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Billet de blog 13 oct. 2018

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Déclaration de 37 professeurs de philosophie de l'académie de Rouen

Faire face aux principes qui fondent la réforme du lycée et entraînent la ruine de l'école, depuis longtemps dévastée par le creusement des inégalités. Faire valoir et mettre en oeuvre le droit de tous à une authentique instruction.

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Déclaration de 37 professeurs de philosophie de l'académie de Rouen

Le 10 octobre 2018

Professeurs de philosophie de l’académie de Rouen, nous maintenons l’exigence que nous avons formulée, sous forme de motion votée à l’occasion des commissions de corrections du bac, et communiquée au Rectorat, aux associations et à la presse, en juin 2018 : le projet de réforme que le ministre Blanquer prétend mettre en oeuvre, concernant l’enseignement au lycée et le baccalauréat, doit être retiré. Nous refusons de débattre du « réalisme » ou de « l’utopisme » d’une telle exigence : la gravité de ce qui est en jeu dans ce projet, brutalement imposé par le Ministère, sans aucun débat public, excède toute considération de cet ordre. D’ores et déjà, nous déclarons que cette réforme ne sera, dans tous les cas, quant au fond, pas appliquée, dans la mesure où nous ne nous soumettrons pas aux principes idéologiques et politiques qui l’inspirent et visent, selon nous, à ruiner les conditions de possibilité et le sens même de l’enseignement dans notre discipline, comme de l’enseignement au lycée, d’une manière générale.

Nous rappelons les raisons qui nous conduisent à porter ce jugement et à prendre cet engagement.

1) Quant aux modalités de l’enseignement :

* la suppression des séries prétend en finir avec l’un des fondements de l’enseignement au lycée : elles réunissent des ensembles cohérents de disciplines visant à préparer les élèves à d’authentiques projets de métier, d’engagement dans la société, et de vie.

* l’enseignement commun (de 3h ou 4h) prévu en Lettres (classe de 1ère), Philosophie (Terminale), Histoire et Géographie, Langues rendrait d’autant plus impossible l’appropriation progressive des outils, des méthodes et des contenus propres à chacune de ces disciplines, qu’il s’adressera à des groupes d’élèves nombreux, qui suivraient des cursus hétérogènes.

* le choix d’ « enseignements de spécialité », proposé aux élèves, dès la fin de la classe de seconde, répond à deux objectifs aussi inadmissibles l’un que l’autre : une conception et une pratique purement utilitaires de l’enseignement et de l’école, et une individualisation radicale des parcours scolaires. Les conséquences de cette option politique sont socialement, moralement, subjectivement désastreuses . Devenant une sorte de bourse aux formations, l’école serait livrée à la seule rentabilité, à la débrouillardise, à la ruse. Soumise aux lois de la concurrence et de la rivalité, elle deviendrait un véritable champ de bataille, régi par un « chacun pour soi » général opposant les établissements, les professeurs, les élèves et leurs familles … C’est très clairement ce que désigne l’un des termes clés des campagnes organisées pour imposer cette réforme : la « réussite », qu’il faut désormais entendre comme la seule perspective de faire partie des « premiers de cordée ».

* la fin d'un véritable baccalauréat de valeur nationale, 1er grade universitaire, qui ouvre le droit pour chaque bachelier de choisir la voie de ses études supérieures.

2) Nous récusons sans réserve les termes et les idées que le Ministère ressasse par tous les moyens et sur tous les tons, dans la véritable campagne de propagande qu’il a orchestrée pour imposer cette réforme :« compétences », « évaluation », « classements », « formation des professeurs » etc ... ces termes sont systématiquement mobilisés pour soumettre tous les acteurs de l’école à l’idéologie violemment concurrentielle et mercantile du « nouveau monde ». Quant aux « experts » en « neuro-sciences » régulièrement appelés à la rescousse pour justifier ces slogans, nous revendiquons l’absolue liberté d’en interroger et vérifier les méthodes : n’étaient-ce pas déjà des « experts » qui, en 2009, avaient soufflé à M. Blanquer, alors Directeur Général de l’Enseignement Scolaire du Ministre Chatel, et du Président Sarkozy, un projet de repérage des « enfants à risque » dès la maternelle ?

Quelles que soient les disciplines, pour les élèves comme pour les professeurs, l’enseignement est d’abord affaire d’engagement dans la pensée, de rigueur, de curiosité et de liberté, de patience et de courage, de générosité.

