Grand moment de journalisme dans Le Figaro d'hier, qui me donne l'occasion de faire ce billet bien agréable à rédiger puisque pour une fois ce n'est dans la gauche alter qu'on tombe sur un signe de pensée magique et antiscientifique, mais bien dans un bastion de la droite conservatrice. Voilà, ça, c'est parfait, j'aime quand les choses sont bien rangées comme ça à leur place normale.
Donc l'UMP va très mal ces jours-ci, et c'est très bien ainsi. Empêtré jusqu'au cou dans les affaires, l'inénarrable Jean-François Copé, l'homme des chocolatines volées et du livre satanique avec la maîtresse à poil dedans, a été contraint à la démission. Reste maintenant à établir par la justice son degré exact d'implication dans les fausses factures de l'affaire Bygmalion.
Mais en fait, si j'étais les enquêteurs, je croirais sur parole ce brave Jean-François et j'arrêterais de l'embêter pour si peu, parce que depuis que j'ai lu Le Figaro du 28/05, je sais que « Copé ne montre pas de signe flagrant de dissimulation ». Et comment le sais-je ? Grâce à l'analyse imparable de Stephen Bunard, un « synergologue »
Un « synergologue », avec un nom pareil, ça doit être un type vachement sérieux et compétent. Comment douter encore un seul instant de la bonne foi de Copé quand un synergologue te dit qu'il ne dissimule visiblement rien du tout ? Faut vraiment être un indécrottable sceptique pour ne pas croire à la bonne foi du chef de l'UMP, dans ces conditions. Je veux dire, c'est pas comme si il y avait déjà eu dans l'histoire de cette charmante formation politique des irrégularités massives dans des comptes de campagne présidentielles, non plus...
(voir l'épisode Balladur et Chirac en 1995 : http://www.lutte-ouvriere-journal.org/?act=artl&num=2263&id=16)
Et il fait quoi le synergologue pour arriver à sa conclusion dédouanante ? Il lit et interprète le langage corporel.
Non, pas le marc de café ou les entrailles de poules, le langage corporel, on vous dit.
C'est son métier.
Oui, oui. Sans dec.
Extrait de la prose synergologique :
« Il évoque «l'émotion que je peux ressentir ce soir». Il sous-entend le dépit, la tristesse, mais ce qu'on voit est bel et bien en revanche de la colère: lèvres pincées et sourcils froncés (voir arrêt sur image). De fait, si l'émotion supposée n'est pas celle affichée, elle ne va pas pour autant dans un sens le desservant. Il n'est pas rare de voir des gens qui se voient reprocher injustement des faits ressentir de la colère. »
Ha bon, ben si Copé a les lèvres pincées et les sourcils froncés, tout va bien, alors, c'est qu'il dit la vérité. CQFD.
Recopions encore un peu de cette analyse profonde et sans concession, ce n'est pas tous les jours qu'on a la chance de profiter des lumières d'un synergologue :
« De façon générale, la main gauche est en prise sur la main droite, ce qui atteste d'une spontanéité générale. »
[oui, parce que quand c'est la main droite qui est prise sur la main gauche, ça pue à plein nez le truc pas spontané et la mise en scène, c'est évident]
« «Je vais faire de la politique autrement», la tête penche à gauche (il en éprouve de la détente), le regard part en bas vers la gauche quand il évoque l'amour de la France (un sentiment qu'il va piocher dans son histoire personnelle) et part à droite pour évoquer son avenir (cohérence). »
[C'est dingue tout ce qu'on peut faire dire à un simple balancement de tête, en faisant comme les freudiens et en voyant dans le moindre geste un signe de quelque chose de son histoire personnelle ! On notera que quand Copé penche la tête à droite, c'est « cohérent ». Le mec, si jamais il penche la tête à gauche, c'est un signe manifeste de trahison de son camp politique. Et que penser des mecs de droite dont le pénis porte à gauche, alors ???? Signe d'un Oedipe mal résolu ou d'une tendance à la dissimulation ? L'un ou l'autre.
Cet exemple de pensée magique rappelle le coup de ceux qui jardinent avec la lune en expliquant qu'il faut planter en période de lune descendante les plantes dont on bouffe les racines et les plantes dont on bouffe les feuilles plutôt en lune montante.
Le grand n'importe quoi de la pensée symbolique et de la sémiologie.
