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Billet de blog 27 décembre 2014

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Un tribute to la BBC

Longtemps, très longtemps, je n’ai plus eu la télé.Non pas par snobisme gauchiste anti-télé - dont j’espère être désormais dépourvu tout autant que de toute autre forme de snobisme gauchiste -, mais juste par manque d’intérêt,

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Longtemps, très longtemps, je n’ai plus eu la télé.

Non pas par snobisme gauchiste anti-télé - dont j’espère être désormais dépourvu tout autant que de toute autre forme de snobisme gauchiste -, mais juste par manque d’intérêt, par absence de besoin de la chose. J’avais un écran LCD, mais pour visionner des DVDs, pour lesquels tu peux choisir l’heure à laquelle tu le regardes et la langue dans laquelle tu le regardes, c’est quand même mieux. Et comme maintenant tu peux regarder n’importe quel épisode de n’importe quelle série ou n’importe quel match de foot via Internet, j’avais moins que jamais besoin d’une connexion cathodique.

Enfin, sauf une fois tous les 4 ans, pendant la coupe du monde de foot, où là quand même je regrettais de ne pas pouvoir voir les matchs dans de bonnes conditions plutôt que dans le flou avec l’image qui saute toutes les quelques minutes.

Mais il y a quelques mois, j’ai eu la possibilité de me faire installer via le satellite le bouquet anglais, et depuis ma vie a changé. J’enregistre à tout va plein de programmes qui me bottent et que je regarde quand je veux, par exemple avec un plateau repas au retour du boulot. Le bonheur.

Et comme à peu près toutes les chaînes sont sans intérêt hormis celles de la BBC, voici mon hommage à la vénérable institution, sous forme de visite guidée complètement partielle et partiale.

Commençons par ce qui concerne le plus ce blog, à savoir les émissions scientifiques. Alors là, c’est le grand dépaysement, notamment si on prend Arte comme point de repère de ce qu’est une chaîne culturelle française. Assez étrangement, sur la BBC, les émissions scientifiques ont pour but de te faire connaître l’état du savoir sur un sujet et de te faire aimer la démarche scientifique, plutôt que de te présenter façon grand spectacle une terrible menace cachée par de puissants lobbys ou bien encore une théorie alternative qu’un pseudo-Galilée défend tout seul contre le reste de la communauté. D’ailleurs, le BBC Trust a publié en juillet dernier un document faisant le point sur la déontologie de la chaîne en matière scientifique, en précisant bien que dans ce domaine toutes les thèses ne se valent pas, et qu’une chaîne de service public n’a pas à donner un temps de parole égal au GIEC et aux climatosceptiques ni à forcément diffuser des thèses marginales et stupides comme celles des anti-vaccins ou des anti-ondes,  mais qu'elle doit au contraire présenter au public l’état réel du consensus scientifique sur la question.

Voir le document de la BBC

http://downloads.bbc.co.uk/bbctrust/assets/files/pdf/our_work/science_impartiality/trust_conclusions.pdf

Ou encore cet article en français qui présente les enjeux de la chose :

http://plus.lapresse.ca/screens/04a0295d-06cb-4a98-bae6-d8d379bec60d%7C_0

Parmi les programmes scientifiques des chaînes de la BBC – et surtout de la BBC2, qui est un peu la chaîne « éducative » -,  j'ai notamment beaucoup aimé cette émission qui fait le point sur les différences hommes/femmes en ce qui concerne le cerveau et le comportement, en mettant très bien en balance les arguments en faveur de différences socialement construites et ceux en faveur de données biologiques innées :

Tout cela est présenté de manière très pédagogique à partir des problèmes que l’on se pose et d'expériences que l’on peut mettre en place pour trouver des réponses et trancher entre les hypothèses. Un modèle du genre, je trouve.

La fille à droite sur la photo, c’est Alice Roberts, et en plus des programmes scientifiques qu’elle réalise, elle a récemment contribué à la série « The Secret Life of Books », avec un épisode consacré au Frankenstein de Mary Shelley. Là aussi, passionnant de bout en bout. Alice, si tu me lis, je te déclare ma flamme.

