Vous connaissez peut-être ce visuel que j’adore :

Il tourne depuis un moment déjà et il anticipait la possibilité que les mêmes qui en mars dernier hurlaient pour que la chloroquine soit administrée massivement sans même avoir pris la peine de sérieusement l’expérimenter allaient ensuite nourrir les bataillons de ceux qui refuseraient le vaccin contre la Covid 19 parce qu’il aurait été mis au point trop vite.
Pour trouver aujourd’hui des incarnations de ce positionnement paradoxal, pas la peine d’écumer les pages Facebook de groupes de gilets jaunes complotistes, un regard sur le petit monde des politiciens populistes suffit.
Et parfois, il faut commencer par des rappels, comme celui de FranceTVinfo à propos du positionnement de certains politiques en faveur de la chloroquine. Allez voir ça ici , vous y reconnaîtrez l’incontournable Ségolène Royal (qui entre temps a fait effacer ses tweets prochloroquine, oui, comme dans 1984) , mais aussi Mélenchon et Dupont Aignan, autour du champion du monde Christian Estrosi :

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Au moins Estrosi a-t-il le mérite aujourd’hui d’avoir demandé l’anticipation de la campagne de vaccination, car on va voir que ce n’est pas le cas de tout le monde...
En ce qui concerne le positionnement précis de type :
« Avril : Vite, la chloroquine, il y a urgence !
Décembre : Houlà, doucement sur le vaccin, faut pas se presser ! »
Il faut aller voir chez Dupont Aignan, qui agit en quelque sorte comme une caricature de la caricature :

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On peut lui reconnaître le mérite d’une certain cohérence, puisque cela fait un moment qu’en bon politicien réac Dupont Aignan fait dans la suspicion antivaxx .
Mais comme ce thème de l’antivaccination, et plus généralement de la méfiance par rapport à « Big Pharma », est très porteur ces temps-ci, on voit débarquer sur le terrain de Dupont Aignan les dirigeants de la France Insoumise, qui désormais ne partagent donc plus seulement avec lui un amour immodéré des frontières et du protectionnisme.
Prenez par exemple Jean-Luc Mélenchon, qui le 13 décembre dernier affirmait qu’il ne se sentait « pas rassuré par le vaccin ». Dans cette interview, au moment où il dit : "Je ne sais pas", il aurait dû enchaîner par : "et du coup je ferme ma grande gueule".
Mais non.
Sur tous les sujets qui ont un rapport avec la science, et notamment en matière d'énergie et d'agriculture, le positionnement de Mélenchon est nuisible. La partie où il exprime sa méfiance vis à vis de la technique du vaccin à ARN messager est par exemple très en phase avec sa position sur les OGM.
Quand il s'agit de défendre les frontières et l'arme nucléaire française, Mélenchon se pose en gardien de l'ordre établi et du supposé "raisonnable"
Mais quand il est question de sciences, là il est un vrai rebelle populiste qui incite à se méfier des autorités. Et puisque Mélenchon ne sait pas, au lieu d’inciter à la méfiance par rapport au vaccin, il pourrait peut-être au contraire s’informer et diffuser le contenu de cette petite vidéo d’explication du vaccin à ARN Messager : ce serait un comportement responsable et utile, mais ce n’est évidemment pas le sien.
Cet article du Huffington Post relate l'évolution de la position de Mélenchon sur la vaccination, depuis l'époque où pendant la crise du H1N1 en 2009 il déclarait : "devant les campagnes de santé publique, on fait d’abord la campagne et on discute ensuite” jusqu'à la quasi position inverse aujourd'hui. Un revirement qui sent bon l'adaptation à l'air du temps, pour courir sur cette question après son électorat. Cet autre papier, dans le Journal du Dimanche, détaille les erreurs de Mélenchon sur le vaccin de Pfizer (même si le leader la FI semble être titulaire d'un doctorat en maîtrise de la chaîne du froid, on voit qu'on a affaire à un spécialiste vu qu'il mange des surgelés).
De son côté, François Ruffin a préféré alerter début décembre sur le fait que le « M. Vaccin du gouvernement » est un lobbyiste de Big Pharma . Bon, il se trouve que finalement c’est pas celui-là qui a été mis en charge du dossier. Mais la petite contribution au climat de méfiance a été apportée. Et ce à peu près au même moment où Ruffin défendait une position sur les frontières assez proche de celle du Dupont-Aignan, en opposition à l’idée de libre-circulation normalement portée par l’extrême-gauche. J’en profite pour signaler qu’en cela il est parfaitement raccord avec ce beau monde de la France Insoumise, et notamment avec Frédéric Lordon qui trouve que les frontières ne sont pas mauvaises en soi et qui voudrait des frontières intelligentes
A la limite, quand je regarde leur positionnement ces derniers temps, j’ai l’impression que bien des dirigeants de la France Insoumise sont en fait plus favorables à la libre-circulation du virus qu’à celle des migrants.
