Bien avant que la crise financière et immobilière de septembre 2008 touche l’Europe de plein fouet, la crise du logement s’était déjà imposée comme principale préoccupation des Européens. Partout en Europe, en moins de 20 ans, les prix de l’immobilier mais aussi des loyers se sont envolés, avec une nette accélération depuis la fin des années 90, au point que le « budget logement » est devenu dans quasiment tous les pays de l’union européenne le premier poste de dépense des ménages. Conséquence directe de ce phénomène, le nombre des mal-logés et de sans-logis ne cesse d’augmenter, on voit réapparaître autour des grandes villes, les bidonvilles ; le nombre de ménages en situation d’impayé et les expulsions, augmente rapidement et gravement. Enfin, le secteur de la construction tourne au ralenti, le nombre des ventes est en chute libre, le prix de l’immobilier a subit un coup de frein.
Les origines de la crise du logement sont identiques dans l’ensemble de l’Europe
D’abord une forte précarité qui s’est répandue notamment dans le monde du travail, mais aussi un recul fort des protections sociales. Les salaires ont augmenté peu ou pas, et surtout moins vite que le coût de la vie, notamment la nourriture mais surtout le logement. Cet appauvrissement a forcé nombre de ménages à s’endetter dans des proportions importantes afin de conserver ou d’accéder à une certaine qualité de vie, aux biens de consommation courants, voir aux biens de première nécessité, qui jusque dans les années 80 avaient vu leur poids baisser dans les budgets des ménages. Ces dégradations liées aux politiques économiques libérales ont touché les pays Européens de façon décalée, mais tous sans exception. Les premiers touchés furent les anglo-saxons dès la fin des années 70 ; la France est dans les derniers atteints, avec les pays de l’Est convertis à marche forcée à l’ultralibéralisme, après la chute du mur de Berlin, fin des années 80 début des années 90.
Cette politique libérale économique ne pouvait épargner le secteur du logement, c’est même par l’immobilier que les politiques libérales se sont implantées et diffusées. Toute l’oeuvre du libéralisme a été de faire d’un bien d’usage (le logement), un bien d’investissement. Cette évolution dans la perception du logement fut l’un des principaux moteurs du crédit, de la spéculation, de la déréglementation financière et de l’endettement. Mais ce fut aussi l’origine de la transformation des villes européennes.
Dans un premier temps, le discours libéral en s’appuyant sur les constructeurs de maisons individuelles réussit à imposer comme idéal, comme modèle de société, l’accès à la propriété et l’acquisition d’une maison. On vit alors dans toute l’Europe autour des grandes villes apparaître des zones pavillonnaires, accélérant l’étalement urbain des grandes villes, en zones résidentielles construites de façon plus ou moins anarchique, zones d’habitat reliées par des voies routières rapides aux lieux de travail et aux grandes villes ceinturées par les centres commerciaux.
Parallèlement à cela, les tenants du marché immobilier et de la finance vont s’attaquer au logement social et aux grands ensembles. Au début leurs attaques se limiteront à des critiques dénonçant l’inhumanité des grands immeubles et des quartiers à fort taux de logements sociaux (cette inhumanité fut plus souvent supposée que réelle). Pourtant, après la seconde guerre mondiale ce sont ces grands immeubles, ces quartiers neufs et même ces villes neuves qui ont permis à beaucoup de ménages sans logement, ou logés dans des conditions insupportables (logements petits, humides, sans toilette, sans eau courante, sans confort, sans chauffage etc.), d’accéder à des logements adaptés à la taille des familles et équipés tout confort.
À ces critiques s’ajoutera une action pour diminuer le rôle de l’Etat dans la construction de logements, en faisant baisser les budgets des Etats consacrés à l’aide à la pierre (construction de logements sociaux), et aux financements (foncier et crédits). Les banques récupéreront le rôle de financement des crédits et les promoteurs ceux de constructeurs à la place de l’Etat.
Enfin, guidés par l’idée selon laquelle la baisse des protections favorise la construction, un fort travail de lobby sera fait dans tous les pays pour diminuer les protections juridiques des locataires :

remise en cause du contrat de bail et/ou de la durée de bail,

facilités pour expulser les locataires,

durcissement des garanties pour accéder à un logement,

déréglementation du prix des loyers,

déréglementation ou assouplissement des normes de qualité.