Sur BBC2, la nuit, il y a aussi des programmes scolaires très bien faits, sous le chapeau « The Learning zone ». J’avais souvent essayé de les voir sur le Net, à force de tomber dessus en préparant mes cours pour les classes euro, mais le Replay sur le site de la BBC ne fonctionne pas en France. Là, c’est tout un nouvel univers qui s’ouvre pour mes cours depuis que je peux capter/enregistrer les chaînes en direct. Ce sont des formats courts, parfois issus de documentaires plus longs, et qui sont pensés pour être utilisables en classe. Il y a surtout des sciences et de l’histoire, et dans une moindre mesure des arts, de la littérature, des thèmes de société pour ados, etc. Par exemple, il y a évidemment eu cette année une flopée de programmes autour de la Première Guerre Mondiale, dont un très intéressant consacré à la question certes assez bateau des « Women of World War One ». Mais même sur un sujet aussi rebattu, on peut apprendre des trucs, comme l'existence au Royaume-Uni pendant la guerre d'un championnat de foot féminin, afin de combler le manque d'hommes jeunes partis se faire tuer au service des capitalistes britanniques plutôt que d'avoir une activité normale, - c'est à dire taper dans un ballon. Cette expérience de foot féminin a été ensuite prestement interrompue lorsque les hommes sont revenus du front - enfin, pas tous, vu qu'il en manquait quelques dizaines de milliers, évidemment.

Le plus souvent, les programmes de la BBC sont organisées en « series » [et on dit une « series » avec un « s » même au singulier, comme une élève n'a pas manqué de me le rappeler il y a peu pour pointer du doigt toute l'ampleur de mon incompétence sur un sujet pourtant central, on est biend'accord]. Evidemment, beaucoup de fictions fonctionnent selon ce principe feuilletonesque. Dans ce domaine, je n'oserais pas prétendre que la BBC est au niveau de l'américaine HBO, mais quand même, il y a de très bons trucs qu'elle produit, notamment des thrillers aussi flippants qu'accrocheurs, comme l'excellent Luther  avec le fringant Idriss Elba, ou encore le captivant The Fall  avec Gilian Anderson, une série dont je viens de me faire toute la saison 1 en une soirée, pas possible de s'arrêter une fois que j'avais commencé. Heureusement, c'est les vacances.

Je passerais pudiquement sur les soap immémoriaux dont l'histoire familiale s'étale désormais sur plusieurs générations, comme les Eastenders (à l'écran depuis 1985, quand même) sur la BBC ou Coronation Street  sur ITV (une série commencée en... 1960!). Même en remisant tout au fond du placard le snobisme gauchiste, vraiment je peux pas, et je suis à la fois fasciné et hilare de voir dans le salon mes anglaises préférées commenter passionnément le nouveau coup de théâtre improbable, comme ce moment où une dame s'écrie sur l'écran : « arrête de le frapper, même si il a violé ta bien-aimée, car il n'est pas ton neveu, il est.... ton frère !!! » [gros plan sur le visage de l'acteur qui joue comme un pied, fin de l'épisode, suite au cours des 30 prochaines années].

Sauf qu'à la BBC, la logique des séries ne s'applique pas qu'aux fictions, mais aussi aux documentaires, ce qui est assez exotique pour le téléspectateur français. Dans le domaine qui m'intéresse professionnellement, on a par exemple eu ces dernières semaines une série sur les zones de mousson, Wonders of the Monsoon , ou bien encore The Mekong River  au cours de laquelle l'animatrice Sue Perkins, qui d'habitude présente une émission culinaire, voyage depuis l'embouchure jusqu'à la source du Mékong en posant son regard d'occidentale un peu écolo sur les transformations que connaissent la région et ses habitants. Avec un humour et un franc-parler qui détonnent un peu dans cette catégorie d'émissions. Au-delà des moments marrants, comme la rencontre avec ce vieil ermite qui vit retiré dans la forêt primaire... avec son téléphone portable dernier cri qui n'arrête pas de sonner lors de l'entretien (!), il y a plein de choses intéressantes - notamment pour des élèves de Secondes... - sur les enjeux du développement durable. La séquence sur la construction d'un grand barrage hydraulique au Laos illustre parfaitement cette problématique, et met à mal les préjugés de la visiteuse britannique a priori plutôt « conservationniste ».

