yannick Henrio (avatar)

yannick Henrio

Sociologue et Magasinier des bibliothèques

Abonné·e de Mediapart

62 Billets

0 Édition

Billet de blog 18 mars 2025

yannick Henrio (avatar)

yannick Henrio

Sociologue et Magasinier des bibliothèques

Abonné·e de Mediapart

Mal-logement : les résistances des ménages des classes populaires d'origine étrangère

L’approche au plus près de ménages des classes populaires, mal-logés et d’origine étrangère à Paris, au travers d’une association d’aide aux mal-logés et aux sans-logis située dans le 18ᵉ arrondissement, apporte un éclairage nouveau et complémentaire aux travaux existants. Notamment par l’observation de ces ménages dans leur quête de logement à Paris, qui semblent à même de mettre à jour des formes de luttes, de résistance, mais aussi d’entraide. 

yannick Henrio (avatar)

yannick Henrio

Sociologue et Magasinier des bibliothèques

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Introduction

 L’étude des ménages[1] des quartiers et des classes populaires au sein de grandes villes dans laquelle s’inscrit ce travail de recherche n’est pas nouvelle. Toutefois, l’approche au plus près de ménages des classes populaires, mal-logés et d’origine étrangère à Paris, au travers d’une association d’aide aux mal-logés et aux sans-logis, située dans le 18ᵉ arrondissement, vise à apporter un éclairage nouveau et complémentaire aux travaux existants. D’abord, par l’observation et le suivi de ces ménages dans leur quête de logement à Paris, qui semblent à même de mettre à jour des formes de luttes, de résistance, mais aussi d’entraide, traduisant des rapports sociaux nouveaux ou renouvelés. Ensuite, par la parole donnée à des ménages au mieux invisibles, au pire, stigmatisés, qui expriment ici l’importance du logement dans toutes ses dimensions, et l’importance d’habiter Paris. Dans ce contexte, le logement se présente comme un élément de plus en plus prégnant de l’identité sociale. C’est pourquoi le logement, et non plus seulement le travail, devient une entrée particulièrement pertinente pour l’analyse des enjeux et des tensions qui traversent nos sociétés urbaines, en particulier les rapports de classes et de dominations.

Ce travail de recherche est né du constat d’un certain manque dans l’étude des trajectoires résidentielles des ménages modestes immigrés, de leur résistance face aux transformations sociales, au déclassement, ainsi qu’aux évolutions récentes des grandes villes et des quartiers, soumises, entre autres, à des processus de gentrification. L’existence de résistances et de la mobilisation de ressorts, de la part des ménages des classes populaires pour se maintenir en ville et faire face aux évolutions sociales, reste peu abordée en profondeur (Collectif Rosa Bonheur, 2019 ; Giroud, 2007). En outre, l’orientation des politiques sociales et de logement, de l’État et les collectivités locales s’élaborent souvent à partir d’une approche et d’une lecture spatiale des problématiques, et détermine leur action, avec pour objectif principal de répondre à ce que ces dernières considèrent comme le résultat de déséquilibres dans la répartition socio-spatiale des ménages et des logements sociaux. La question de la concentration redoutée, avec son antidote qui serait la mixité sociale, a émergé dès les années 1970 et a été bien étudiée (Epstein, 2004 ; Tissot, 2005 ; Masclet, 2005 ; Lévy, 2006 ; Houard, 2009) y compris et surtout sous l’angle des relations interethniques (Toubon et Massiah, 1990 ; Boumaza, 1996 ; 2002 ; Bredeloup, 2007 ; Kirszbaum, 2011 ; Clerval, 2013 ; Tanter et Toubon, 1999), pour n’en citer que quelques-uns. Mais notre angle d’approche est moins celui des politiques publiques, fussent-elles locales, que celui des habitants par le prisme de l’association à laquelle ils s’adressent, Comité Actions Logement (CAL), pour obtenir un logement. À Paris ce sont plusieurs milliers de ménages qui adhèrent chaque année à diverses organisations d’aide aux mal-logés ou traitant les problèmes de mal-logement, et plusieurs centaines par an, rien que pour l’association CAL. Mais qui sont ces ménages mal-logés, voire non logés ? Pourquoi doivent-ils attendre tant d’années avant d’accéder à un logement social ? Par ailleurs, il importe de savoir comment ils sont arrivés jusqu’à l’association, et comment celle-ci procède. Peu de réponses sont apportées par les institutions à ces questions et ces problèmes. Or, faute de connaissances fines et de prise en compte de certaines problématiques qui affectent les ménages des classes populaires et d’origine étrangère et, en raison de diagnostics biaisés liés à une vision souvent stigmatisante de ces ménages, les actions frappent souvent à côté de la cible, s’empilent[2] en essayant de corriger les défaillances des précédentes, aggravent ou déplacent dans de nombreux cas les déséquilibres sociaux et spatiaux, sans réussir à enrayer la hausse du nombre de ménages mal-logés ou sans logement personnel[3]. En effet, le regard des institutions et des organismes en charge de la politique sociale ou du logement, porté sur les ménages des classes populaires et d’origine étrangère privilégie l’angle du manque, des défaillances, de l’incapacité, du déclassement des ménages et des difficultés d’insertion, et néglige les capacités singulières, les ressources, l’entraide et les ressorts pourtant bien présents parmi ces ménages des classes populaires et d’origine étrangère.

