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Billet de blog 29 avril 2017

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Militant insoumis, je voterai Macron.

Militant insoumis, je voterai Macron : Lettre à toi qui voudrait m’applaudir et à toi qui pourrait me haïr.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Militant insoumis, je voterai Macron :

Lettre à toi qui voudrait m’applaudir et à toi qui pourrait me haïr.

J’ai choisi un titre un peu provocateur pour ce billet, mais il répond je crois aux réactions qu’il risque de provoquer.

Je suis insoumis, je n’ai pas compté mes heures de militantisme pour porter Jean-Luc Mélenchon et notre programme « L’Avenir En Commun » au second tour. A quelques 650.000 voix, nous n’avons pu franchir ce cap. Je voterai donc Emmanuel Macron le 7 mai prochain. Cela va m’attirer certainement des félicitations de gens que je méprise et qui me dégoutent, comme des huées de d’autres que je respecte, car ils et elles sont mes camarades insoumis-es, que nous avons lutté ensemble et que nous continuerons à le faire.

Je prends ici la peine d’écrire, parce que j’espère faire entendre une voix dans la cacophonie ambiante. Pour tenter de suivre une ligne de crête éclairée au milieu des procès, des injonctions et des colères. Cela ne vaut certes pas grand-chose. Je ne suis qu’un simple militant, mais j’espère faire ma part de ce que je crois juste, si infime soit-elle. C’est toujours la même chose pour les gens comme moi. Nous sommes comme le colibri dans la légende amérindienne. Nous apportons notre goutte d’eau pour éteindre l’incendie pendant que les autres animaux discutent à n’en plus finir.

A toi qui voudrait m’applaudir

Je ne veux pas de tes applaudissements ni de ta satisfaction pour mon vote. Tu me dégoutes. Cette situation politique, ce second tour autant dans son résultat que dans son contexte…

Tu en es responsable

Tu en es responsable, toi l’éditorialiste qui a caricaturé notre candidat en le comparant à un dictateur. Qui a vendu la dédiabolisation de Le Pen depuis dix ans. Qui a servi la soupe au Front National en l’invitant sur tes plateaux et en éditant des articles islamophobes et racistes.

Tu en es responsable, toi l’économiste de salon qui a dit que le programme l’avenir en commun était identique à celui de Le Pen.

Tu en es responsable, toi le et la grand-e patron-ne, qui a déclaré que notre programme serait un désastre pour la France. Qui passe ses journées à insulter les syndicalistes qui luttent pour leurs emplois et leurs vies. Celles que tu détruits, avec tes « plans de sauvegarde de l’emploi » qui n’en sauvent aucun. Avec tes délocalisations et ta « compétitivité » érigée comme dogme religieux. Pour maximiser tes dividendes tu nous a poussé-e à la dépression, aux divorces et aux suicides.

Tu en es responsable, toi le et la soutien du premier ministre de Sarkozy et du débat ignoble sur l’identité nationale. Qui a ouvert les préfectures, organisé par l’Etat le plus grand déversement de racisme des dernières années.

Tu en es responsable, toi Manuel Valls. Toi et tes ami-e-s qui avez proposé la déchéance de nationalité et stigmatisé les roms. Qui nous ont lancé des polémiques indignes sur le burkini. Qui ont tellement trahi les engagements pris devant les français-es en 2012 que la parole politique s’est retrouvée vidée de son sens.

Tu en es responsable, toi Benoit Hamon. Ta stratégie de la terre brûlée en fin de campagne était indigne. Pour sauver ta petite boutique tu as hurlé avec la meute que Mélenchon était identique à Le Pen et Poutine et qu’ils étaient tous ensemble un danger pour la démocratie.

Tu en es responsable toi, enfin, le et la militant-e d’En Marche. Tu n’as aucune idée de la violence de ta morgue et de tes mots. Tu n’imagines pas ce que signifie pour le pays réel tes propositions : destruction du code du travail par ordonnances, suppression de fonctionnaires, privatisation de l’école, tout pour la finance et rien pour le travail et les humbles qui essayent simplement d’en vivre dignement.

