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Billet de blog 31 décembre 2016

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Palestine, Israël : comment se départir des voeux pieux?

Le crépuscule de l'année 2016 voit le conflit israélo-palestinien revenir sur le devant de la scène, avec le vote de la résolution 2334 par le Conseil de Sécurité et le discours-bilan de John Kerry à charge contre l'Etat hébreu. Désormais, une question taraude les esprits concernés par ce conflit, le plus long de l'époque contemporaine : comment peut-on aller au-delà des mots?

Adam Serin

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Le 23 décembre dernier, le Conseil de Sécurité a adopté, pour la première fois depuis de longues années, une résolution relative au conflit israélo-palestinien qui appelle à la cessation immédiate de la construction de colonies de peuplement en Cisjordanie. Le texte a obtenu 14 votes favorables et a surtout bénéficié de l’abstention américaine, alors même que la délégation onusienne des Etats-Unis est connue pour le soutien indéfectible qu’elle apporte habituellement à Israël, usant systématiquement de son droit de véto dès lors que l’intérêt de son partenaire historique est en jeu. Pour la première fois depuis 1979, l’administration israélienne est ainsi rappelée au respect du droit international qui, à l'article 49 de la section IV de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, précise que "la puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d'une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle.".

Les sympathisants de la cause palestinienne et les partisans du respect du droit ne peuvent que se réjouir de ce vote, qui a le mérite de mettre fin au mutisme total de la communauté internationale sur ce conflit depuis 2009, quand le Conseil de Sécurité avait adopté un texte condamnant l'opération "Plomb durci" meneé à Gaza par l'armée israélienne. Sur le terrain, ce silence s’est traduit par un accroissement phénoménal du nombre de colons installés en Cisjordanie (près de 600 000 aujourd’hui, deux fois plus qu'en 2009!), la poursuite du blocus sur Gaza et l’intensification de la politique d’apartheid à l’encontre des populations arabes. De multiples ONG présentes sur le terrain (Amnesty International, B’Tselem, Breaking the Silence, Physicians for Human Rights, Adalah, Yesh Din…) communiquent quotidiennement des informations sur les brimades subies par les Palestiniens : assassinats de centaines de civils par des forces armées à la brutalité sans borne, arrestations et détentions arbitraires, tortures, mauvais traitements, humiliations et files d’attente interminables aux checkpoints de passage en territoire israélien… Dans cet océan de désespoir, la résolution 2334 a au moins le mérite de rappeler au monde l’existence des Palestiniens et leur désarroi extrême.

Pour autant, il serait naïf de penser que ce texte à lui seul suffira à rééquilibrer si peu que ce soit un rapport de force excessivement favorable à l’Etat hébreu, d’autant plus que Netanyahou a d’ores et déjà affirmé que son administration ne se conformera pas à la résolution. Ainsi, de nouvelles constructions de colonies ont déjà été approuvées par la municipalité israélienne de Jérusalem, pendant que le cabinet du premier ministre annonçait une avalanche de mesures de rétorsion à l’encontre des pays ayant voté en faveur du texte : rappel des ambassadeurs israéliens en Nouvelle-Zélande et au Sénégal « pour consultation », annulation de la visite du ministre des affaires étrangères sénégalais prévue en janvier, annulation de tous les programmes d’aide au Sénégal, annulation des visites en Israël des ambassadeurs non-résidents du Sénégal et de la Nouvelle-Zélande… Le durcissement de l’exécutif israélien, qui vire vers l'extrême-droite sans discontinuer depuis le début des années 2000, se révèle aujourd’hui au grand jour et ne laisse planer aucun doute quant à l’impact réel de la résolution onusienne sur le quotidien des populations palestiniennes. Par ailleurs, l’alternance présidentielle aux Etats-Unis, avec l’arrivée au pouvoir d’un président ouvertement aligné sur les positions de l’administration Netanyahou, laisse présager un avenir peu prometteur pour le processus de paix.