Un des biais de l’État et des collectivités est de considérer la concentration spatiale de certains ménages[4] des classes populaires comme un des principaux symptômes de dysfonctionnements urbains ou comme résultats de mauvaises gestions et pratiques de bailleurs privés, mais aussi sociaux, et d’un manque de mixité sociale. Le chercheur Nadir Boumaza (1996) qui a notamment étudié les relations interethniques dans la ville résumait bien cette perception dans « Territorialisation des Maghrébins : regroupement contraint et désir de dispersion »[5]. Des travaux plus récents ont mis en lumière des logiques d’ethnicisation et de discrimination dans l’attribution des logements sociaux (Sala Pala, 2013 ; Pan Ké-Shon et Scodellaro, 2011).

L’objet de cette thèse est moins d’analyser les politiques de la ville, par ailleurs bien connues, que de prendre comme objet les ménages eux-mêmes. D’abord en exploitant la source unique que constituent les dossiers de l’association CAL[6], ensuite en étudiant en détail le quotidien de ces ménages parisiens, au nom desquels beaucoup d’actions et de politiques sociales sont engagées. L’accueil lors des permanences de l’association, les visites à domicile et les entretiens ont permis d’approcher le détail de leur vie, leurs parcours, leurs difficultés, leurs pratiques, leurs aspirations et l’issue de leur candidature à un logement social, au travers de la structure associative à laquelle ils ont eu recours.

 L’hypothèse principale est que, comme les ménages des classes moyennes et moyennes supérieures gentrifieurs (Collet, 2015)[7], la plupart des ménages des classes populaires et d’origine étrangère souhaitent vivre et se maintenir à Paris. Pour y parvenir, les ménages des classes populaires engagent beaucoup de démarches, supportent de vivre dans des logements du parc locatif privé en mauvais état (Dietrich-Ragon, 2011), de petite surface, et font des demandes de logement social dans l’espoir d’une attribution de logement à Paris. Dans cette quête, les arrondissements et les quartiers de Paris qui concentrent le plus de ménages des classes populaires jouent un rôle primordial. C’est le cas du 18e arrondissement et des quartiers Goutte d’Or, la Chapelle et Barbès.

Résultant de l’hypothèse principale, l’hypothèse secondaire est que pour les ménages des classes populaires, le logement social (Trevien, 2014) est encore plus qu’auparavant un enjeu autant qu’un moyen de limiter ou d’éviter le déclassement social (Peugny, 2009 ; Robin, 2012), de se maintenir socialement, en permettant de rester à Paris. Le logement social est perçu comme un moyen pouvant même permettre d’accéder à de meilleures chances d’une mobilité sociale ascendante. La localisation du logement aurait donc dans le cas des ménages étudiés une place plus déterminante dans leur trajectoire de vie qu’auparavant. Il ne se limiterait pas, même pour les plus pauvres, à répondre au seul besoin d’un toit sur la tête. Les refus d’attributions de logement social observés confortent cette hypothèse, que j’avais déjà posée dans mon mémoire de master[8].

Le fondement de cette thèse repose sur l’observation de ménages depuis le cœur de l’association Comité Actions logement (CAL), située dans le 18ᵉ arrondissement de Paris dans le quartier de la Goutte d’Or, quartier populaire et arrondissement populaire par ailleurs fort étudié (Toubon et Messamah, 1990 ; Fijalkow, 2006, Chabrol, 2011). Avec un taux de 30,1 % d’ouvriers et employés en 2018 (en recul cependant de 10,1 % depuis 2013),[9] mais largement supérieur à la moyenne parisienne, le quartier compte également une population d’origine étrangère plus importante, avec un taux de 23,1 % pour le quartier prioritaire Goutte d’Or[10], contre 17 % pour le 18e arrondissement, et 14,3 % pour la moyenne des vingt arrondissements de Paris[11].

