En France, comme il n'y a plus beaucoup de marxistes, la Gauche est Keynésienne. De Mélenchon à Moscovici. Un camarade interrogateur m'a une fois dit: « mais si tu es de gauche, tu es forcément keynésien ! ». Et c'est vrai qu'il est plaisant d'être une personne politique keynésienne : l'État peut imprimer autant d'argent qu'il veut (ou veut autant de déficit qu'il le désire), il est bien d'embaucher des gens même pour ne rien faire tant qu'on réduit le chômage et, finalement, il faut dépenser le plus d'argent possible sur toute sorte d'actions, car cela augmente le PIB. Être keynésien, c'est disposer d'une sorte de Nutella bonne pour la santé. Qui n'en voudrait-pas ?
Bien sûr, il y a la droite, avant une vision complètement différente, car elle est Friedmanienne. L'État ne doit pas dépenser, au contraire, il doit réduire les impôts. L'argent « rendu aux français » leur permet de dépenser plus, et donc d'augmenter l'activité des entreprises et le PIB. Cette vision importée des USA serait beaucoup plus saine que la keynésienne, car elle laisse au marché le soin de décider ce qui sera fait. C'est beaucoup plus démocratique, donc c'est mieux. Et là encore, ce n'est pas grave de faire des déficits, c'est même bon à long terme. Autrement dit, la droite, elle, promet à ses électeurs des frites bonnes pour la santé. Les électeurs sont donc confrontés à un choix cornélien: frites ou Nutella ? Payer moins d'impôts ou recevoir plus d'argent ? Mais aussi, blanc bonnet ou bonnet blanc ? Car dans cette alternative, malgré des moyens différents employés, le but est le même : forcer la consommation actuelle en s'endettant au détriment de la consommation future.
On pourrait croire qu'après 40 ans de ce régime, les français soient les plus heureux du monde. Et pourtant ils râlent encore, car ils ne sont jamais satisfait du résultat. Pour leur défense, il faut bien admettre que la taux de chomage est au-dessus de 9% depuis 30 ans. Mais il suffit de voir l'endettement actuel de l'État pour voir que les gouvernements n'ont jamais (sauf ceux de Bérégovoy et de Juppé, forcés par la mise en place de l'Euro) hésité à faire des déficits. Et maintenant, il faut trouver l'argent pour payer cette dette.
Pour le gouvernement Ayrault, et probablement maintenant pour celui de Valls, et auparavant pour celui de Fillon, il s'agit d'un problème seulement comptable : il faut que les financiers prêtent à un taux bas à la France afin de garder le maximum du revenu des impôts pour dépenser. Ce choix dicte le reste de la politique : il faut prendre les mesures que demandent les créanciers, réduire les dépenses et augmenter un peu les impôts. Pour les oppositions de Gauche et de Droite, ces mesures vont dans le mauvais sens. Pas de réduction des dépenses (après rigueur et austérité, le gouvernement devra donc trouver un autre synonyme pour redevenir compatible avec cette gauche), et pas de baisse suffisante des impôts d'après la droite.
Au Front de Gauche comme au Front National, on propose de sortir de cette alternative en sortant de l'Euro : la nouvelle Banque de France annule la dette de la France, ce qui en prime dévalue le franc nouvellement créé et rend notre économie plus compétitive. Même si cette solution me rappelle toujours le « on le vide, et on est tranquille » de Gaston Lagaffe, il faut reconnaître qu'elle permet de se débarrasser efficacement du problème de la dette... Et donc de continuer pendant encore quelques années en changeant tout (sortie de l'Europe, de l'Euro,...) pour ne rien (les bulles diverses, les inégalités, le manque d'investissement généralisé en France et dans les pays développés) changer.
Solution européenne contre solution nationale, diktat des marchés financiers vs. grande politique de relance (de l'offre ou de la demande, c'est selon), le débat est cadré, il ne reste plus qu'à dérouler, comme d'habitude. Les partis politiques installés font référence à des économistes de renom (Keynes, Krugman, Friedman,...) pour éviter à avoir à penser, et les autres font référence à Jacques Sapir, ou à d'autres économistes alternatifs (néo-chartalisme, etc.). Bref, les partis politiques se servent de prêt-à-penser pour l'économie, un peu comme les démocrates font références à des figures illustres du passé, comme Périclès, dont l'action est pourtant résumée ainsi par les articles fédéralistes:
« ce fut pour servir le ressentiment d'une prostituée que Périclès, au prix du sang et de la fortune de ses concitoyens, attaqua, vainquit et détruisit la République des Samiiens. Ce fut encore un ressentiment personnel contre les Mégarensiens, un autre peuple de la Grèce, ou bien pour éviter d'être poursuivi comme complice dans un vol attribué au statuaire Phidias, ou pour détourner l'accusation que l'on se préparait à diriger contre lui d'avoir dissipé les deniers publics en vue d'acquérir de la popularité, ou pour tous ces motifs réunis, qu'il entraîna son pays dans cette guerre fameuse et fatale, connue dans les annales de la Grèce sous le nom de guerre du Péloponnèse, et qui, après des vicissitudes, des trêves et des reprises, se termina par la ruine de la République d'Athènes. »
Le rappel des faits est parfois cruel pour les grands hommes, qu'ils soient démocrates ou économistes, et on a très souvent tort à se fier à leur réputation plutôt qu'à la réalité. Ce billet est le premier d'une séquence dont le but est d'expliquer pourquoi je pense que le gouvernement Valls va échouer, comme ont échoué tous les gouvernements précédents.