Toutes mes excuses à la mémoire de Roland Barthes]
« De même lorsque Gilles Bouleau lui parle d'un «parti saigné à blanc», Copé par sa langue sortie accuse réception de ce qu'il considère être un coup bas du journaliste »
[ou alors, j'ose une autre interprétation, dont je ne sais si elle me vaudra un place d'honneur à l'académie de synergologie : Copé tire la langue parce que il a toujours voulu être bassiste du groupe Kiss, et que sur un plateau e télévision il se sent comme sur une scène et s'oublie un peu sur le moment. Et pourquoi pas ? ]
Mais attention, le synergologue n'est pas un type complaisant. C'est un savant neutre qui observe tout cela du haut de son piédestal en s'appuyant sur un recul historique témoignant des progrès constants de sa science :
« «Je veux leur dire dans les yeux que mon intégrité est totale.» Grâce à «Saint-Cahuzac», on sait qu'un menteur n'a pas forcément le regard fuyant. S'il était de bon ton auparavant de surfer sur l'idée communément admise que le menteur ne saurait regarder l'autre dans les yeux, d'ailleurs Eric Woerth se servit de cet argument avec Laurence Ferrari dans l'affaire Bettencourt, il n'est plus adroit d'arguer de sa bonne foi en étant planté dans le regard de l'autre. Cela étant, Copé présente là encore le profil gauche à ce moment là, ce qui crédibilise son propos. D'autant qu'il ne regarde pas spécialement le journaliste fixement et longtemps en le lui disant. »
Bref, un menteur peut avoir le regard fuyant... ou pas.
La synergologie? c'est comme le freudisme : tu gagnes à tous les coups. Deux choses totalement contraires peuvent être le symptôme de la même cause, c'est juste l'interprète qui décide. Ce qui est bien pratique.
Tu es une fille qui s'entend bien avec son père ?
Oedipe. Classique.
Tu es une fille qui s'entend bien plutôt avec sa mère et est en conflit avec son père ?
Oedipe encore. Mais refoulé.
Classique.
Tout ce discours est typique de ces pseudo-sciences, qui ne sont jamais prises en défaut parce qu'elles peuvent affirmer une chose et son contraire grâce à leurs fondement théoriques creux et protéiformes. Et la conclusion du synergologue emprunte beaucoup à la méthode de ses collègues astrologues, qui font des prédictions suffisamment vagues pour que de toutes façons, quoiqu'il arrive au final, ils puissent dire a posteriori : « je vous l'avais bien dit » :
« Enfin, de nombreux codes inconscients de séduction, les yeux plissés, notamment le gauche, attestent de son désir de nous mettre dans la poche. Mais rien ne dit que celle là soit déjà pleine de ce qu'on lui reproche. Du moins, avec les éléments dont nous disposons dans cette interview de 9 minutes et avec le souci de mettre de côté ce que l'on lit, ce qu'on entend, ce qu'on croit, ce qu'on imagine. Il faudra suivre les développements de l'affaire et les prochaines prises de parole. Même un bon acteur montre tôt ou tard les failles. A condition qu'il joue un rôle de composition. »
Bref, grâce à sa profonde connaissance du lange corporel et à ses fines techniques d'interprétation solidement éprouvées, le synergologue aura réussi à faire avancer la connaissance pour aboutir en gros à la proposition suivante :
" Après une longue analyse, on peut établir qu'il y a deux possibilités : ou bien Jean-François Copé ment, ou bien il dit la vérité. Mais ça, on n'en sait rien et ce sera l'enquête policière qui le dira. "
Merci M. le synergologue pour vos lumières, on n'aurait jamais réussi à établir un tel diagnostic sans votre apport précieux.
On croyait pourtant que la phrénrologie, pseudo-science du XIXe siècle qui lisait le caractère des gens dans la forme de leur crâne, était morte et enterrée. Mais non, en fait, elle a fait des petits, avec la graphologie ou la synergologie.
Bon, au final, il n'y a qu'une seule question qui se pose : mais qu'est-ce qui leur a pris de nous sortir ce clown, au Figaro ? D'habitude, ce canard est certes un journal de droite bien souvent très réac, mais plutôt digne dans le genre, plutôt compétent, avec notamment des pages « sciences » et « santé » bien faites. Faut-il vraiment qu'il y ait panique à bord pour qu'on aille nous chercher un Stephen Bunard et nous le mettre en Une... avant de le planquer vite fait au fond du site dans les heures suivantes face à l'avalanche de commentaires moqueurs des lecteurs.