Tous propriétaires ?
En revanche, tout est fait pour inciter les ménages même les plus modestes à devenir propriétaire, par des aides fiscales et des facilités de crédit. Cette posture idéologique est soutenue par les Etats et les collectivités locales qui voient là un moyen de faire des économies budgétaires importantes et de se désengager des politiques de logement. Ce processus sera camouflé sous couvert de la "décentralisation" de l’Etat qui transfère ses responsabilités d’abord aux communes ou collectivités locales. Celles-ci feront alors tout pour s’alléger de cette "charge" qu’est la gestion sociale du logement au profit du marché, présenté comme seul capable de répondre aux besoins de construction et de logements. Les Etats et les collectivités ont alors vendu tout ou parti de leur parc social ou à caractère social. Les organismes sociaux de gestion et de construction se sont transformés au mieux en sociétés d’économie mixte mais le plus souvent en sociétés privées, dont le but n’est plus de loger un maximum de ménages à des loyers abordables mais de loger les ménages solvables en réalisant les meilleurs profits possibles. Les Etats n’ont conservé qu’un rôle de voiture-balai, prenant à leur charge les victimes du système, peu ou pas solvables, exclues du parc de location privée, ne parvenant pas à accéder au parc public, incapables d’accéder à la propriété. L’intervention des Etats se limita alors de plus en plus à développer les aides personnalisées afin de rendre les ménages modestes solvables.
Cette politique des Etats consistant à vendre leur patrimoine et laisser le marché répondre aux besoins de logement a terminé de modifier la configuration des villes et des quartiers. L’assouplissement ou la déréglementation des hausses de loyer, la vente du patrimoine public et des logements sociaux a attiré les investisseurs et promoteurs venus investir dans des quartiers jusque là gérés par le public ou des structures sociales. Tandis que dans le privé, les quartiers anciens, délabrés, mal réputés, sont devenus les plus attractifs en devenant de vastes terrains d’investissement. À chaque fois le schéma est le même. Des investisseurs réhabilitent et modernisent des immeubles anciens et les revendent à des prix très supérieurs aux prix d’achats. En achetant un immeuble d’un seul morceau, en le réhabilitant et en le revendant appartement par appartement, faisant ainsi une plus value sur chaque logement, les gains sont très nettement supérieurs qu’en revendant l’immeuble d’un bloc. C’est ce phénomène dit de vente à la découpe qui a reconfiguré beaucoup des grandes villes d’Europe (Marseille, Berlin, Budapest, Vilnius, Madrid, ...etc.). Dans toutes les grandes villes d’Europe, on a assisté à un phénomène de « gentrification » (embourgeoisement) des centres villes ou de quartiers autrefois populaires. Car la modernisation et la transformation des immeubles s’accompagnent de changements de populations. Les nouveaux propriétaires et les nouveaux locataires plus fortunés délogent peu à peu les ménages plus modestes. Soit de façon directe par l’augmentation des prix de l’immobilier, des loyers et des charges, soit de façon indirecte par la transformation des quartiers liée à l’installation de ces nouveaux habitants qui par leur style et leur niveau de vie modifient l’ambiance des quartiers, quartiers qui peu à peu deviennent « étrangers » ou inaccessibles aux anciens habitants.
L'abandon des banlieues
En revanche dans les banlieues et les quartiers à fort taux de logements sociaux, où depuis des années sont concentrés les ménages les plus modestes, les ménages d’origine étrangère, les chômeurs, les rmistes...etc., où les services publics et les petits commerces de proximité ont déserté, il n’y a très peu d’investissement. Dans ces quartiers, face à la dégradation générale des bâtiments, des infrastructures, face à l’ampleur des besoins, l’Etat et les collectivités locales ont trouvé la parade ; c’est la démolition.
Partout en Europe, on rase, des immeubles, des quartiers car on n’a pas su réagir à temps et notamment réhabiliter ou reconstruire beaucoup des bâtiments sociaux construits après la seconde guerre mondiale. Pourtant beaucoup furent construit pour une durée de vie déterminée, durée de vie qui correspondait au temps nécessaire à la construction de bâtiments de remplacement de bon standing et de qualité meilleur, qui devait accueillir de façon régulière, raisonné et concerté les anciens résidents des grands ensembles. Aujourd’hui, on rase vite, on déloge et on déplace des individus, au nom de la mixité sociale, sans concertations, ni même de consultation démocratique des habitants.
