Faisons un petit effort d'imagination, et supposons que les écologistes proposent une mesure de limitation de vitesse pour diminuer la consommation de carburant. D'un côté, toutes les limitations de vitesse baisseraient de 10km/h. Mais pour ne pas trop fâcher les conducteurs, toutes les amendes pour excès de vitesse seraient plafonnées à 17 €.
Probable que tout le monde parlerait de guignolade, de permis de frauder, etc.
Mais alors, que penser de la réforme des prud'hommes contenues dans la nouvelle version de la loi Macron ? En cas de licenciement injustifié, donc de faute du patron, une PME (donc l'entreprise, donc compensable par les baisses de primes ou gels de salaires des autres employés) ne verserait au maximum que 12 mois de salaire, et encore, ce maximum est limité à 6 mois de salaire si le salarié est présent dans l'entreprise depuis moins de 15 ans. Dans les grandes entreprises, le maximum d'indemnités, pour un salarié employé depuis plus de 15 ans, serait de 2 ans de salaire.
Encore une fois, ces maximums s'appliquent en cas de faute, lors d'un licenciement abusif. J'ai hâte de voir les premiers licenciements "pour l'exemple", lorsqu'un DRH décidera de licencier quelques salariés un peu trop grognons : ça coûte un peu au début, mais une fois que les salariés auront bien compris quelle est désormais leur place, l'application au travail remontera en flêche. Un peu comme pendant la Grande Guerre, pendant laquelle des généraux fusillaient des soldats pour faire remonter le moral des troupes.
Il s'agit aussi, au fond, du passage de la France du système social-démocrate européen (ce que certains appellent ordo-libéralisme, économie sociale de marché, etc.) au modèle anglo-américain. Dans le premier cas, les salariés obtiennent de meilleurs salaires et conditions de travail en échange d'une loyauté envers l'entreprise. Cette loyauté s'incarne dans ce qu'on appelle un peu péjorativement la méthode Toyota, avec laquelle les employés participent à la bonne marche de l'entreprise en proposant des améliorations... Dans le second il y a uniquement une location de la force de travail d'une personne pour une durée donnée et pour des tâches fixées. Pour un employé, « bien faire son travail » n'a aucun sens, il doit juste obéir pendant ses heures de travail aux directives de ses supérieurs. Le résultat est résumé par un journaliste conservateur britannique (qui reprend une analyse de The Economist, quand même pas le journal le plus à gauche) :
« on se moque des français qui travaillent moins que les britanniques, mais la vérité est qu'ils sont tellement productifs que même en partant en week-end le jeudi soir, ils continueraient de produire plus que nous » (source : http://www.telegraph.co.uk/men/thinking-man/11655310/France-is-better-than-Britain-but-were-scared-to-admit-it.html)
Mais bon, tout ça, ce sont des considérations sur le long terme. Pendant les premières années, les salariés ne se seront pas rendu compte du changement et continueront comme avant. Le patronat français du début du XXIème siècle, de son côté, rejoindra ces glorieuses élites qui ont parsemé l'Histoire de France, entre les généraux sus-mentionnés de la première Guerre Mondiale et les nobles français durant la guerre de 100 ans, qui insistaient pour charger à cheval les archers anglais alors qu'en demandant à leurs roturiers armés d'arbalètes de tirer sur les anglais aurait assuré une victoire, certes plus longue à venir et moins glorieuse pour la noblesse de France. Dans tous ces cas, des élites auto-proclamées, sociologiquement consanguines, furent incapables de dépasser le discours qui les justifiait, et préférèrent s'y accrocher jusqu'à la mort plutôt que de remettre en question leur statut. Finalement, rien de nouveau, si ce n'est que des représentants du peuple, censés le défendre, pourraient y participer.