Prenez par exemple la députée Mathilde Panot dans cette intervention télévisée du 17 décembre
Quand 1 français sur 2 hésite à se faire vacciner (quel que soit le vaccin, ça date de bien avant les caractéristiques du Pfizer) et qu'on vous demande si vous allez vous faire vacciner, quand on est une personnalité politique responsable, on dit : "oui, bien sûr, dès que je pourrai", et on ne se lance pas dans des considérations oiseuses sur le fait que ce vaccin est "nouveau" et que donc faut se méfier, et patati patata.
Quand on est responsable, on dit aux gens : même si ce vaccin-là ne bloquait pas à 100% la transmission, faites-vous vacciner si vous pouvez, pour contribuer à permettre à la société de commencer à reprendre une vie plus normale (genre : ouvrir les salles de spectacles, les bars et les restos) en diminuant le risque d'engorgement des hôpitaux et en épargnant un peu les soignants épuisés. Parce que quand vous serez vacciné vous tomberez moins malade et vous transmettrez moins le virus quoi qu'il en soit.
Mathilde Panot et le groupe LFI à l'Assemblée Nationale étaient bien moins prudent à propos de la chloroquine quand le 7 avril dernier ils déposaient une proposition de loi de nationalisation de l'usine Famar en justifiant celle-ci par le caractère "hautement stratégique" de cette molécule dans le contexte de la pandémie. Une proposition soutenue alors par un autre anticapitaliste de renom, M. Dupont Aignan :

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La pénurie de vaccins qui s’annonce dans l’Union Européenne faute d’avoir commandé assez de doses a l’air aujourd’hui de bien moins préoccuper Dupont Aignan et la France Insoumise. Pour en prendre conscience, on peut aller consulter si on est anglophone cet article du Spiegel,. Il explique comment l'UE a commandé trop peu de doses des vaccins réellement existants, et ce malgré les offres des labos qui pouvaient en proposer plus... avec pour conséquence probable de considérablement ralentir la sortie du tunnel en Europe. Ce papier, partiellement disponible en français ici, est très utile car il met en lumière soit explicitement soit en creux les vrais problèmes politiques liés à la question de la vaccination contre la Covid. A savoir non pas toutes les âneries technophobes sur le thème "ça va trop vite, c'est pas assez testé, c'est une nouvelle technologie il faut se méfier", terrain sur lequel se sont placés les réacs d'extrême-gauche aux côtés de l'extrême-droite, avec par exemple l'attente gourmande des quelques rares cas de réactions allergiques qu'ils monteront en épingle comme de vulgaires antivaxx à qui ils ressemblent finalement pas mal.
Non, voici les vrais problèmes liés à cette vaccination et qui illustrent la marche capitaliste du monde : la concurrence exacerbée à toutes les échelles et l'absence de planification coordonnée à l'échelle mondiale, qui voit les différents Etats ou blocs d'Etats -comme l'UE- jouer leur propre jeu avec la tentation de faire passer la sécurité de leurs citoyens avant celle des autres, mais aussi la tentation de faire passer la protection de leur industrie nationale avant la sécurité de leurs citoyens (même si la nécessité de refaire tourner leur économie au mieux et au plus vite vient contrebalancer ça). Et surtout, cette quasi loterie que représente le rapport économique à la recherche en système capitaliste, lorsque l'on espère avoir misé sur le bon cheval (ici : Pfizer/ Biontech et Moderna),plutôt que de prévoir un plan d'action global adaptable en fonction de l'arrivée des premiers résultats (y compris quitte à faire produire par les uns le vaccin mis au point par les autres, pour être plus efficaces).
Mais ce n’est pas ce genre de raisonnement qui a cours du côté de la France Insoumise, où sur les questions sanitaires on n’hésite pas, pas plus qu’ailleurs, à faire dans l’obscurantisme anti-science.
En voici un exemple :
Bien avant que Christian Perronne ne devienne ces dernières semaines une star du complotisme grâce à son premier rôle dans le film Hold Up et sa défense intransigeante de la chloroquine, il s’était fait connaître en contestant le consensus scientifique sur la maladie de Lyme et en se faisant le promoteur de l’existence d’une « forme chronique » de cette maladie, non reconnue par les experts. Déjà, il voulait faire prendre aux gens des médicaments (dans ce cas : des antibiotiques) sans que leur utilité n’ait jamais été prouvée.