C’est d’abord en tant que bénévole que dès novembre 2003, j’ai commencé un travail d’observation des ménages, en participant aux permanences d’accueil de l’association et à l’accompagnement des ménages dans leurs démarches afin d’obtenir un logement. Il s’agit bien ici d’un travail d’observation participante où ma position de bénévole m’a rapidement plongé dans la connaissance fine des problèmes des ménages liés au logement, mais aussi dans l’intimité de leur vie, m’amenant à partager leurs joies, leurs malheurs, et la plupart des événements les affectant. Ma position de militant bénévole et la grande proximité avec les ménages observés m’ont permis de renouer avec les méthodes d’observation établies par l’école de sociologie de Chicago de R. Park lequel, pour les enquêtes de terrain qu’il dirigeait ou initiait, a formé à la sociologie des personnes issues des terrains observés. Park a ainsi formé Nels Anderson, qui était un hobo, à la sociologie faisant de lui un sociologue spécialiste des hobos ; de même Louis Wirth qui était un travailleur social est devenu, après une formation en sociologie, spécialiste des ghettos (Emerson, 2001). Dans une démarche similaire, Florian Znaniecki qui était universitaire et qui a étudié avec Thomas William l’immigration polonaise aux États-Unis (Thomas, 1998) était lui-même Polonais et faisait régulièrement les allers-retours entre la Pologne et les États-Unis.

Être issu de son terrain d’étude ou très lié à lui, permet d’avoir un point de vue et un accès privilégié à un ensemble d’informations et de pratiques inaccessibles à un observateur extérieur. Dans mon cas j’ai eu un accès aux plus de 3000 dossiers des ménages adhérents de l’association[12] contenant de nombreuses informations administratives et personnelles, ce qui m’a permis de réaliser notamment un travail de synthèse sur un échantillon de 504 cas. À cela s’ajoute un contact régulier avec les ménages étudiés lors des permanences d’accueil et leur accompagnement dans leurs démarches afin d’accéder à un logement ou régler un contentieux. Enfin, j’ai pendant plus de 18 ans eu une grande proximité avec les membres de l’association et une grande implication puisque j’ai participé à la création de l’association, à l’organisation de celle-ci (permanence, formation, conseil d’administration) et à ses actions (manifestations, occupations, réquisitions, négociations, recours administratifs). Ce rapport privilégié au terrain s’il offre un intérêt indéniable, comporte aussi un risque, qui peut rapidement être avancé à l’encontre de ce travail de recherche et de sa méthode : c’est le risque pour le sociologue de présenter sous un jour avantageux les individus observés et les terrains étudiés. Mais là interviennent l’accompagnement et la relecture de ma directrice et de mon directeur de thèse, qui à chaque étape, m’ont permis d’éviter ce type de dérive et de les corriger lorsqu’elles ont pu apparaître, m’amenant à regarder avec un regard distancié le meilleur comme le pire et de ne pas occulter les aspects moins avantageux de l’association et des ménages. Comme nous l’enseignait dans les années 1990 le professeur de socio-anthropologie Yves Dupont à l’Université de Caen, si le sociologue dans un premier temps réagit à ce qu’il observe à partir de ce qu’il est,  de sa sensibilité, avec son histoire, de sa vision, et comme tout être humain avec des émotions qu’il ne peut pas empêcher de surgir, en tant que chercheur, il se doit après coup de revenir à froid sur ce qu’il a observé, et regarder avec distance son objet pour pouvoir l’analyser. Pour réaliser cette thèse, il a donc fallu à chaque instant marcher en équilibre entre implication comme participant à la vie associative et chercheur observateur scientifique de ce champ.