Ces politiques de démolitions et de déplacement des populations sont un double aveu : On ne s’attaque pas aux vrais problèmes des quartiers et des banlieues qui sont avant tout : la concentration de pauvreté, le manque d’emploi, d’équipements public, d’infrastructure, de moyens de transport. C’est pourtant cette lutte contre la pauvreté qui est en définitive le moyen vraiment efficace pour faire disparaître les problèmes sociaux de ces quartiers. Ce n’est pas en éliminant les quartiers qu’on élimine la pauvreté. On suppose que le fait de saupoudrer quelques ménages de classes « moyenne » dans des quartiers populaires ou de mettre quelques pauvres au milieu de riches est bénéfique aux pauvres. Ceci donne une idée de la représentation que se font les politiques et les institutions des catégories les plus pauvres.
Lors de leur annonce, les politiques de démolitions garantissent que pour chaque logement social détruit on reconstruira un logement social neuf. Cet engagement en Allemagne comme en France n’est pas tenu. En France, moins d’un tiers de l’offre démolie à été reconstruit au 31 décembre 2007 . De plus, beaucoup des logements reconstruits sont toujours plus chers à la location et ils ne répondent qu’à une petite minorité de demandeurs de logements sociaux. En revanche, les logements détruits sont souvent des logements sociaux à très faible loyer accessible aux familles modestes et répondent à la très grande majorité de demandeur de logements sociaux. Cette politique dite de rénovation urbaine en accentuant le décalage entre l’offre et la demande de logements sociaux ne fait qu’aggraver la crise du logement.
La résistance s’organise
Face à cette crise du logement, les résistances sont apparues partout sous des formes variées pour dénoncer des situations équivalentes dans les différents pays membres de l’Europe. Un peu partout des associations et des organisations ont dénoncé les logements vacants, bâtiments publics ou anciennes bâtisses issues de l’industrie, mais aussi des immeubles de logements laissés à l’abandon, souvent pour des raisons spéculatives, alors que de plus en plus de personnes avaient des difficultés à se loger. Des réquisitions ont commencé à s’organiser. Dans de nombreux cas les occupants, les associations ou organisations, ont réussi à obtenir une régularisation de leur situation et l’autorisation de rester dans les lieux et surtout ont obtenu de pouvoir réhabiliter ces lieux soit par eux-mêmes, soit avec l’aide de l’Etat. Il est cocasse de voir que la France seul pays où existe le "droit de réquisition" est le seul pays où l’Etat n’a jamais cherché à exercer ce droit pour régulariser des situations d’occupation, faisant au contraire tout pour l’empêcher.
Autre lutte en lien direct, les actions et les rassemblements visant à empêcher les expulsions. Plutôt que d’expulser des milliers de ménages à la rue, il paraît plus judicieux et simplement pragmatique de maintenir les locataires en difficulté de paiement et les ménages endettés ne pouvant plus rembourser leurs emprunts ; car une fois jetés à la rue les moyens nécessaires, pour leur fournir un logement dans l’urgence et leur accompagnement social, sont extrêmement coûteux pour la société. Il est nettement plus avantageux en termes de coût de trouver des solutions qui permettent, en amont de la procédure d’expulsion, le maintien des habitants dans leur logement. La crise des "subprimes" en Angleterre et en Espagne comme aux Etats-Unis illustre l’absurdité de ce système ou les banques expulsent des millions de ménages pour vendre à perte des biens saisis sous les yeux d’un Etat impuissant qui vient aider et prendre en charge les familles une fois qu’elles sont à la rue, tout en devant aider les banques en déficit chronique.
