Penser et Agir, lettre à mes camarades Jeunes Socialistes
Il est une des rares fois dans l’Histoire de notre Mouvement des Jeunes Socialistes où nous ne participons pas à un appel unitaire de la jeunesse progressiste, pourtant signé par des organisations balayant un large spectre politique (l’appel ici : http://unl-fr.org/component/content/article/42-accueilpcpal/674-2015-11-30-14-57-31). C’est à mon sens une erreur. En tant que Jeunes Socialistes, nous avons été et devons être de tous les combats pour le rassemblement de la gauche. En fidélité à notre histoire, nous ne pouvons laisser la tétanie nous envahir et nous mettre en décalage du camp de la jeunesse progressiste. Dans ce moment où le choc, l’inaction et le cynisme font sauter des digues que nous avions mis tant d’années à bâtir, nous devons faire le pari de l’intelligence et le choix de l’action. User de notre raison face à l’épouvante et dominer la peur légitime qui nous traverse tous. Nous devons garder cela à l’esprit, car notre voix compte. En tant que militants politiques, nos paroles et nos actes sont des points de repères pour nombre de nos collègues, de nos amis, membres de notre famille ou jeunes citoyens que nous ne connaissons pas toujours mais qui partagent nos idées, nos valeurs ou nos combats. La façon dont nous choisissons d’agir, individuellement ou collectivement au travers de notre Mouvement influence la conscience de notre génération et donc le cours des choses. Nos adversaires historiques sont déjà à la manœuvre, ne nous laissons pas distancer. Ce n’est qu’unis que nous y parviendrons.
Contribuer à l’unité du peuple de France
Car l’unité est bien la première de nos tâches. Pas une unité nationale, qui fut invoquée pour justifier certains des pires agissements dans l’Histoire de notre pays, et qui sert de prétexte à une suspension du débat démocratique éclairé. Débat pourtant plus que nécessaire pour faire face avec lucidité et efficacité à nos agresseurs. L’unité nationale, c’est la définition par un arrangement politicard entre partis d’un cadre restreint en dehors duquel toute idée, toute action est d’emblée rangée dans le camp des diviseurs de la Nation. L’accusation d’ennemi intérieur n’est alors jamais bien loin.
Non, ce que nous devons bâtir est une unité des citoyens, du peuple, de la jeunesse, pour contrecarrer l’objectif premier de ces assassins : nous diviser pour nous rendre vulnérables. C’est en cela que l’unité des organisations de jeunesse progressistes est nécessaire, car elle participe à cet objectif plus grand d’unité populaire et citoyenne, condition indispensable à la défaite de Daesh. S’unir pour refuser toute forme d’amalgame, de discrimination ou de stigmatisation. Nous devons être unis pour adresser à nos concitoyens musulmans notre plus grande fraternité. Eux qui ne manquent pas de subir les pires raccourcis et insultes de la part de ceux qui, masqués, haïssent la culture ou la foi musulmane et se réjouissent en silence que des fous aux pulsions de mort assassinent en leur nom.
Cette unité de la jeunesse progressiste, nous en avons aussi besoin pour porter avec plus de force le discours d’apaisement, de lucidité et de paix que l’on entend malheureusement trop peu dans les médias ou de la part de nos aînés responsables politiques de tous bords.
Penser avec raison
Notre identité de Jeunes Socialistes est celle de la remise en question permanente. Comment ne pas être dubitatif lorsque le parlement est appelé à délibérer d’un jour à l’autre sur la mise en place d’un état d’urgence, dans un contexte où médias et responsables politiques rivalisent de démagogie et cultivent la peur ? Comment ne pas s’alarmer, nous les défenseurs acharnés des libertés au vu du contenu de cette loi ? Pouvoir perquisitionner ou assigner à résidence toute personne « dont il existe des raisons sérieuses de penser que le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public » sans contrôle préalable de la justice est en engrenage dangereux renforçant fortement les pouvoirs de l’Etat. Cela permet à tout gouvernement de s’en prendre aux militants associatifs, syndicalistes ou politiques, et ce, de façon arbitraire, bien au-delà du motif originel de lutte contre le terrorisme. Quel paradoxe qu’au nom de la défense de nos libertés contre le terrorisme, nous en suspendions certaines, rendant ainsi possible excès et abus. Et dès lors qu’un abus de pouvoir est possible, il finit toujours par être commis. On ne compte plus les témoignages ces derniers jours de personnes innocentes perquisitionnées ou de militants écologistes assignés à résidence. Quand la liberté de quelques-uns est remise en cause, c’est la liberté de tous qui recule. Pire, cela fait le lit de la division. Chaque abus nourrit le sentiment de rejet et d’exclusion, éloignant des citoyens une République déjà trop lointaine.
Fidèles à notre culture du doute, interrogeons-nous sur l’issue de ce processus. Proroger pour trois mois un état d’urgence, situation d’exception, pour répondre à une menace qui ne pourra disparaître que sur un temps très long est au mieux paradoxal, au pire une instrumentalisation cynique de la peur que ressentent les français. Si cela répond à la menace terroriste, alors qu’est-ce qui pourra justifier sa levée dans trois mois ? Si d’autres attentats ont lieu, quelles autres libertés faudra-t-il suspendre ? Si aucune attaque ne nous touche dans les prochains mois, pourquoi alors lever l’état d’urgence, puisqu’il se serait révélé efficace ? Voilà le piège : il ne s’agira plus de justifier le recours à l’état d’urgence mais de convaincre de sa levée. Une fois admise l’idée que seul un état d’exception permet d’assurer notre sécurité, il n’est pas aisé de revenir en arrière, et le prix de ce retour est élevé : reconnaître implicitement que l’Etat de droit n’est pas capable de lutter efficacement contre le terrorisme. La solution autoritaire n’est alors jamais bien loin. Quelle machine infernale avons-nous lancée !