Vous toutes et tous, vos injonctions à rallier Emmanuel Macron sont indignes.

Votre morale n’est qu’hypocrisie.

Vous avez produit cette situation par votre irresponsabilité à maintenir coute que coute vos privilèges, à humilier les gens simples, à brouiller les repères, à pourrir la vie des travailleurs et travailleuses, à confisquer la démocratie. Si le risque d’une victoire de Le Pen existe clairement aujourd’hui, c’est de votre fait. Vous êtes les responsables de ce que des millions de gens ne veulent plus être les dindons de votre farce.

Alors plutôt que d’insulter Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise, vous devriez les remercier. Malgré toute l’aide que vous avez apporté au Front National, nous l’avons fait reculer. Si Marine Le Pen n’est pas en tête du premier tour, si elle n’est qu’a 650.000 voix devant Jean-Luc Mélenchon, si elle n’est plus le premier vote chez les jeunes et les chômeurs-euses, si elle recule nettement dans le vote des ouvrier-es, c’est grâce au travail acharné de tou-te-s les insoumis-es que vous insultez.

J’aurais aimé que vous preniez conscience de toute la colère que vous produisez, mais c’est impossible, enfermé-e-s que vous êtes dans vos salons dorés, cet entre-soi des privilèges qui vous coupent du pays réel et de la colère qui traverse son peuple. Puisque vous êtes incapables de cette prise de conscience, je m’adresse alors à ce qui chez vous est le seul intérêt pour les autres : votre opportunisme électoraliste. Si vous voulez que les électeurs et électrices de Mélenchon utilisent le bulletin de vote Macron pour battre Le Pen, taisez-vous et laissez-nous faire.

Parce que nous comprenons cette colère, que nous la partageons, que nous ne faisons pas la morale aux gens, nous faisons le choix d’avoir une discussion entre nous. Nous faisons le choix de la démocratie et du respect de chacun-e. Vous savez, cette chose que vous ignorez du haut de vos privilèges. Une discussion la plus raisonnée possible. Je dis bien possible, car vos politiques de caste et vos propos de ces derniers jours rendent les gens ivres de rage. Et je les comprends, je partage ce sentiment. Cette colère sourde, j’essaye de la dominer. Mais quand je vois votre candidat louer le droit de propriété inaliénable et sacraliser la liberté d’entreprendre devant des ouvrier-e-s de Whirlpool qui vont perdre leurs emplois, et dont les vies seront bousillées comme nombre d’autres avant elles et eux, c’est dur de garder son calme. Mais je vais tacher de le faire. Pas pour toi qui voudrait m’applaudir, mais pour toi camarade, ami-e insoumis-e, toi qui pourrait me haïr.

A toi qui pourrait me haïr

Je comprends que tu puisses me haïr d’aller voter Macron dimanche prochain. D’ailleurs les invectives que tu pourrais me faire me semblent légitimes contrairement aux applaudissements dégoutants de celles et ceux auxquel-le-s je me suis adressé plus haut. Nous sommes en colère et nous avons raison de l’être. Cette colère, nous avons su la transformer en espoir grâce à cette magnifique campagne, dont le résultat est historique, et très engageant pour l’avenir.

Cependant, à l’heure où j’écris ces lignes, nous sommes en débat entre nous. Parce que nous sommes une force démocratique, citoyenne et respectueuse de tou-te-s, nous avons une discussion pour éclairer ce que nous ferons dimanche prochain. Je voudrais te faire part ici de mes réflexions, et j’aimerai te les faire partager. C’est du débat, de l’argumentation et de la possibilité de se convaincre entre nous que nous serons fidèles à nous-mêmes et que nous ressortirons grandi-e-s de cette épreuve.