Dans la première partie, intitulée « Aux origines de la recherche », le premier chapitre retrace mon parcours d’engagement dans l’association dans laquelle et pour laquelle j’ai milité plus de 18 ans. Ce premier chapitre décrit aussi mon évolution de simple militant bénévole, à chercheur en sociologie et comment tout au long de ces années j’ai découvert de l’intérieur les rouages du monde associatif qui lutte contre le mal-logement, et les interactions quotidiennes auxquelles il donne lieu avec le monde des ménages des classes populaires d’origine étrangère en quête de logement à Paris. Un long cheminement m’a amené à imaginer, puis à réaliser une recherche scientifique fondée sur l’observation, les entretiens, et l’analyse statistique d’un large corpus mis à ma disposition par l’association. J’ai eu, avec l’accès à cette masse documentaire et une possibilité quasi illimitée de rencontres, une opportunité de premier ordre. Encore fallait-il trouver la méthode pour collationner et exploiter de la façon la plus efficace ces documents et les multiples contacts et observations des ménages réalisés lors des permanences et la vie de l’association.

Le deuxième chapitre présente l’association, son objet, son organisation et son évolution. Créée en 2004, l’association s’est transformée au fil du temps, ce qui n’est pas sans effet sur la fréquentation, le fonctionnement et l’accompagnement des ménages. Le vote en 2007 de la loi dite du Droit Au Logement Opposable (DALO)[13] a changé la donne pour beaucoup de ménages mal logés, modifiant aussi le rôle et le fonctionnement de l’association.

Le troisième chapitre présente comment, à partir de ce terrain, s’est élaborée la méthode. Outre une observation participante principalement lors des permanences, l’enquête s’est basée sur l’étude des dossiers[14] d’environ 1000 ménages sur plus de 3000 inscrits dans l’association entre 2004 et 2016. Cela m’a permis de réaliser des statistiques et de dégager des profils de ménages en situation de mal-logement établissant une nomenclature proche de celle établie par les administrations en charge des politiques de logement. Parmi l’ensemble des dossiers, j’ai pu reconstituer 504 trajectoires de ménages de leur arrivée en France jusqu’à l’obtention d’un logement social.

En complément de ces observations et du traitement statistiques des dossiers des ménages, une série de 21 entretiens ont été effectués :

18 entretiens de ménages suivis par l’association

1 entretien de la directrice de l’association

1 entretien du responsable logement de la mairie du 18e

1 entretien d’une assistante sociale exerçant dans le 18e

À ces entretiens, s’est ajouté la relecture et l’utilisation de 40 entretiens effectués à la Goutte d’Or, dans le cadre de la recherche du PUCA REV, « Rester en (centre) ville », sur quatre quartiers populaires, à laquelle j’ai participé, dans quatre capitales européennes, Haevert à Bruxelles, la Mouraria à Lisbonne, Volkert et Alliirtenviertel à Vienne et la Goutte d’Or à Paris[15].

Les entretiens réalisés auprès de ménages, aidés par l’association CAL et aujourd’hui relogés, ont eu pour effet de prolonger les récits relevés dans leur dossier, lors de leur inscription ainsi que leur suivi[16], et à habiller de chair l’étude empirique sur documents et les statistiques. Cela a permis de recroiser les discours avec les informations et les observations réalisées des ménages sur une période de parfois plus d’une dizaine d’années. L’observation depuis une association d’aide aux ménages mal-logés ou sans logement, par les contacts qu’elle a offerts, ainsi que l’accès à de nombreuses informations et de nombreux documents concernant leurs démarches pour obtenir un logement social, a permis de retracer de façon détaillée leurs trajectoires surtout pendant la séquence de recherche d’un logement, et pour une partie, depuis leur arrivée en France et leur installation à Paris, suscitant des réflexions sur l’importance de la dimension locale de l’habiter.

La position particulière du chercheur, par ailleurs militant bénévole au sein de l’association Comité Actions Logement, a constitué un atout de taille tant pour la collecte de données que pour le recueil des récits de vie, atout non dénué de pièges sur lesquels je reviendrai.

Dans la deuxième partie, qui vise à faire un état des lieux des connaissances sur le logement populaire dans son versant de mauvais logement, le chapitre 4 s’attache à contextualiser le mal-logement et ses origines, avec le passage en revue des éléments macroéconomiques conjoncturels et structurels qui depuis plus de 20 ans pèsent sur la possibilité d’offrir un logement à toutes et tous, et en regard de ces évolutions, de mettre en avant l’apparition précoce d’éléments de résistance.

Le chapitre 5 revient sur l’origine de l’inspiration de ce travail et l’influence de l’école de sociologie de Chicago. Les enseignements de ses chercheurs ont beaucoup compté dans l’élaboration de cette thèse, qui prolonge la réflexion des précurseurs avec une approche influencée aussi par la sociologie de Bourdieu ; on lui emprunte notamment les notions de rapports de domination et de reproduction sociale. 

