque de préparation face à cette deuxième vague. Le rapprochement de ces deux tweets est savoureux :

Illustration 2
Montage de deux tweets de Ségolène Royal en 2020

Après avoir affirmé l’existence de choses qui n’existaient pas, comme les cancers du sein causés par les pesticides, Royal se fait alors plutôt une spécialité de nier ce qui existe vraiment. Après la deuxième vague de Covid, c’est au tour des bombardements russes sur Marioupol d’être l’objet de son négationnisme, après qu’elle a donc changé son fusil d’épaule et décidé de partir en guerre contre la « propagande par la peur ». Elle a ainsi à deux reprises nié les crimes commis par l’armée russe en Ukraine, y compris autour de faits solidement documentés comme le bombardement de Marioupol.

 Bref, depuis longtemps Ségolène Royal est en roue libre et raconte absolument n’importe quoi. Dans son nouveau livre à la présentation absolument ridicule,

Illustration 3

elle ose ces lignes étonnantes que son éditeur, lui aussi incompétent, n’a pas relevées :

 «L'égalité, cette passion bien française, doit être également repensée au vu des effets d'une mondialisation qui la fait reculer tous les jours d'une façon qu'on ne pouvait même pas imaginer et qui fait qu'1 % de la population possède 90 % des richesses du monde, tandis que neuf millions de personnes meurent de faim et par la faute de guerres tous les jours. »

 Les chiffres et les ordres de grandeur, c'est définitivement pas du tout son truc (pas plus que l'indication de références sourcées, ceci expliquant sans doute cela. La fonction "notes de bas de page", ça n'existe pas aux éditions du Rocher ?). La part des bidonnages dans les données chiffrées proposées ici par Ségolène Royal n'est pas de "17%", mais bien de .. 100% !

2 chiffres, deux erreurs, carton plein.  

Tout d'abord, ces fameux 1% ne possèdent pas "90% des richesses du monde", mais 48%, ce qui est déjà suffisamment énorme et indécent comme ça.

Mais surtout.... "neuf millions de personnes meurent de faim et par la faute de guerres tous les jours." … rien que ça ?

 Faisons le calcul ensemble :

9 millions X 365 = 3 285 000 000 morts par an. Autrement dit, presque la moitié de l'humanité meurt chaque année.

Sachez le : dans trois ans il n'y a plus d'humains sur terre. C'est Ségolène qui vous le dit.

Bref, il n’y a au final rien de surprenant à ce qu’une personnalité qui profère autant de stupidités rejoigne la fine équipe de Cyril Hanouna en tant que chroniqueuse.

Et à bien y réfléchir, après avoir ainsi retracé son parcours, je me dis que quelqu’un qui joue la carte de la propagande par la peur à propos des pesticides et du nucléaire tout en minimisant de manière irresponsable les dangers de l’épidémie de Covid  ou l'agressivité de l’armée russe en Ukraine, est en fait peut-être à sa place aux côtés de la France Insoumise.

 Du coup, je comprends mieux.

Yann Kindo

 PS1 : Merci aux potes qui ont attiré mon attention sur les chiffres bidons dans le livre écrit comme on aime. 

PS2 : J'ai insisté ici sur la bêtise de nombre de propos de Ségolène Royal. Pour le machiavélisme de la politicienne arriviste, capable de jeter l'opprobre sur des infirmières scolaires sur la base de toute l'ignorance dont elle est capable, voir ce billet récent de Christian Lehmann. 

PS3 :

Illustration 4

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