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Billet de blog 10 novembre 2014

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Du mépris ordinaire des élus pour leurs administrés

À Marseille la mise en place de la réforme des rythmes scolaires met en exergue les années de sous-investissement de la mairie dans toutes les infrastructures de la ville et son mépris pour les parents d'élèves. Mais pas la peine d'essayer d'aller le dire aux élus locaux, sous peine d'être soi-même agressé physiquement et verbalement puis accusé d'en être responsable. Une façon bien particulière des élus d'interpréter le mandat qu'ils ont reçu du peuple pour gérer démocratiquement les affaires de la cité.

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À Marseille la mise en place de la réforme des rythmes scolaires met en exergue les années de sous-investissement de la mairie dans toutes les infrastructures de la ville et son mépris pour les parents d'élèves. Mais pas la peine d'essayer d'aller le dire aux élus locaux, sous peine d'être soi-même agressé physiquement et verbalement puis accusé d'en être responsable. Une façon bien particulière des élus d'interpréter le mandat qu'ils ont reçu du peuple pour gérer démocratiquement les affaires de la cité.

La réforme des rythmes scolaires à Marseille


La réforme des rythmes scolaires a déjà fait couler beaucoup d'encre, tant sur son bien-fondé que sur sa mise en application dans toutes les villes de France. À Marseille, sacro-sainte « deuxième ville de France », cette réforme est venue se greffer sur un terrain déjà grandement fragilisé par des années de sous-investissement dans l'ensemble des infrastructures scolaires, sportives ou d'accueil de la petite enfance. Tous les indicateurs sociaux sont au rouge, à commencer par ceux de l’échec scolaire.

C'est dans ces conditions que la municipalité dirigée par Jean-Claude Gaudin a décidé, dans une attitude jusqu’au-boutiste qui défie l'entendement, d'opposer tout d'abord une fin de non-recevoir à cette réforme, avant de se la voir imposer au début de l'été. Afin de bien démontrer que cette réforme était mauvaise, l'équipe municipale a, depuis lors, tout fait pour en assurer l'échec retentissent (voir ici).

Force est de constater qu'elle a jusqu'à présent réussi de façon magistrale : aucun « temps d'activité périscolaire » (TAP) à la rentrée de septembre, officiellement 42 écoles pilotes avec des TAP à partir du 3 octobre, puis 217 depuis le 7 novembre. Parmi ces 217, un certain nombre est en fait en mode « garderie améliorée » (sans projet pédagogique et avec un taux d'encadrement de l'ordre d'un animateur pour trente enfants ne permettant pas des activités très développées). Quelques autres écoles ont eu droit à une « garderie d'urgence » depuis le 7 novembre (il faudrait bien sûr être de mauvaise foi pour y voir un quelconque lien avec l'injonction du tribunal administratif, suite au référé déposé par des parents ulcérés par l'incurie de la mairie). Une centaine d'écoles enfin, sur les 445 que compte la ville, n'a absolument rien de prévu pour les vendredis après-midi. Le résultat est un casse-tête hebdomadaire pour de nombreux parents, qui doivent jongler entre les horaires d'école, l'absence de TAP, les grèves de cantine, leur employeur et leur vie familiale.

C'est dans ce contexte qu'un certain nombre de parents essaient de coordonner diverses actions afin d'obtenir des avancées sur ce dossier, dans l'espoir de voir leurs enfants s'épanouir dans des TAP de qualité et de retrouver la sérénité dans leur travail et à la maison. Le premier but est de pouvoir être entendu puis écouté par la mairie, pour lui faire remonter des expériences de terrain et des idées pour une mise en place viable des TAP. Seulement voilà : comment peut-on se faire entendre de quelqu'un qui refuse l'idée, saugrenue il est vrai, qu'un dialogue constructif est la clé du succès ? Comment obtenir des informations quand la mairie centrale refuse d'en fournir ?

L'élu local plus proche de ses concitoyens ?