La troisième partie se penche sur les ménages parisiens dans la tourmente, d’abord en rappelant la situation générale à Paris puis en s’intéressant de près aux ménages de l’association. Ainsi, le chapitre 6 analyse les effets des évolutions locales tant démographiques que sociales, et revient sur une partie des politiques du logement engagées par l’État et la ville de Paris, avec leurs répercussions sur les ménages.  Le chapitre 7 brosse le portrait général des ménages de l’association inscrits de 2004 à 2016, ayant été suivis dans leurs démarches ainsi que leurs trajectoires résidentielles. Les problèmes principaux qui affectent les ménages du CAL sont passés en revue, avec les conséquences que cela peut produire dans leur quête de logement.

La quatrième partie, enfin, est consacrée à la résistance au mal logement et au repositionnement social par le logement, recherché par les ménages. Cette quête multiforme est retracée dans le chapitre 8, à l’aide d’une série de portraits tirée des entretiens. Sont mis en perspective les parcours de ménages arrivés en France et à Paris jusqu’à leur relogement, sur une période allant des années 1960 à nos jours. Les perdants, qui n’ont pas obtenu de relogement ou qui soudainement ont cessé de venir à l’association sont aussi scrutés, même s’ils n’ont pas pu être interrogés, pour déceler s’il y a des spécificités qui expliqueraient ces échecs et ces disparitions.  

Le chapitre 9, nourri de l’observation des ménages des classes populaires d’origine étrangère et du recueil de leurs paroles, apporte un éclairage nouveau du rôle du logement dans leur trajectoire de vie et en particulier de l’importance stratégique d’habiter Paris. Cette observation permet aussi de comprendre le rejet de la banlieue par ces ménages et le rôle du quartier populaire et de ses ressources dans leur capacité à s’installer et à résister au déclassement. Éclairé par ces différents éléments nous réinterrogeons, dans le chapitre 10, les transformations spatiales et les évolutions qui traversent les quartiers populaires. Nous proposons une relecture de ces changements par une approche sociale des ménages. Une telle approche permet dans un premier temps d'aborder les ressorts dont disposent les ménages étudiés, pour résister et agir, dans l’objectif de se maintenir à Paris et de ne pas déchoir socialement.  Elle permet ensuite d’analyser comment, dans un contexte de recul de l’État social, ils activent ou réactivent des ressources qui prennent appui sur les interrelations liées à leur quartier. L’existence de capacités Le fait que des ménages des classes populaires et d'origine étrangère développent des capacités leur permettant de se repositionner socialement - par le logement notamment -, ou du moins d'éviter ou retarder leur déclassement social, nous invite à faire le rapprochement avec les stratégies de certaines fractions de ménages gentrifieurs, des classes moyennes et moyennes supérieures. Cette proposition est développée dans la dernière partie du chapitre. Enfin, la conclusion permet de reprendre les hypothèses de départ, en les confrontant aux résultats obtenus.

[1] Ménage : Dans toutes les analyses du logement, le concept de ménage est l’élément clé qui permet aux statisticiens, démographes et économistes de relier les domaines de la famille et de l’habitat. C’est une unité statistique repérée à un moment donné selon un critère de résidence. Font partie du ménage toutes les personnes habitant normalement dans le logement, quel que soit leur lien de parenté, incluant donc les personnes absentes de longue durée qui sont appelées à y revenir (malades en cure, militaires, enfants placés dans un internat, jeunes en foyer, ouvriers logés dans des habitats de chantiers). Il s’agit du logement habité de façon permanente, c’est-à-dire de la résidence principale.

On distingue quatre types de ménages :

– les couples : les couples mariés mais aussi vivant maritalement (dits de fait) ;

– les familles monoparentales : composées d’un parent et de ses enfants (quel que soit leur âge s’ils n’ont pas de conjoint) ;

– les personnes seules ;

– les autres ménages sans famille : composées de plusieurs isolés.

Définition par Catherine Bonvalet et Denise Arbonville, site « politique du logement » :

 https://politiquedulogement.com/dictionnaire-du-logement/m/menage/

[2] Cour des comptes, 2012, rapport public "La politique de la ville une décennie de réformes".

[3] Fondation Abbé Pierre. « Rapport sur l’état du mal-logement en France » de 2005 à 2022.

https://www.fondation-abbe-pierre.fr/actualites/26e-rapport-sur-letat-du-mal-logement-en-france-2021.