Or, une proposition de loi avait été déposée le 25 septembre 2019 pour faire reconnaître l’existence de la forme chronique de la maladie de Lyme, et ce à l’encontre du consensus scientifique sur le sujet. C’est un peu comme de déposer une proposition de loi pour que le Parlement reconnaisse la non existence du réchauffement climatique.
Et qui trouvait-on parmi les députés qui ont signé et déposé ce texte ?
François Ruffin.
Et Nicolas Dupont-Aignan.
Si il y a donc chez Ruffin une forme de constance dans l’obscurantisme (voir aussi sa campagne contre la 5G, qui ne s’appuie pas que sur des considérations énergétiques mais aussi sur le bla bla anti-ondes), il y a par contre chez les dirigeants de la FI un problème de cohérence quand ils abordent la gestion de l’épidémie de Covid 19 et les moyens de lui faire face. On sent bien que leur positionnement obéit à des logiques populistes (et certainement électoralistes) en fonction de l’état de l’opinion, et pas à une logique cohérente sur la manière dont la politique de santé doit s’appuyer sur les données scientifiques.
Ainsi Mathilde Panot interviewait le 8 avril une sociologue de la santé qui faisait la promotion de la chloroquine et qui (à partir de 4.30), dans le cadre de sa critique de la politique du gouvernement, disait à 6.20 que c'était pas trop la peine de faire un essai thérapeutique sur cette molécule bien connue, que l'on pouvait donc commencer à en filer tout de suite, et surtout sans faire d'essais en double aveugle qu'elle trouve non éthiques (sic). Et sur la vidéo, je ne vois pas Mathilde Panot s'horrifier (dans sa réponse vers 19 mn) d'une telle prise de risque et du non respect des procédures de validation de médicaments. Elle était moins inquiète à l’époque vis-à-vis de la chloroquine (non testée correctement, c’est à dire sans publis sérieuses), qu’elle ne l’est aujourd’hui vis-à-vis du vaccin (testé massivement sur des dizaines de milliers de personnes avec des publis qui ont franchi tout le parcours de validation par les pairs)
La même Mathilde Panot, qui aujourd’hui veut y aller très doucement sur la vaccination demandait pourtant en novembre des alternatives au confinement dans le cas de nouvelles vagues. Mais si elle ne veut pas de vaccination massive avec les seuls vaccins existant, elle veut quoi , comme alternative au confinement ????? La chloroquine ?
Et voici maintenant le dernier épisode en date de cette triste série, avec cette intervention télévisée d’Alexis Corbière. Ici, ce politicien irresponsable (qui peut-être croit à ce qu'il dit, ce qui n'arrangerait pas grand chose) glose encore une fois sur :
- une supposée opacité autour du choix du type de vaccin (à ARN Messager) . Alors que 1) C'est le seul réellement disponible 2) Jamais aucune recherche scientifique dans l'histoire de l'humanité n'aura été aussi médiatisée, surveillée, et publiquement commentée par toute une communauté d'experts. Corbière entretient la confusion entre opacité sur le choix du vaccin et opacité sur les prix.
- de supposées conséquences inconnues du vaccin, alors que 1) par définition, le nouveau c'est pas encore bien connu en effet, so what ? 2) il y a eu pour réduire considérablement la part d'inconnu des tests sur des dizaines de milliers de gens avant que le vaccin ne soit utilisé dans la population, et... qu'est-ce que Corbière a vu dans les compte-rendu d'études que les experts des agences sanitaires n'auraient pas vu ???
Sur quoi il se fonde pour distiller la méfiance vis à vis de ces vaccins ?
Un des trucs récurrents chez les politiciens populistes ces temps-ci c'est d'étayer leurs conneries en balançant régulièrement dans leur speech : "les scientifiques nous disent..." [ce que les populistes disent]. Corbière répète ça plusieurs fois, mais j'aimerais savoir de quels scientifiques il parle ?
Pas ceux de la FDA, de l'AEM et de la HSA, visiblement.
Ni ceux de l'Académie de Médecine, qui vient de publier un communiqué pour s'alarmer de la lenteur du démarrage de la vaccination en France.
Alexis Corbière évoque encore une fois la nécessité d'attendre le vaccin de l'Institut Pasteur. Ou de Sanofi. Cocorico.
Est-ce faire un faux procès que d'y voir avant tout une forme de patriotisme économique, cohérente avec le reste de leur positionnement politique ? A la fin de son interview sur France Info, Alexis Corbière tient à rappeler qu'il est un "patriote français". Comme Le Pen et Dupont Aignan.