Toutefois, pour symbolique qu’elle soit, la résolution 2334 du Conseil de Sécurité pourrait ouvrir un nouveau cycle dans le rapport entre Israël et la population palestinienne…à condition que les Etats et les sociétés civiles du monde entier s’en donnent les moyens. Comme certains commentateurs l’ont relevé, ce texte fournit un fondement juridique conséquent au boycott des produits issus des colonies, dont l’Union Européenne avait déjà imposé l’étiquetage en 2015. Mais en politique comme ailleurs, l’appétit vient en mangeant et il pourrait bien venir l’envie aux franges les plus progressistes des opinions publiques de la planète de s’arroger un droit d’inventaire sur la gestion par leurs gouvernants de la question israélo-palestinienne. Car en effet, il y a bien des choses à redire sur l’approche retenue au cours des 25 dernières années pour trouver une solution au conflit. Comme l’explique Julien Salingue, intellectuel spécialiste de la question israélo-palestinienne, le paradigme des négociations israélo-palestiniennes repose depuis le début des années 1990 sur l’organisation de pourparlers sans intermédiaires et sans conditions préalables entre les deux parties, sous la supervision de puissances étrangères « neutres » et garantes de la pérennité du processus, Etats-Unis en tête.

Concernant le rapport des grandes puissances à la question israélo-palestinienne, l’affaire est vite vue. Il faut en effet avoir la candeur ou l'inconséquence chevillées au corps pour continuer à croire à la neutralité de pays qui entretiennent des rapports diplomatiques et commerciaux  très cordiaux avec Israël, sans rien trouver à redire au sort fait par ce dernier aux Palestiniens. Ironie du sort, les Etats-Unis ont encore accordé, quelques jours seulement avant le vote du Conseil de Sécurité, une aide militaire record de 38 milliards de dollars sur 10 ans à l’Etat hébreu, alors même que l’administration Obama entretient des relations notoirement exécrables avec le premier ministre israélien.

C’est donc plutôt sur les conditions du « dialogue » entre les parties concernées qu’il faut s’attarder. Au nom d’une conception profondément dévoyée de la justice, il a en effet été considéré pertinent de traiter l’Etat d’Israël et le peuple palestinien comme des égaux entre lesquels il suffirait de réinstaurer le dialogue pour que la paix finisse par émerger. Bien évidemment, il est arrivé ce qui devait arriver : les points d’achoppement se sont multipliés, notamment sur les questions du sort des réfugiés et du statut de Jérusalem, et le processus de paix s’est enlisé dans l’indifférence générale. Cette situation a laissé toute latitude à l’Etat d’Israël pour faire évoluer la réalité du terrain à sa guise, en pratiquant la sacro-sainte politique du fait accompli : c’est donc ainsi que le nombre de colons en Cisjordanie a considérablement augmenté au cours des deux dernières décennies, et en particulier depuis le retour au pouvoir du Likoud en 2009.

En réalité, le sort du processus de paix initié en 1993 était largement prévisible : comment le faire de mettre un Etat constitué, doté d’institutions solides, d’une économie florissante (18ème au classement IDH du PNUD), d’une des armées les plus puissantes au monde face à une population vivant dans le désespoir et la clandestinité depuis 1948 aurait-il pu aboutir à autre chose qu’à la prévalence de la loi du plus fort sur le terrain ? Les gouvernements israéliens qui se sont succédés depuis l’assassinat d’Itzhak Rabin ont ainsi assorti leur intransigeance en matière de négociation de la poursuite implacable d’une politique de confiscation des territoires devant servir de base à la construction d’un futur Etat palestinien. La solution à deux Etats, faisant l’objet d’un consensus à l’échelle internationale, n’est désormais plus qu’une lointaine chimère…