La nécessité est alors apparue pour nombre d’associations et d’organisations d’intervenir ou du moins de peser sur le législatif. En effet, si les luttes permettent le relogement et empêchent l’expulsion de quelques milliers de ménages, ces victoires sont insatisfaisantes au regard des millions de personnes sans logement ou mal-logées. À cela s’ajoute le fait que face à ces actions et dénonciations, les Etats ont développé un arsenal législatif de plus en plus répressif et défavorable aux défenseurs du droit au logement et aux locataires, rendant les luttes de plus en plus difficiles. De plus, toujours bercée par l’idéologie libérale, beaucoup des Etats ont cédé à l’idée selon laquelle plus de précarité pour les locataires et plus de garanties pour les propriétaires, dopait la production de logements et donc à terme favorisait le logement de tous. Ainsi ont fleuri des textes demandant, la fin des baux à vie, y compris dans le public, mais plutôt, des contrats de bail d’un ou deux ans qui puissent être interrompu par le propriétaire sans motif, avec quand même un préavis de quelques mois. À cela s’ajoute sans cesse des demandes de délais d’expulsions plus courts, des procédures d’expulsions plus faciles, une prise en charge de l’entretien des logements reposant de plus en plus sur les locataires ...etc. Ce modèle est calqué sur celui du monde du travail où nous dit-on : la précarité, les facilités de licencier favorisent les embauches ! Le problème est que cette idée n’est fondée sur aucune étude, c’est une posture idéologique qui s’habille de pragmatisme, ce fameux "bon sens" que l’on essaye de nous vendre.
Les faits et les études prouvent exactement le contraire. Les pays ou les protections des droits des locataires et le droit au logement sont les plus forts, sont aussi les pays ou les problèmes de mal-logement sont les plus faibles. Cette situation est confirmée en cette période de crise. C’est le cas de l’Allemagne, ou les baux dans le privée comme dans le public sont à vie et les loyers contrôlés , aux Pays-Bas qui possèdent le plus fort taux de logements sociaux, ou encore en Ecosse où le droit au logement est garanti.
Un travail législatif a donc été entrepris dans ce sens dans différents pays européens visant à faire du droit au logement, un droit fondamental, capable de contrer le marché et le droit à la propriété privée. Cette dynamique législative se retrouve déjà dans une "charte Européenne du logement" publiée en avril 2006 , il y est inscrit : "Considérant que conformément à la tradition constitutionnelle des Etats-membres, le droit au logement doit être érigé en tant que droit fondamental de l’Union européenne et intégré en tant que tel à la Charte des droits fondamentaux en cohérence avec la charte sociale révisée du Conseil de l’Europe et, qu’à ce titre, la mise en œuvre de celui-ci ne saurait être laissée à la seule appréciation des forces du marché étant donné que ce droit au logement ne peut être qu’universel".
Ce travail est primordial car à terme il créerait et harmoniserait un droit qui pourrait s’appliquer à l’ensemble des Etats membres ; permettant ainsi aux pays dépourvus de droit au logement de pouvoir revendiquer ce droit et pour ceux en disposant déjà, d’améliorer les protections existantes en reprenant le meilleur des textes législatifs des différents pays :
• bail à vie, transmissible par héritage y compris dans le privé avec un contrôle de l’évolution des loyers,
• droit au logement garanti écossais et ou le droit au logement opposable français,
• renforcer des moyens de logement par la possibilité de réquisition des logements vacants et leur réhabilitation pour les transformer en logements sociaux,
• privilégier la réhabilitation des quartiers plutôt que les démolitions • imposer un pourcentage minimum de logements sociaux accessibles à tous, dans tous les Etats,
• harmoniser les normes de confort et de qualité minimum • harmoniser les normes énergétiques et écologiques des logements
Pour que les réformes législatives soient efficaces, il faut que les Etats reprennent en main la construction et le financement de logement. La construction de logements, en mettant en place une politique de l’aide à la pierre c’est-à-dire la construction de logements en tenant compte des besoins connus précisément grâce aux nombres de demandes de logements faites, mais aussi les différentes aides personnalisées distribuées. Le financement, en se dotant de moyens budgétaires et de procédure administrative simple pour financer les projets de constructions et permettre l’utilisation du plein potentiel de financement (ce qui paradoxalement n’est pas toujours le cas). Réorganiser et contrôler le financement des crédits par la nationalisation des banques et rétablir l’interdiction de transformer en titres négociables en bourse les crédits accordés aux particuliers. Enfin les Etats doivent reprendre le contrôle du foncier en arrêtant de brader leur patrimoine et rachetant un maximum de terrains pour en stabiliser l’évolution des prix.
En conclusion les Etats doivent reprendre le contrôle de la construction des logements pour résorber la crise du logement. Laisser le marché faire ne ferait qu’aggraver la crise et interdire l’application d’un droit fondamental : le droit au logement pour tous.