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Billet de blog 17 septembre 2025

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L’assassinat de Kirk est-il le moment « incendie du Reichstag » des États-Unis ?

Il n’est pas rare qu’il suffise d’une balle ou deux pour libérer le mal et changer le cours de l’histoire. L’humanité en a été témoin à maintes reprises. Un meurtre aux États-Unis a déjà provoqué un effet glaçant.

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Le vieil adage est redevenu réalité : l’histoire se répète. Elle le fait aujourd’hui dans une spirale descendante, comme si le scénario était écrit d’avance.

Il n’a pas fallu longtemps avant que le président Trump ne lance une vaste offensive pour museler divers pans de l’opposition et des ONG aux États-Unis, en utilisant comme prétexte le militant d’extrême droite Charlie Kirk. L’argument avancé : les organisations démocratiques et les manifestants civils seraient complices d’un complot violent contre les valeurs conservatrices de la société.

Les cibles immédiates sont le New York Times et Penguin Random House. Trump a déposé une plainte en diffamation de 15 milliards de dollars (pas moins !) contre le journal et l’éditeur, affirmant que leurs publications avaient nui à sa réputation professionnelle, personnelle et politique à l’approche de l’élection présidentielle de 2024.

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« Le sentiment prédominant, c’est : IL ÉTAIT TEMPS ! », a-t-il écrit sur son réseau Truth Social. « Les médias de la gauche radicale travaillent dur pour détruire les États-Unis. Nous allons les arrêter à tous les niveaux !!! »

Le procès pourrait se poursuivre sur la base d’arguments que le New York Times juge infondés, mais l’intention est déjà claire — suivant le manuel du président turc Erdoğan — : intimider la presse critique et museler la dissidence.

Et ce n’est pas tout. Trump et ses principaux collaborateurs indiquent vouloir cibler des groupes libéraux comme l’Open Society Foundation de George Soros ou la Fondation Ford ; lancer des enquêtes fédérales sur les discours de haine ; et désigner certains collectifs comme organisations terroristes intérieures.

Stephen Miller, chef adjoint de cabinet de Trump, a déclaré : « Nous allons utiliser toutes les ressources du ministère de la Justice, de la Sécurité intérieure et de l’ensemble du gouvernement pour identifier, perturber, démanteler et détruire ces réseaux et rendre l’Amérique sûre à nouveau pour le peuple américain. Cela arrivera, et nous le ferons au nom de Charlie. »

Les trumpistes exultent. Beaucoup estiment que leur heure est venue.

Laura Loomer, proche de Trump, a posté sur X : « Je dois dire que je veux que le président Trump soit le “dictateur” que la gauche prétend qu’il est ; et je veux que la droite soit aussi déterminée à emprisonner et à réduire au silence nos ennemis politiques violents qu’ils prétendent que nous le sommes. »

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Tyler Robinson

Tout cela se déroule avant même le procès de Tyler Robinson, 22 ans, qui a avoué le crime.

Chaque jour qui passe éloigne un peu plus les espoirs de réconciliation et de “désaccord respectueux” — comme l’a exprimé le gouverneur de l’Utah, Spencer Cox. Les épées sont tirées, et l’ambition de transformer les États-Unis en un État policier n’est plus dissimulée. C’est un moment terrifiant de l’histoire — encore une fois.

La façon dont se déroulent l’assassinat de Kirk et ses suites menace d’être — dans ses grandes lignes et dans son esprit — une répétition de ce qui a suivi l’infâme “incendie du Reichstag” en Allemagne, peu après l’ascension irrésistible du parti nazi au pouvoir.

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Rappelons-le : l’incendie du Reichstag a eu lieu le 27 février 1933, lorsque le bâtiment du parlement allemand à Berlin fut incendié. Un jeune communiste néerlandais au chômage, Marinus van der Lubbe, fut retrouvé sur place et arrêté, accusé d’avoir déclenché le feu.

Les nazis, dirigés par Adolf Hitler, récemment nommé chancelier, affirmèrent que l’incendie était un complot communiste pour renverser le gouvernement. S’appuyant sur cet événement, Hitler persuada le président Paul von Hindenburg d’émettre le décret de l’incendie du Reichstag, qui suspendit des libertés fondamentales comme la liberté d’expression, de réunion et la protection de la vie privée.

Ce décret permit aux nazis de consolider leur domination politique, d’arrêter des milliers de communistes et d’opposants, éliminant ainsi toute résistance et ouvrant la voie à la loi des pleins pouvoirs de 1933, qui donna à Hitler des pouvoirs dictatoriaux.

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Marinus van der Lubbe

Si la version officielle incrimina les communistes, les historiens débattent encore des véritables responsables, certains suspectant même les dirigeants nazis d’avoir orchestré l’incendie pour s’emparer du pouvoir. L’incendie du Reichstag marqua un moment décisif dans le démantèlement de la République de Weimar et l’instauration de la dictature nazie.

Mis dans un contexte plus large, “l’effet Kirk” qui s’empare des États-Unis pourrait aussi galvaniser l’extrême droite de ce côté-ci de l’Atlantique. L’ambiance en Europe peut être décrite, au mieux, comme une agitation contagieuse. Les développements récents en France annoncent une crise de régime, alors que le président Macron peine désespérément à maintenir son pouvoir.

Le terrain est plus que jamais propice à une spirale descendante. Le paysage politique européen est en pleine mutation, entre crises, impasses et montée des nationalismes, qui bouleversent trois de ses pays pivots : la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni.

Chacun lutte contre ses fractures internes et la poussée de l’extrême droite : le Rassemblement National (RN) en France, l’Alternative für Deutschland (AfD) en Allemagne, et les forces revigorées de Nigel Farage en Irlande du Nord et au-delà, au Royaume-Uni.

Le système politique français est paralysé, tandis que la frustration populaire monte. L’influence croissante du RN menace de fragmenter la gouvernance et remet en cause le rôle traditionnel de la France en Europe, avec le risque de changements de cap imprévisibles.

Souvent considérée comme le bastion de stabilité de l’Europe, l’Allemagne affronte désormais une montée en puissance de l’AfD. Lors des élections régionales en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le parti a presque triplé son score, renforçant son poids tant au niveau régional que fédéral. Les sondages récents placent l’AfD à un niveau inédit, 26–27 % des intentions de vote, devant le bloc CDU/CSU, crédité de 25 %.

Au Royaume-Uni, Nigel Farage est réapparu comme une force incontournable. À la tête de Reform UK, il mise sur un programme axé sur le contrôle de l’immigration, l’ordre et la sécurité, et le nationalisme économique. Les sondages créditent Reform UK de 30–31 % des intentions de vote, le plaçant en tête à droite et en rival sérieux tant du Labour que des conservateurs. Cela reflète la frustration croissante face aux partis traditionnels, dans un climat économique et social tendu, où les sentiments anti-migrants restent forts.

L’histoire nous enseigne qu’une fois ces forces sombres libérées, elles tendent à s’alimenter et se renforcer mutuellement par-delà les frontières. Dans ce contexte, il n’est pas difficile de prédire une nouvelle répétition.

L’humanité est, une fois encore, en jeu.

Illustration 5

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