A la vérité, peu de Palestiniens croient encore à la possibilité qu’un Etat palestinien souverain voie le jour. Ce qu’ils demandent désormais, c’est la reconnaissance de leurs droits en tant que peuple, et la fin d’une occupation humiliante qui n’a que trop duré. Aussi, la mobilisation internationale au service de la cause palestinienne doit se déporter de la question des deux Etats, subsidiaire et dont on a vu qu’elle était déjà fort compromise sur le terrain, à celle de la reconnaissance et droit et en fait de la stricte égalité en droits et en dignité des peuples palestinien et israélien. Arrêt de la colonisaton, fin du blocus de Gaza, liberté de circulation pour les Palestiniens, libération des détenus n’ayant pas bénéficié de procès équitable… Ces revendications doivent passer du rang d’objectif à celui de prérequis à l’instauration d’un semblant d’égalité réelle entre le puissant et le faible. Aux pourparlers « sans conditions préalables » institués par le processus d’Oslo, il faut donc substituer une démarche volontariste imposant à Israël l’acceptation des doléances les plus élémentaires des Palestiniens.

Bien entendu, ce scénario ne serait envisageable qu’à la faveur d’une évolution substantielle du rapport de forces entre les deux parties. S’il n’y a malheureusement pas grand-chose à attendre de gouvernements dont la mansuétude à l’égard de la puissance occupante ne fait plus aucun doute, c’est aux sociétés civiles du monde entier que l’on doit les initiatives susceptibles de générer une inflexion significative dans la situation au Proche-Orient. Inspirées du mouvement de lutte contre l’apartheid sud-africain, les initiatives de boycott économique, culturel, sportif et universitaire défendues par le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions, lancé) jouissent d’une popularité croissante dans les pays occidentaux, à tel point que celui-ci fait désormais l’objet de débats à l’échelle nationale dans certains Etats comme la France, où il est d’ailleurs victime de multiples tentatives de musellement de la part des autorités publiques.

S’appuyant sur le constat que le combat ne commencera pas dans les salles de négociation feutrées de l’ONU ou de la Maison Blanche (surtout pas dans le cadre d’un mandat Trump…), mais plutôt qu’il doit s’y inviter de force, la stratégie du mouvement BDS repose sur une idée somme toute très simple : la mise à l’index de l’Etat d’Israël au nom du refus de l’apartheid et de la violation perpétuelle du droit international est à coup sûr le meilleur moyen de militer pour que quelque chose se passe enfin, et que l’on sorte de la spirale infernale dans laquelle les Palestiniens s’enfoncent depuis 1948. Rappeler en permanence aux citoyens du monde entier qu’Israël ne saurait être considéré comme un « partenaire » comme un autre, les pousser à interroger leurs gouvernants et leurs entreprises sur les relations qu’ils entretiennent avec l’Etat hébreu, mettre des grains de sable dans tous les rouages de la mécanique normalisatrice, tel est l’horizon politique que doit se fixer la lutte pour l’émancipation palestinienne. Depuis 2005, le mouvement a remporté de nombreux combats : des dizaines de villes espagnoles se sont proclamées « libres d’apartheid » en rompant leurs liens avec le régime israélien, la société de sécurité G4S a cédé sa filiale impliquée dans la gestion du système carcéral israélien, Orange a mis fin à un contrat de franchise le liant à Partner Communications, société de télécoms assurant la couverture des colonies implantées en Cisjordanie, des dizaines d’universités, de syndicats et de partis politiques à travers la planète ont ouvertement affirmé leur soutien au mouvement… Il s’agit désormais pour les amis de la cause palestinienne d’accroître la portée de ce mouvement, pour lui donner une résonance telle que même les autorités israéliennes se verront contraintes de le prendre en considération. Et si la résolution 2334 contribue à redonner de la vigueur à ce combat, alors le geste du Conseil de Sécurité, bien qu’anecdotique au regard d’une situation désormais devenue dramatique, n’aura pas été vain.

Sources: http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/israel-comprendre-la-colonisation-des-territoires-occupes_921945.html; http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/10/02/israel-donne-son-feu-vert-a-la-construction-de-98-logements-dans-une-colonie-de-cisjordanie_5006788_3218.html

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