Agir avec efficacité
Pourtant, c’est bien d’efficacité qu’il est question. Depuis 2001, ce sont pas moins de dix lois anti-terroristes qui ont été adoptées, dont trois depuis 2012. Au-delà du bilan de cette somme de mesures qu’il est nécessaire de tirer, il est faux de croire que les instruments législatifs de l’Etat de droit sont insuffisants pour combattre nos adversaires. Ce qui nous a fait défaut est ailleurs. Ce sont les moyens humains organisés par des services publics de qualité qu’il nous faut renforcer. La force protectrice d’un Etat réside dans sa capacité à offrir aux citoyens une sécurité dans tous les domaines. A commencer par la sécurité des personnes, qui nécessite un service public de police efficace avec des moyens accrus, en revenant sur les suppressions de postes massives réalisées depuis 2007. Assurer la sécurité dans nos aéroports, par exemple en nationalisant la sécurité aéroportuaire. Nous doter de services de renseignement efficaces en mettant fin au chaos institutionnel actuel : dix-neuf services placés sous des autorités différentes sont chargés de la lutte anti-terroriste en France ! Renforcer les effectifs des services judiciaires pour traiter les renseignements : cent-cinquante magistrats ne peuvent, malgré toute leur détermination, faire efficacement leur travail face au nombre de dossiers et d’affaires.
L’Efficacité, c’est se donner les moyens d’éviter de nouveaux drames. Il y a des racines sociales à la folie nihiliste contractée par les terroristes : l’exclusion, la marginalisation sociale, l’absence de perspectives d’avenir qui poussent quelques-uns à un refus radical de la société qui est la nôtre. Briser les ghettos, répondre au déclassement, en finir avec les inégalités de patrimoine culturel ou financier et les discriminations quasi-quotidiennes que vivent nombre de jeunes font partie de la réponse aujourd’hui comme hier après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher. Faire de notre système éducatif un service public qui inclue tous les parcours et permette réellement la réussite de tous, donner aux associations les moyens d’exister partout sur le territoire et de remplir leur mission de cohésion sociale, faire du plein emploi des jeunes une réelle priorité avec des moyens conséquents. Offrir un autre horizon à la jeunesse que le chômage et la précarité pour les uns et la surexploitation pour les autres. Un projet de société qui nous rassemble tous, fait d’égalité, de fraternité et de paix.
Etre la génération de la Paix
Ardents défenseurs de la paix, nous ne devons cesser de rappeler que c’est la guerre et son lot de misère, de souffrance et de mort qui produit les monstres tels que Daesh. Ces guerres sont souhaitées, favorisées par les puissants de ce monde. La France y a sa part de responsabilité. Comment ne pas s’interroger sur notre volonté réelle de combattre Daesh alors que nous vendons des armes aux pétromonarchies du Golfe, régimes qui le financent tout en propageant le wahhabisme, interprétation manichéenne et réactionnaire de l’Islam, faisant partie des racines idéologiques de Daesh ? Pourquoi ne pas demander de comptes à la Turquie, dont le jeu trouble qui consiste à s’en prendre aux forces kurdes qui résistent fait planer le doute sur son intention de combattre réellement ce groupe terroriste ?
Personne n’aime les missionnaires en armes. La solution se trouve ailleurs que dans une intervention militaire extérieure aux objectifs incertains et à l’issue inconnue. Couper les canaux de financement de Daesh, poser la responsabilité des Etats, notamment européens, qui en achètent les hydrocarbures doit faire partie de nos priorités. Soutenir les forces démocratiques qui affrontent Daesh, à commencer par les combattants kurdes, reprendre le dialogue avec la Russie et avec le régime de Bachar Al-Assad pour enclencher un processus diplomatique de résolution pacifique du conflit dans lequel le départ du dictateur syrien ne serait pas un préalable mais un élément du retour à la stabilité de la région est nécessaire.
Dans ce moment trouble qui s’annonce, soyons fidèles à nos combats passés. A chaque moment grave de l’Histoire, les Jeunes Socialistes ont fait le choix du courage et de la lucidité. Nous sommes les militants de l’exigence intellectuelle, du devoir de raison et de la recherche systématique de la vérité. Nous ne suivons ni les applaudissements imbéciles ni les huées fanatiques. L’heure est à s’engager de toutes nos forces dans cette grande reconquête des esprits qui précède toujours celle des urnes. Nous savons que les minoritaires et les prétendus inaudibles d’un jour deviennent les majoritaires et les courageux du lendemain si leurs combat sont justes. Le sentiment de fraternité, la défense des libertés, l’ambition d’égalité et la volonté de paix font partie de ces combats. Charge à nous d’en prendre notre part, aux côtés de toutes celles et ceux qui les partagent afin de garder allumée cette flamme dont auront besoin pour se réchauffer ceux qui se sont égarés.