La BBC est également prolixe dans le registre de ce qui pour moi a toujours fait le charme éternellement renouvelé de la télévision : les reportages animaliers. Et elle l'est avec des moyens toujours plus impressionnants pour filmer la vie sauvage de manière toujours plus spectaculaire ou intimiste. J'ai par exemple bien aimé la nouvelle version de ce documentaire dans lequel un biologiste et un cameraman passent l'été en Alaska littéralement au milieu des grizzlis, dont ils filment la vie quotidienne. Pour tout dire, la vie de famille des grizzlis d'Alaska m'a plus branchée que celle des héros de Coronation Street...

Mais là où la différence est la plus tranchante avec la télé française, c'est en ce qui concerne la littérature et plus encore la musique, pour lesquelles il y a une offre à la fois plus abondante et plus en phase avec mes centre d'intérêts. La BBC2 a ainsi récemment proposé la série  Tomorrow's Worlds , qui est une présentation de quelques grands thèmes de la SF (« L'exploration spatiale », « Le voyage dans le temps », « L'invasion extraterrestre », etc.), avec moult références littéraires et cinématographiques. On peut notamment y voir des extraits d'entretiens avec des gens comme l'écrivain Neil Gaiman ou la productrice Gale Ann Hurd, et ça c'est pas tous les jours. Le seul truc que j'arrive pas piger, c'est l'enthousiasme pour la série Doctor Who, omniprésente, et qui m'a l'air d'être plus ridicule qu'autre chose.

Il faut évoquer ici enfin la chaîne BBC4, qui fonctionne en soirée avec un programme culturel très orienté musique et notamment rock'n'roll. Et là, c'est l'extase. Il y a entre autres la série Classic Albums – passionnantes émissions sur le Tubular Bells  de Mike Oldfield ou le  Wish you were here  de Pink Floyd - , des biographies de groupes ou de musiciens – celle sur Kate Bush m'a fait comprendre pourquoi j'aime bien cette chanteuse ; en fait, son truc qu'elle fait, c'est vraiment du rock progressif - , mais aussi plein de documentaires sur des vraies questions de fond qui méritent effectivement d'être traitées sérieusement et en détails, comme  : « La place de la guitare acoustique dans le rock » ; « L'histoire du riff » ; « L'influence des amplis Marshall »  ; ou bien encore « L'histoire du format "album" ».

Que du bonheur, je vous dis.

Avec parfois ces petits moments de drame, quand même, comme par exemple la fois où j'ai accidentellement effacé de ma clé USB le documentaire d'une heure consacré à l'enregistrement du  Made in Japan  de Deep Purple, alors qu'on devait se le regarder entre copains autour d'une petite bouffe solennelle le soir même. L'horreur. C'est comme ça que l'on perd ses amis.

Je finirais par un commentaire plus général sur la culture britannique, à laquelle je dois présenter mes plus plates excuses, pour l'avoir trop longtemps dénigrée par rapport à la culture américaine.

Ben oui, à la base, tout ce que j'aime en musique, au cinéma et en littérature vient plutôt des Etats-Unis, où ont été créés le blues, le jazz et le rock, les polar hard-boiled et les pulps de science-fiction, et évidemment l'essentiel des meilleurs films et séries télé.

Mais en fait, un jour, lors d'une soirée chez des amis, un mec m'a poussé à une profonde introspection en me disant un truc du genre : « Si on réfléchit bien, en réalité, plein de trucs qu'on aime sont anglais et pas américains ». Et après une intense et douloureuse réflexion source d'une périlleuse remise en cause personnelle, j'ai bien été obligé d'admettre que ma sainte trilogie fondatrice Deep Purple / Led Zeppelin / Black Sabbath  a plus à voir avec Birmingham que San Francisco ; que si je n'avais droit qu'à un disque sur une île déserte il serait british puisque floydien ;  que la New Wave of British Heavy-Metal est bel et bien aussi British que Metal, ; et que, même si on aimerait penser le contraire,  Never Mind the Bollocks , c'est quand même plus tripant que  Kick out the Jams.

Et je sais maintenant qu'en général les British savent produire une télévision culturelle de grande qualité, dont je ne connais pas l'équivalent ni en France ni pour le coup encore moins aux Etats-Unis.

Yann Kindo

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