Nous avons donc décidé de viser l'échelon intermédiaire, la mairie de secteur, avec des élus a priori plus proches du terrain que leurs collègues de la mairie centrale complètement déconnectés de la vie des Marseillais. À notre grande surprise, il n'a fallu qu'une journée mi-septembre pour obtenir un rendez-vous avec le maire de secteur des 9e et 10e arrondissements, M. Lionel Royer-Perreaut, en présence de ses adjointes respectivement déléguées aux écoles, à l’animation et à la communication. L'entretien est courtois et informatif. Malgré quelques remarques purement politiciennes de sa part il semble avoir une réelle volonté d'amélioration de la situation aussi vite que possible, malgré des conditions de départ peu favorables. Le sentiment à la sortie du rendez-vous est que l'on en sait plus qu'en arrivant mais que l'on n'est pas encore au bout de nos peines.

Les semaines qui suivent ne sont pas très reluisantes pour Marseille. Les parents continuent de se mobiliser chaque semaine dans des manifestations diverses, mais la mairie centrale continue de refuser toute idée de dialogue, essayant plutôt de monter les différents acteurs du monde éducatif (enseignants, parents, personnels municipaux) les uns contre les autres. Il est alors décidé d'aller se faire entendre après les conseils d'arrondissement qui précèdent le conseil municipal du 10 octobre, et ce, bien que les mairies de secteur n'aient presque aucune prérogative dans le domaine de l'éducation. Ce choix est dicté par une particularité marseillaise : le public n'a pas librement accès au conseil municipal. Pour y participer il faut soit être élu, soit être invité par un groupe politique. Avec les rythmes scolaires au menu, il était clairement impossible d'être invité par l'UMP. Quatre parents y furent donc invités par les groupes PS et Front de Gauche, non parce qu'ils voulaient promouvoir la vision de ces partis mais parce qu'ils étaient les seuls à pouvoir leur permettre d'entrer au conseil municipal.

Revenons donc aux conseils d'arrondissement. Eux sont ouverts au public, la consigne étant de ne pas s'exprimer ou se manifester pendant toute la durée du conseil. Nous étions donc trois parents présents dans l'audience lors du conseil d'arrondissement du 9e/10e le 6 octobre. C'est une expérience que je conseille à toute personne qui veut vraiment se rendre compte de l'état de délabrement de notre démocratie. J'ose espérer que la qualité des débats n'est pas aussi affligeante dans toutes les villes de France. Le niveau à Marseille explique l'état de la ville, à moins que ce ne soit le contraire. Après tout, les Marseillais ont réélu la liste en place magistralement. Malheureusement le niveau n'est pas rehaussé par l'opposition.

Pendant les discours enflammés du maire de secteur ou de Mme Casanova, élue locale mais également adjointe au maire de Marseille et déléguée aux écoles, malgré les mensonges grossiers et les commentaires de bas étage, les ânes de la majorité sont juste capables de hocher de la tête en permanence comme des pantins et d'applaudir à la fin, sans jamais se poser de questions quant au contenu.

Ceux de l'opposition ne sont pas en reste. Karim Zéribi, également député européen (EELV-PS), assistait pour la première fois en personne au conseil d'arrondissement, ce que le maire s'est joyeusement chargé de rappeler à l'assistance. C'était une pique politicienne pitoyable mais la critique n'était pas imméritée. Il est d'ailleurs parti en douce au milieu du conseil et avant cela a placé trois phrases sur les rythmes scolaires lors du vote sur une disposition qui n'avait rien à voir, se ridiculisant encore un peu plus. Une autre élue PS, Nathalie Pigamo, a annoncé lors d'une des délibérations qu'elle votait contre cette « mesure sur les rythmes scolaires » alors que le point en discussion n'en faisait pas partie. Les élus FN étaient bien sûr partie prenante de ce naufrage démocratique, expliquant par exemple qu'ils refusaient une mesure visant à punir les automobilistes qui s’arrêtent en double file et bloquent la circulation pour aller faire leurs courses (une pratique très marseillaise) « parce que ça pénalise les petits commerçants qui vont perdre cette clientèle ». Le non-vivre ensemble a encore de beaux jours devant lui à Marseille.

Ce soir-là, un seul élu ne m'a pas semblé écœurant : J.-M. Cavagnara, Front de Gauche, a fait la seule remarque pertinente durant le conseil, sur les rythmes scolaires (pour justifier sa non participation aux votes concernés). Je n'en dirais certainement pas autant de la plupart des prises de position du FdG, localement ou au niveau national, mais ce soir-là ce monsieur était admirable. Son discours a, comme tous ceux de l'opposition mais cette fois sans raison de fond (même si les attaques précédentes sur la forme n'étaient pas acceptables non plus), été commenté de façon incroyablement condescendante par le maire lui-même, sous les rires hilares de quelques-uns de ses sbires : « Vous êtes un nouvel élu, vous ne comprenez pas encore les subtilités de la comptabilité de la mairie, mais vous verrez, ça ira mieux dans six ans ».