3) Le ministre justifie son projet de réforme par le constat d’une situation depuis longtemps désastreuse de l’institution scolaire. Depuis plusieurs décennies, notre société s’est en effet honteusement accommodée d’une école qui non seulement reproduit mais creuse les inégalités sociales d’une façon proprement insupportable : les séries ont été perverties en outils de sélection et, sous la loi de la plus brutale concurrence, depuis longtemps hypocritement acceptée au nom de l’« autonomie des établissements », les collèges et lycées qui accueillent les jeunes les plus fragiles ont été abandonnés, jusqu’à devenir de véritables mitards de l’Education nationale. Nul ne peut plus ignorer les effets de cet entêtement politique inégalitaire, qu’il nous faut dénoncer, et faire cesser, en exigeant des Rectorats et des Conseils d’administration de nos lycées, la plus grande transparence et la plus grande équité dans la répartition aujourd’hui sauvage des moyens, des options etc … C’est donc une école défaite, se trahissant et s’autodétruisant inexorablement, que le ministre Blanquer décide finalement aujourd’hui d’euthanasier. Il n’y a là, en réalité, pas d’autre geste que celui d’achever un corps infirme, qu’il a, durant sa propre carrière, largement contribué à mutiler. Où sont les raisons de triompher et de se pavaner, quel sens même y a-t-il à parler, en l’occurrence, de « réforme » ? Notre refus ne signifie donc pas la moindre intention de se satisfaire de la situation actuelle !

4) Contrairement à ce que les commentateurs répètent à l’envi, une réforme ne répond jamais seulement, ni d’abord, à des exigences techniques, ni même économiques. Elle vise essentiellement des effets d’ordre politique, au sens le plus large du terme : les formes de conscience et les conduites qui déterminent l’organisation de la société. C’est de ce point de vue qu’il faut donc d’abord la juger. L’enjeu est d’autant plus grave que ce projet concerne l’école, c’est-à-dire la jeunesse. Nous ne voulons pas d'une école d'inspiration ultra-libérale, « territorialisée », qui flatte hypocritement le consumérisme, s'appuie trompeusement sur une idéologie du libre choix accordé à des élèves de 14/15 ans, fait miroiter des perspectives mirobolantes de réussite et aboutit à une réduction drastique des possibilités réelles d'enseignement au lycée et à une compétition dans laquelle les familles (parents et enfants) en seront pour leurs frais.

5) Un enseignement de qualité suppose, à l’inverse de ce que propose cette réforme, un objectif clair et généreux qui ne soit pas commandé par les seuls impératifs économiques mais vise la formation de l’homme et du citoyen. Nous considérons qu’il est de notre devoir, mais aussi en notre capacité, de reconquérir et faire à nouveau valoir un droit pour tous à une authentique instruction.

Nous appelons les professeurs des autres disciplines, les parents et tous les citoyens à intervenir dans le même sens, et décidons, quant à nous, de nous réunir régulièrement pour approfondir notre réflexion critique sur ce projet, et poursuivre et élargir notre mobilisation pour son retrait, au nom du droit pour tous à une instruction publique, accessible et gratuite.

Willy Abécassis, Lycée jean Prévost, Montivilliers
Karine Artaud Lycée Jeanne d’Arc, Rouen
Adèle Barbin, Lycée Blaise Pascal, Rouen
Edward Barka, Lycée Porte Océane Le Havre
Florent Bussy, Lycée Jehan Ango, Dieppe
Didier Carsin, hon. Lycée Claude Monet, Le Havre
Thierry Cattan, Lycée Aristide Briand Evreux
Frédéric Chanu, Lycée Marc Bloch Val de Reuil
Nicolas Chéron, Lycée La Providence, Fécamp
Denis Collin, hon. Lycée A. Briand, Evreux
Chloé Davaine, Lycée Claude Monet, Le Havre
Bénédicte Delsinne Lycée Galilée, Franqueville Saint Pierre
Nathalie Depraz, UER de Philosophie, Université de Rouen
Edouard Desprez, Lycée Jean Prévost, Montivilliers
Didier Durmarque, Lycée Pierre Corneille, Rouen
Lolita Folliot Lycée des Fontenelles, Louviers
Hadrien France-Lanord, CPGE, Lycée Jeanne d’Arc, Rouen
Marie Pierre Frondziak Lycée Aristide Briand, Evreux
Didier Guilliomet, Lycée François Ier, Le Havre
Armand Guillot, Lycée Guillaume Le Conquérant, Lillebonne
Christopher Hamel, UER de Philosophie, Université de Rouen
Benoît Hanchecorne, Lycée de la Vallée du Cailly, Déville lès Rouen
Catherine Jacq, Lycée Senghor, Evreux
Céline Le Strat, Lycée du Golf, Dieppe
Aurore Lierville, Lycée Saint Joseph, Le Havre
Vincent Malmond, Lycée Jeanne d’Arc, Rouen
Matyas Molnar, TZR académie de Rouen
Myriam Morvan, Lycée Jeanne d’Arc, Rouen
Thomas Morvan, Lycée Gustave Flaubert, Rouen
Yann Mouton, hon. Lycée de la Vallée du Cailly, Déville lès Rouen
Dominique Pourrier-Jouault, Lycée Senghor, Evreux
Lucas Radut, Lycée des Fontenelles, Louviers
Dominique Raoult, hon. Lycée Corneille, Rouen
Jean-Charles Royer, Lycée Claude Monet, Le Havre
Laurence Thomas, Lycée Jehan Ango, Dieppe
Yohann Vincent, Lycée Jacques Prévert, Pont-Audemer
Hanane Zamrane, Lycée Jeanne D’Arc, Rouen

Pour toute correspondance, contacter Vincent Malmond, vincent.malmond@gmx.fr.

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