[4] « La conférence du logement de Paris : priorité à la mixité sociale | La préfecture et les services de l’État en région Île-de-France », 12 juillet 2019. https://www.prefectures-regions.gouv.fr/ile-de-france/Actualites/La-conference-du-logement-de-Paris-priorite-a-la-mixite-sociale.

[5]« Ces concentrations préoccupent les responsables des collectivités et de l'État parce qu'elles généreraient des ghettos et des dysfonctionnements sociaux. La prévention de tels phénomènes pose ainsi la question de leur genèse et des processus qui y conduisent. Ces processus mettent en œuvre et en scène différents acteurs. Les habitants des quartiers qui en font partie, peuvent alors être appréhendés comme sujets passifs de mécanismes de ségrégation sociale, ou bien comme agents responsables, pour partie du moins, de leur situation résidentielle. C'est ainsi que la dénonciation commune des "ghettos" suggère l'idée que leur constitution résulte quelque peu de tendances des immigrés à l'agrégation. Les appartenances culturelles et religieuses, la similarité des conditions de vies des minorités et des étrangers, les pratiques économiques et les modes de vie tendraient, de ce point de vue, à renforcer d'autant plus les rapprochements résidentiels que les modes d'accès aux logements font activer les réseaux d'interconnaissance et les solidarités de groupe », Boumaza N., 1996, « Territorialisation des Maghrébins : regroupement contraint et désir de dispersion », dans Authier J.-Y. (dir.), La ville, agrégation et ségrégation sociales, L’Harmattan, (Habitat et sociétés), p. 31-53.

[6] Dossiers remplis par les militants du CAL qui permettent le suivi des ménages dans leurs démarches et qui regroupent tous types de documents administratifs et courriers concernant leur situation : leur identité, leurs revenus, demande de logement, convocation en justice, avis d’expulsion, courrier du propriétaire, recours, photo du logement, rapport sociaux, rapport des services techniques de l’habitat, lettre de médecin, etc. exemple de dossier vierge (voir chapitre 3 partie 3.1 document 2 : Dossier type du CAL et les documents utiles au suivi).

[7] Il s’agit en utilisant ce terme de reprendre l’approche et la notion développée par Anaïs Collet, dont le travail porte moins son attention sur les processus de gentrification en eux-mêmes, que sur les ménages qui en sont acteurs, qui produisent et alimente le processus.

[8] Soutenu en 2013 sous la direction de Claire Lévy-Vroelant, et intitulé : « Paris à tout prix ! », Université de Paris 8 Saint-Denis.

[9]APUR. Données de 2018 « Data Portraits Paris/Grand Paris – arrondissements, communes, territoires - Cartes ». Apur, 2019 et 2021. http://www.apur.org/.

[10] Estimation démographiques 2017 « Quartier Prioritaire Goutte D’Or - Quartier prioritaire de la politique de la ville de la commune : Paris 18e - SIG Politique de la Ville ».

 https://sig.ville.gouv.fr/Cartographie/QP075012.

[11]APUR. Données de 2018 « Data Portraits Paris/Grand Paris – arrondissements, communes, territoires - Cartes ». Apur, 2019 et 2021. http://www.apur.org/.

[12] Depuis le 25 mai 2018, date d'entrée en application du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), l’association s’est conformée aux règles de protection des données personnelles. L’enquête de terrain pour cette thèse ayant été réalisée avant cette date n’était pas soumise à ces règles. Néanmoins une autorisation d’accès et d’utilisation des fichiers et dossiers a été demandée aux membres du bureau de l’association et n’a été accordée qu’avec la garantie de l’anonymisation des ménages.

[13] Loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.

[14]Voir l’exemple de dossier de l’association CAL en Annexe 2

[15]  Fijalkow Y., Levy-Vroelant C.(dir.), 2016, PUCA 092- « Rester en (centre) ville. Résistance et résilience de la ville ordinaire dans quatre quartiers de villes capitales : Paris, Lisbonne, Bruxelles » , Vienne. PUCA, « La ville ordinaire et la métropolisation » : Centre de recherches sur l’habitat, UMR LAVUE, CNRS. Centre de recherche sur l’habitat - CRH, 2016. http://www.crh.archi.fr/Rester-en-centre-ville.

[16] Voir notes de dossiers de suivi annexe 4.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.