La politique de l'intimidation


Nous avons toutefois supporté ce mauvais vaudeville dans le silence jusqu'au bout, même si cela devenait parfois insupportable. Une fois le conseil déclaré clos, nous avons verbalement, bruyamment et poliment (en commençant par « s'il vous plaît ») interpellé Mme Casanova, puisque c´était notre première chance depuis des mois de l'avoir à portée de voix. Notre seule demande a été qu'elle mette en accord ses paroles et ses actes, elle qui venait de mettre en avant, tout comme M. Royer-Perreaut, l'indispensable dialogue entre toutes les parties. Tout ce que nous avons exigé était donc une rencontre avec elle pour faire avancer le dossier des TAP à Marseille. Pendant qu'elle s'esquivait par la porte du fond, le public est sorti de la salle du conseil pour se retrouver dans le hall d'entrée, seul passage de sortie pour tout le monde.

C'est là que la situation a commencé à déraper. Plusieurs personnes, dont des élus, ont commencé à nous pousser vers le perron. L'une d'elles, crâne rasé, en plus de me bousculer sans ménagement d'une main, s'est approchée à quelques centimètres, poing levé devant mon visage, en vociférant « Tire-toi, ou je te casse la gueule ». Ils m'ont ainsi poussé jusqu'à descendre de la première marche du perron, à l'extérieur de la mairie, et je n'ai pas cherché à retourner dans l'arène. J'ai alors vu Mme Casanova s'éclipser sur le côté de la porte d'entrée avec trois personnes autour d'elle, dont un élu et la personne qui donnait le micro aux intervenants pendant le conseil. À ma grande surprise j'ai pu m'approcher et lui parler un peu, calmement, en marchant vers sa voiture. Pendant ce temps l'attention des autres excités s'est concentrée sur les deux mamans avec qui j'étais venu ce soir-là. Cela a valu, en particulier à l'une d'elles, un torrent de menaces et de remarques méprisantes, émanant en particulier du nouveau président UMP de la RTM (régie des transports marseillais) Maxime Tomasini, lui qui venait de présenter des mesures contre les incivilités dans les bus marseillais. Tout cela s'est produit sans que personne parmi les dizaines de présents, élus ou simples citoyens, n'intervienne pour calmer ces comportements. Au contraire, la seule chose qui semblait déranger l'auditoire fut la « voix de crécelle » de la maman agressée, qui n'avait pas l'obligeance d'au moins avoir une voix de cantatrice. La manœuvre était très claire : le but était de nous intimider ou de provoquer une réaction violente de notre part. Pas de chance, bien qu'extrêmement énervés par le niveau des débats et l'attitude inqualifiable de ces représentants de la République, nous n'avons jamais ne serait-ce qu'amorcé un geste déplacé ou violent, nous contentant des mots et sans insulte, ce qui n'était clairement pas le cas de la horde déchaînée qui nous repoussait manu militari.

Pendant ce temps j'ai pu échanger un peu avec Mme Casanova. Sa ligne de défense est claire pour refuser de nous rencontrer : « Pourquoi je vous recevrais vous plus qu'un autre des 140000 parents de Marseille ? ». Petite précision comptable : il y a environ 74000 enfants scolarisés en maternelle et au primaire sur Marseille ce qui, avec les fratries et familles monoparentales, ne fait bien sûr pas autant de parents. J'ai clairement stipulé ne pas demander ce rendez-vous en mon nom personnel, avant de lui faire préciser à quand remontait sa précédente entrevue avec les parents. De son aveu même cela faisait dix mois, et même plus pour une des associations de parents, MPE13. Après lui avoir finalement fait admettre que les choses avaient « un peu » changé depuis ce temps, elle est partie sur la diatribe habituelle de la communication municipale depuis des mois sur le sujet : « C'est la faute de l’État qui a refusé notre plan ». Revenant à son incapacité à recevoir 140000 parents elle a conclu en affirmant ne recevoir que les associations de parents représentatives, et qu'à la suite des élections de parents dans les écoles (qui ont, depuis, eu lieu) elle recevrait toutes les associations de parents représentatives, assurant aussitôt que ce n'était à son goût pas le cas de l'association la plus revendicative actuellement, MPE13, mais qu'en fonction du résultat des élections cela pourrait changer. On attend toujours…

