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Billet de blog 29 avril 2011

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Enquêtes sur les conséquences de l’accident de Tchernobyl (1992-1995)

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Enquêtes sur les conséquences de l’accident de Tchernobyl (1992-1995)

 Dans le cadre d’un accord de coopération passé entre la Commission Européenne et la Communauté des Etats Indépendants sur les conséquences de l’accident de Tchernobyl, quatre Projets d’Etude Conjoints (Joint Study Project - JSP) ont été mis en oeuvre entre 1991 et 1996. Dans le cadre du deuxième Projet d’Etude Conjoints (JSP2), portant sur l’évaluation des conséquences de l’accident, Mutadis a mené pour le compte de la Commission Européenne un travail d’enquêtes de terrain en Ukraine (1992-1993) et en Biélorussie (1994). Ces deux enquêtes visaient à caractériser les conséquences sociales et psychiques de l’accident de Tchernobyl, et à évaluer qualitativement les conditions de vie dans un territoire contaminé.

L’équipe de recherche qui a mené cette étude était composée de Gilles Hériard Dubreuil (Mutadis) et de Philippe Girard, Professeur de sociologie et psychanalyste (Laboratoire d’Analyse Socio-Anhropologique du Risque - Université de Caen).

Cette étude a été réalisée en deux étapes. La première a consisté à évaluer les conséquences sociales et psychiques de l’accident de Tchernobyl en Ukraine. Les résultats de cette première étape ont été complétés par un travail d’enquête en Biélorussie visant à évaluer la gestion du risque et les conditions de vie dans le district de Tchetchersk, situé dans l’une des zones les plus contaminées de Biélorussie.

L’étude des conséquences sociales et psychiques de l’accident de Tchernobyl en Ukraine

La première phase de l’étude a consisté en plusieurs centaines d’entretiens réalisés en Ukraine en 1992 et 1993 avec des liquidateurs, des personnes relogées et des habitants des différentes zones administratives (zone de relogement obligatoire, zone de relogement volontaire, zone de contrôle radiologique obligatoire, ...), ainsi que d’interviews menées auprès de responsables nationaux, régionaux et locaux.

Cette enquête a permis d’aboutir aux conclusions suivantes :

  • La catastrophe de Tchernobyl reste omniprésente en Ukraine en 1993.
  • Les entretiens ne font apparaître aucune manifestation phobique des radiations et infirment la thèse de la "radiophobie". Les craintes ou anxiétés exprimées lors des entretiens sont étayées par des constatations de détérioration de la santé chez les personnes interrogées ou dans leur entourage proche.
  • Les professionnels de la santé et les populations locales expriment que le bilan de santé physique et psychique en 1993 est préoccupant.
  • La gestion accidentelle et post-accidentelle a généré des effets pervers (stratégie de censure et d’euphémisation des autorités lors de la phase accidentelle ayant aggravé l’exposition des populations et entraînant une forte défiance vis-à-vis des autorités politiques, scientifiques ou médicales, contrôles médicaux sans retour d’information vers les individus contrôlés, effet de stigmatisation des "Tchernobyliens" vis à vis du reste de la population, ...).
  • Les effets différés de la phase accidentelle (contamination par l’iode radioactif) et les effets de la contamination ambiante ne sont pas distingués par la population.

L’évaluation des conditions de vie et de la gestion du risque dans le district biélorusse de Tchetchersk

L’étude menée en Ukraine a été complétée par un travail d’enquête réalisé en Biélorussie en 1994 dans le district de Tchetchersk auprès de catégories de population sélectionnées en fonction de leur implantation géographique et du zonage administratif du niveau de contamination. Des entretiens ont été conduits parallèlement auprès de différentes autorités impliquées au niveau local, régional ou national dans la gestion du risque radiologique et auprès de différentes associations.

Les caractéristiques suivantes de la gestion de la situation post-Tchernobyl dans le district de Tchetchersk ont ainsi pu être mises en lumière :

  • La récession économique a entraîné une régression de la protection radiologique.
  • Les informations et les contrôles officiels bénéficient d’un faible crédit auprès de la population.
  • La politique de contre-mesures s’inscrit souvent en contradiction profonde avec la culture des habitants.
  • Des tensions existent entre les différents niveaux de responsabilité administrative chargés de la mise en oeuvre des contre-mesures.
  • La complexité des situations rencontrées sur le terrain conduit à penser qu’il est impossible d’élaborer une solution viable à partir d’une planification centralisée, d’une approche exclusivement radiologique et d’une gestion par les normes, qui peut laisser croire que le risque est évacué dès que la norme est satisfaite.
  • Il semble alors nécessaire d’adopter une démarche pragmatique en favorisant la création d’espaces de concertation et de co-construction de solutions à travers une approche décentralisée où les personnes exposées sur le terrain sont acteurs de la gestion du risque, notamment à travers une reprise de contrôle sur la dose de radiations absorbée, en coordination avec les différents intervenants concernés.

Ces conclusions amèneront Mutadis à initier le projet ETHOS (1996-2001).

Pour en savoir plus :

  • voir en fichier attaché le rapport des enquêtes réalisées en Ukraine : "Conséquences sociales et psychiques de l'accident de Tchernobyl - La situation en Ukraine, sept ans après l'accident"
  • Les silences de Tchernobyl [Texte imprimé], l'avenir contaminé dir. par Guillaume Grandazzi et Frédérick Lemarchand 
    de Grandazzi, Guillaume (Directeur de publication) Lemarchand, Frédérick (Directeur de publication) 
    Éd. Autrement / Collection Mutations  
    ISBN : 9782746704916 ; EUR 19,00 ; 2004-04-27 ; 224 p. ; Broché

    critiqué par Septembresans, http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/11322

    Tchernobyl n'a pas eu lieu mais a encore lieu et pour toujours.

Références :

HERIARD DUBREUIL G. - Un premier bilan des effets psychiques et sociaux de l’accident de Tchernobyl. In Radioprotection, 1994, Vol. 29, n°3, pp. 363 à 376

HERIARD DUBREUIL G. et GIRARD P. - Stress in accident and post-accident management at Chernobyl. In Journal of Radiological Protection, 1996, Vol. 16, n°3, pp. 167 à 180

HERIARD DUBREUIL G. et GIRARD P. - Conditions de vie dans les territoires contaminés en Biélorussie 8 ans après l’accident de Tchernobyl. In Radioprotection, 1997, Vol. 32, n°2, pp. 209 à 228

HERIARD DUBREUIL G., OLLAGNON H. - De la gestion de l’accident à la réhabilitation des conditions de vie. In Les silences de Tchernobyl, Grandazzi G., Lemarchand F. (Eds.), Editions Autrement, 2004, pp. 57-79.

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