Notre Phi(losophie)…

Faire de la colère du peuple un espoir de changement, c’est ce qui fait de nous, comme le dit si bien notre porte-parole Jean-Luc Mélenchon « une force consciente et éduquée ». C’est donc à cette conscience partagée que je m’adresse. Celle qui est notre philosophie commune : la vertu républicaine, celle qui veut que nous ne choisissions pas ce qui est agréable pour nous en tant qu’individus, mais ce que nous considérons comme bon pour tou-te-s. Chacun de nos actes doit être universalisable, applicable par tou-te-s. Cette vertu républicaine est la traduction philosophique de la maxime populaire : « si tout le monde faisait comme toi, est-ce que ça marcherait ? ». Dans cette philosophie, il est alors évident que pour nous, toutes les options ne se valent pas. Car si on doit en toutes circonstances universaliser nos choix, face à Le Pen, la seule solution applicable par tou-te-s est de se saisir du bulletin Macron pour la renvoyer d’où elle vient. Car elle vient d’un endroit, n’en doutons pas un instant, bien plus violent que l’ENA et la Banque Rothschild.

…et la leur

D’où elle vient : voilà aussi ce dont nous devons nous rappeler. Je n’ai jamais cru à la dédiabolisation. Et au-delà des discours officiels, les dirigeant-e-s du FN non plus.

Le programme frontiste c’est la fin de l’Etat de Droit : La mise au pas de l’indépendance de la justice, l’interdiction des syndicats, le licenciement des enseignant-e-s « marxistes », la fin de la liberté de la presse avec le rétablissement de l’information d’Etat, le fichage des enfants d’origine étrangère, l’interdiction de manifester…

Le programme frontiste c’est la fin de l’Etat Social : La baisse des salaires dont sa part socialisée, et donc de la sécurité sociale, la chasse aux pauvres et à celles et ceux qui luttent contre la pauvreté comme le savent mes ami-e-s du secours populaire, la fin de la gratuité de certains soins dont l’IVG, l’ubérisation à marche forcée, le fichage des allocataires-trices sociaux…

Alors, de raison, il est impossible de croire qu’il sera plus aisé de résister lorsqu’ils et elles appliqueront leur politique. Jean-Luc Mélenchon l’a dit de nombreuses fois : ils et elles ont un projet de guerre civile, et quand ça dégénère, ce sont les nôtres qui perdent à chaque fois. C’est pour cela que notre stratégie révolutionnaire est démocratique, par le vote, et non par les armes.

Se salir les mains contre le fascisme

L’abstention ou le vote blanc n’est pas une solution rationnelle. Tout d’abord car cette solution contrevient à notre philosophie commune : elle n’est pas universalisable.

Compter sur les autres pour faire le sale boulot de renvoyer la fasciste dans les poubelles de l’Histoire est risqué. Si l’on est trop nombreux-euses à faire ce choix l’accident est clairement possible. Essayer une stratégie d’abstention différenciée pour espérer finir avec un Macron à 51% et une Le Pen à 49%, c’est prendre un risque très fort : il n’y a aucun moyen de savoir à l’avance quelles seront les stratégies des millions d’autres électeurs et électrices.

Si on compte sur les autres pour faire le boulot, il y’a des chances qu’ils et elles ne le fassent pas ou qu’ils et elles le fassent mal. Il suffit de constater cette semaine de campagne catastrophique de Macron : soirées people, déclarations méprisantes et manque total d’humilité. C’est un je m’en foutiste et contrairement à nous, il n’a pas l’amour du travail bien fait…

En réalité lui aussi souhaite avoir Le Pen très haut, pour faire jouer à plein la dynamique du vote utile autour de lui lors des futures élections législatives, et avoir un monstre tellement puissant en face que toutes nos luttes de résistance à sa future politique de casse sociale seraient désamorcées dans l’œuf.

Macron souhaite tout cela, tout en n’ayant aucun remords si jamais il perdait à ce jeu dangereux : il sait pertinemment que lui et ses ami-e-s de la caste de l’argent n’ont absolument rien à craindre d’une victoire de Le Pen. Ils et elles sauront s’en arranger, comme ils et elles l’ont toujours fait, partout dans le monde tout au long de l’Histoire.

Se salir toutes et tous les mains pour mieux résister après

Avoir Macron élu à 51%, n’est pas une solution : cela signifie avoir Marine Le Pen à 49%.