Au moment où elle montait dans sa voiture avec chauffeur, l'une des mamans a juste eu le temps de lui demander de porter une attention particulière aux enfants avec un PAI (projet d'accueil individualisé), faute de quoi ils risquent d'être exclus des TAP alors qu'ils ont droit à la même prise en charge que les autres enfants. Mme Casanova a feint d'être intéressée puis a volontairement et ostensiblement parlé avec une autre personne, comme si nous n'existions plus. Je lui ai donc de nouveau adressé la parole pour lui dire au revoir, en insistant sur le fait que j'étais justement poli et finissais ainsi la conversation. Elle a répondu puis est partie. Nous venions de passer quelques minutes côte-à-côte, sans agressivité aucune de part et d'autre. L'élu présent tout ce temps m'a alors expliqué qu'il fallait bien comprendre qu'elle était fatiguée de ses très longues journées passées depuis le début de l'été sur les TAP, finissant une harassante journée de travail par ce très long conseil d'arrondissement pour être ensuite interpellée sans précautions oratoires par des parents en colère. Je lui ai donc courtoisement rappelé que c'était son travail d'élue alors que moi j'avais dû, en plus de ma journée habituelle de travail et en me privant une fois de plus d'un temps de qualité avec ma famille, faire l'effort de venir assister au conseil avec le très maigre espoir de pouvoir justement rencontrer une élue de ma ville qui refuse tout échange depuis des mois.

Le service après-vente


Suite à cette soirée mouvementée, nous avons décidé d'écrire au maire de secteur, le 8 octobre. Ce n'est que le 7 novembre que nous avons enfin reçu une réponse de sa part, et quelle réponse ! Ses élus ont donc selon M. Royer-Perreaut « a bon droit protégé l’intégrité physique de Madame Danielle CASANOVA et s’il n’y avait pas eu d’attitude agressive à son encontre, rien de tout cela ne se serait produit » (sic). « Les agressions verbales dont [elle] a pu être victime » expliquent donc le comportement des élus. En fait nous, parents, ne sommes que de dangereux activistes et notre « mobilisation était plus dictée par des intérêts politiques que par la seule défense du bien être des enfants ». Il est intéressant de lire de la part d'un élu UMP très à la pointe dans la défense d'intérêts partisans que nous serions ceux qui ont en fait un agenda politique dans ce combat. Sur injonction du maire de Marseille Jean-Claude Gaudin, nous n'avons pas d'autre choix que de « nous occuper de nos enfants » tous les vendredis après-midi car son équipe est incapable de le faire.

Il est important de mentionner que nous étions au conseil d'arrondissement en avance, et étions présents lorsque Mme Casanova est arrivée, seule, après avoir été déposée par son chauffeur. Il nous aurait été très facile de l'apostropher ou de « l'agresser » à ce moment-là, mais nous avons fait le choix d'entendre d'abord ce qu'elle avait à dire pendant le conseil. Ce judicieux comportement nous permet rétrospectivement de dénoncer avec d'autant plus de force l'attitude de certains élus envers leurs administrés. Nous revendiquons le droit de pouvoir être entendu et écouté par ces hommes et femmes censés nous représenter, plutôt qu'êtremenacés physiquement et verbalement.

Je savais déjà qu'il n'y avait aucun espoir de voir évoluer la mise en application des rythmes scolaires à Marseille, mais en voyant la « qualité » du débat également sur les autres sujets pendant ce conseil d'arrondissement (sans même parler de la lettre du maire), j'ai eu confirmation de mon sentiment que notre démocratie est réellement en danger, et les élus de tous bords ne sont clairement pas à même de changer la donne.

Malgré tout je dois avouer que je suis bien à Marseille et n'envisage absolument pas d'en partir. Je n'ai toutefois aucun espoir d’amélioration à court et moyen terme. Quel gâchis, cette ville pourrait être un petit paradis avec des hommes et femmes politiques à la hauteur et des habitants plus citoyens et adeptes du vivre ensemble.

Yann Coadou
Parent d'élève Marseille 10e
Citoyen du monde en mal de démocratie

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