Et où sont-ils allés le chercher, ce synergologue, d'ailleurs ? En haut-lieu manifestement, parce que Monsieur a des références à étaler : « Stephen Bunard est coach pour dirigeants, synergologue (analyste du langage corporel) et conférencier. Il enseigne à l'ENA, à l'Université Paris-Dauphine et à l'INSEP. Il est l'auteur de «Leurs gestes disent tout haut ce qu'ils pensent tout bas.» First, 2014. »
« Conférencier », c'est un métier, maintenant ?????« Coach pour dirigeants », ça, je sais : c'est un pseudo métier à la con, dans lequel on peut se faire un bon train de vie facile quand on n'est pas soi-même un capitaliste." Bien penser à leur dire de faire un peu de sport pour se relaxer de temps en temps, c'est important de se relaxer et de faire des pauses quand on est un businessman".
Mais surtout : à l'ENA, à Paris-Dauphine et à l'INSEP (?), on donnerait des cours de synergologie et de coaching pour dirigeants ?
Le problème, c'est que notre ami Google a du mal à confirmer ça. « Stephen Bunard + ENA » nous renvoie à des pages et des pages de présentation du bonhomme faites par lui-même ou recopiées par les journalistes qui l'utilisent, mais pas de page de l'ENA elle-même, et on ne trouve pas l'intitulé du cours qui serait donné par Stephen Bunard en ces hauts lieux de production des grands serviteurs de la bourgeoisie :
https://www.google.fr/#q=stephen+bunard+ENA&start=0
Rien sur le site de l'ENA non plus, aucune trace en général d'un enseignement précis de Stephen Bunard, avec un intitulé et une date. Parfois, on trouve l'idée qu'il a fait des interventions dans ces écoles, ce qui est déjà différent d'y donner des cours en y étant recruté. Peut-être a-t-il un jour donné une conférence à l'ENA, et que depuis il se considère comme enseignant de l'établissement ?
Pour Paris Dauphine, c'est plus précis, parce que M. Bunard est effectivement chargé d'un cours dans le Master 2 « Management Financier de l'Entreprise. » ["tu vois, petit, on veut 15% de marge, alors à toi de voir comment dégraisser sans faire de vagues. Mais oui, ça s'apprend, tu vas voir...»]
http://www.dauphine.fr/fileadmin/mediatheque/fiches_formation/plaquette-M2-MFE-2013.pdf
Ceci dit, on notera que son cours n'est pas un cours d' "analyse du langage corporel", mais un cours plus prosaïque de « gestion des conflits et communication de crise ». Là aussi, c'est un classique des tenants des pseudo-sciences que de faire croire que leur discipline a un statut universitaire en arguant d'un cours ou d'un rattachement à un labo... dans une discipline différente. C'est un peu la stratégie d'Elisabeth Teissier qui estime qu'elle a réintroduit l'astrologie à l'université française grâce à sa thèse... en sociologie ! [Thèse honteusement délivrée par un jury de glandus postmodernes.]
En même temps, ce ne serait pas si étonnant que ça que, notamment dans des domaines flous comme le « management » ou la « communication », on trouve des formations universitaires douteuses sur le plan scientifique. Après tout, les départements de psychologie de l'Université françaises restent encore largement aux mains des freudiens, alors que l'on voit des formations de médecine proposer des cours d'homéopathie ou d'acupuncture (en attendant des cours d'imposition des mains et de prière thérapeutique, sans doute).
En tous cas, il a trouvé un créneau bien porteur, Stéphane Bunard, pour s'imposer comme un de ce pseudos experts médiatiques, un de ces « bons clients »qui blablatent dans le vide à longueur d'antenne et qui tournent en boucle dans les différentes médias.
Parce que faire le professionnel de je sais pas quoi pour essayer de savoir si les politiciens mentent est un truc qui vous assure des débouchés larges et constants, le politicien bourgeois se devant quasiment par définition d'être « ontologiquement » un pipoteur.
Par exemple dès qu'il se présente aux élections en disant « Votez pour moi, et ça ira mieux », ou bien encore « nous allons moraliser la finance et encadrer les forces du marché », il pipote, c'est sûr.
Stephen, Stephen, , hé Stephen : t'as vu l'inclinaison de son petit doigt de pied gauche quand il dit ça ???
C'est sûr, il se fout de nous.
Merci Stephen.
Yann Kindo