Pensons donc aux conséquences symboliques et politiques pour nos combats à venir. Le Pen a 49%, ce sera la libération totalement décomplexée de ses partisan-e-s racistes. Le déferlement des ligues et de ses autres groupuscules violents dans les rues de notre Patrie. Ce sera aussi une mobilisation sans précédent de ses électeurs et électrices pour les élections législatives, et donc l’impossibilité pour nous, Insoumis-es, d’envoyer au Parlement nos porte-voix de la France qui souffre.

Et pour celles et ceux qui n’en peuvent plus de ce système et veulent mettre un grand coup de pied dans la fourmilière, celles et ceux-là même que nous comprenons, à qui nous ne faisons pas la morale mais que nous essayons de convaincre, ce sera le faux-signal que notre projet doit s’effacer devant la France ethnique et autoritaire. Notre position deviendra presque inaudible : elle nous aura battu-e-s pour incarner le vote de rupture avec le système alors qu’elle en est la complice et que nous le savons.

Ne lui offrons pas cet espace.

Je préfère que la suite de nos combats se concentre sur Macron. Pour ne pas laisser l’espace politique de la contestation du système au FN, il faut qu’elle prenne la pilée qu’elle mérite.

Ce petit-monsieur et sa minorité d’ami-e-s puissant-e-ss parlera de vote d’adhésion ? Nous lui répondrons non dans nos mobilisations. Nous lui dirons non en fédérant l’action populaire. Nous lui dirons non en faisant de l’Avenir en Commun la réponse inéluctable à sa politique.

Depuis dimanche ce qu’il représente le dépasse.

Le meilleur moyen de transformer ce dépassement en noyade, c’est de voter massivement pour lui.

Hâter notre victoire

Prenons maintenant un peu plus de hauteur. Le système a dû recourir à de nombreux sacrifices pour se sauver cette fois-ci : liquider sa jambe gauche – le PS – et fracturer sa jambe droite – les LR – en leur imposant un 21 avril de droite. Ils ont dû rassembler leurs dernières forces dans un improbable attelage des anciens contraires autour de Macron. Leurs contradictions arrivent à un tel point, qu’il est facile de parier que Macron ne finira pas son quinquennat avec une majorité, qu’à la première secousse sociale qui ne manquera pas d’arriver, ce soit la panique à tous les étages.

La crise de régime entre dans sa phase terminale avec ce second tour. Le choix à notre disposition est alors celui-ci : voulons-nous pour les prochaines années un adversaire en pleine agonie que nous n’aurons aucun mal à combattre et sur lequel une victoire prochaine et probablement plus rapide qu’on ne le croit est quasiment assurée ? Ou voulons-nous que la crise de régime se termine maintenant par la sortie d’extrême-droite et la stabilisation politique autour d’un pouvoir autoritaire aux penchants dictatoriaux ? En d’autres termes, voter Macron, c’est s’assurer de notre victoire rapide, ne pas voter et laisser Le Pen gagner, c’est nous condamner au reflux et à la défaite. Car il n’y a strictement aucune corrélation automatique entre une politique libérale au service des banques et la montée du FN. Les politiques au service de la finance provoquent de la colère, cette colère peut être soit détournée en ressentiment et en vote FN, soit transformée en espoir de changement et en vote insoumis. Ce qui fait la différence entre les deux processus est de notre fait en tant que mouvement citoyen et de notre capacité propre à mieux répondre à cette colère que le FN. C’est d’ailleurs ce que nous avons démontré dans cette campagne, si nous poursuivons dans cette voix, nous gagnerons et nous nous libèrerons à la fois de la caste des libéraux et de leur monstre fasciste.

Voter Macron, ce n’est pas avoir le FN en 2022. Voter Macron, c’est se donner les moyens de gagner soit contre lui, soit contre le FN, en 2022, ou peut-être même bien plus tôt.

N’écoutons pas les injonctions et les moralisations des dégoutant-e-s et des responsables de cette situation. N’agissons pas selon notre colère de laisser ces gens-là se débrouiller entre elles et eux, mais bien selon notre raison, notre philosophie, celle de la vertu républicaine. Maintenons notre lucidité d’analyse de citoyen-ne-s éclairé-e-s malgré notre rage. Salissons-nous les mains pour choisir de hâter notre victoire prochaine. Le peuple de France en a tellement besoin.

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