Et d'ailleurs, cette idée qu'il faut y aller molo avec les vaccins nouveaux et en plus germano-américains, pour attendre plutôt ceux de Sanofi ou de Pasteur, cela me rappelle le discours d’un autre politicien, mais lequel ?

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A l'heure actuelle, selon le site de l'Institut Pasteur, ce vaccin n'a pas encore fini la phase 1 :
https://www.pasteur.fr/.../covid-19-vaccin-utilisant...
Du coup, alors qu’on est en situation d’urgence (avec le ras le bol des confinements et l'arrivée du nouveau variant plus contagieux, celui qui commence à faire des dégâts au Royaume-Uni, avec 981 morts en un jour hier), c'est quoi cette "logique" qui se contente d’expliquer qu'il faut se méfier d'un vaccin qui a brillamment passé les tests de phase 2 et 3 pour plutôt attendre l'arrivée d'un vaccin qui n'a pas fini ceux de phase 1 ? Pourquoi Corbière ne dit pas que du coup il propose de renforcer de manière drastique les mesures de confinement pendant au moins 6 mois encore, ce qui est la seule alternative crédible (sauf à laisser mourir plein de gens et à épuiser encore plus les soignants) à la vaccination la plus rapide et massive possible avec les vaccins qui existent déjà ? Parce que Mathilde Panot exige des alternatives au confinement ?
Le rapport bénéfices/risques de l'utilisation des vaccins à ARN messager est phénoménalement favorable, surtout dans le contexte du nouveau variant plus contagieux.
Le rapport bénéfices/risques de l'existence de la France Insoumise, en matière sanitaire, c'est franchement moins net.
De toutes façons, comme le vaccin Pasteur utilise le virus de la rougeole comme vecteur, on imagine à quel point il sera vachement mieux accepté par la population que celui à ARN messager (déjà que y a des dingos qui croient que le SARSCov2 a été fabriqué en laboratoire par Pasteur qui l'avait breveté avant l'épidémie...)
Car il faut bien comprendre qu’une des raisons de l’incroyable lenteur de la campagne de vaccination en France, qui est difficilement compréhensible même dans le cadre des standards d’une économie anarchique et non planifiée, c’est la méfiance vis-à-vis de la vaccination, qui est particulièrement élevée dans l’Hexagone. C’est ce qui est supputé par 20 minutes et plus encore par Médiapart, qui pose la bonne question :
« "À force de précautions, le gouvernement ne perd-il pas de vue la gravité de la crise, le désir d’en sortir au plus vite, l’urgence de protéger les plus fragiles face au virus ? Si les inquiétudes face à ce nouveau vaccin sont levées, l’opinion peut très vite se retourner. »
Si la bonne hypothèse c'est en effet qu'ils y vont doucement pour rassurer une population fortement méfiante par rapport au vaccin, alors c'est peine perdu et c'est même contreproductif.
Cela ne va pas "rassurer" et "faire adhérer" les antivaxx et leurs complices de l'axe "Debout la France Insoumise".
L'expérience a mille fois montré avec les anti-OGM et les anti ondes que quand on leur donne des gages pour les rassurer, ils le voient comme une preuve du fait qu'ils avaient raison d'être inquiets, et sont ensuite encore plus réticents. Là, ça va donner ça : "Si ils vaccinent peu de monde, c'est parce qu'ils ont peur des effets secondaires du vaccin, et donc c'est bien la preuve que celui-ci n'est pas sûr?"
On ne fait pas adhérer à la raison des gens déraisonnables en prenant en compte leur déraison.
Il faut avancer vite et fort, en marchant sur la gueule des antivaxx, et miser au contraire sur un effet d'entraînement qui est une hypothèse bien plus réaliste
On a besoin de bolcheviks de la vaccination et pas de centristes mous du genou
Yann Kindo
Rajout du 10/01/21 :
Si vous trouvez que le billet que vous venez de lire exagère, quand même, alors je vous suggère d'aller lire celui que Mélenchon a publié le 4 janvier dernier. Il s'appelle " Où est passée la France ? Assez de bidouille et de comm !", et s'enfonce dans le nationalisme-populisme comme peut-être jamais encore, en brodant sur le très classique et pétainiste thème de la décadence.
Mélenchon y dit sa préférence pour les vaccins d'antan, plus "traditionnels", et en remet une couche sur la méfiance à avoir par rapport aux nouvelles technologies vaccinales ; ce qui ne l'empêche pas de conspuer le gouvernement pour ne pas avoir distribué plus efficacement le vaccin qui repose sur ces technologies (oui, il n'est pas à ça près...).
Et au passage il nous refait le coup de la chloroquine. Si, si, allez-voir...