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Billet de blog 19 avril 2009

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Guadeloupe, accord Jacques Bino : A propos d'une extension partielle

Monsieur Georges Boucart est une des figures du mouvement social en Guadeloupe.Dans son remarquable texte « Guadeloupe, accord Jacques Bino, états généraux : Le feu couve sous la cendre » (cf. l’invité de Mediapart, vendredi 17 avril 2009), l’auteur apporte sa contribution à une meilleure compréhension des fondements politiques, économiques et sociaux du mouvement en cours dans ce territoire.

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Monsieur Georges Boucart est une des figures du mouvement social en Guadeloupe.Dans son remarquable texte « Guadeloupe, accord Jacques Bino, états généraux : Le feu couve sous la cendre » (cf. l’invité de Mediapart, vendredi 17 avril 2009), l’auteur apporte sa contribution à une meilleure compréhension des fondements politiques, économiques et sociaux du mouvement en cours dans ce territoire.

M Boucart évoque notamment la colère du LKP à la suite du refus par le gouvernement de procéder à l’extension complète de l’accord Jacques Bino.

De quoi s’agit-il précisément ? Comment le gouvernement justifie-t-il une telle décision ? Quelles peuvent être les conséquences de cette décision ?

Un accord régional interprofessionnel sur les salaires en Guadeloupe « accord Jacques Bino » a été signé le 26 janvier 2009 par quatre organisations professionnelles d’employeurs d’une part et 7 organisations syndicales représentatives de salariés d’autre part, avec pour principal objet de compenser les importantes pertes de pouvoir d’achat des salariés, par la revalorisation des bas salaires

Cet accord avait donc pour vocation de s’appliquer à l’ensemble des entreprises et de leurs salariés (du secteur privé marchand et associatif) dans le champ territorial de la région Guadeloupe.

Le long préambule qui précède l’accord constitue une déclaration solennelle d’intention par laquelle les signataires employeurs et salariés entendent qualifier le contexte économique et social dans lequel s’inscrit cet accord et qui justifie la nécessité de recourir à une augmentation substantielle des bas salaires.

Le premier paragraphe du préambule a été le plus remarqué et commenté car il reflète la volonté commune des signataires de qualifier la situation qui prévaut en Guadeloupe comme résultant notamment de la « pérennisation du modèle de l’économie de plantation ».

Les autres paragraphes du préambule ont pas ou peu été commentés alors qu’ils procèdent à une analyse également critique de tous les obstacles qui entravent le développement économique et social de la région et de ses habitants.

Mais l’objet principal de l’accord Jacques Bino porte sur l’augmentation mensuelle de 200 € bénéficiant principalement aux plus bas salaires (du SMIC à 1,4 SMIC) ; pour les autres rémunérations (de 1,4 à 1,6 SMIC), l’accord renvoie en substance à la négociation de branche et/ ou d’entreprise (article II de l’accord).

L’accord fixe par ailleurs les conditions de financement de cette augmentation des salaires (articles III et IV).

Prise en charge par les entreprises tout d’abord ( de 25% à 50% de la revalorisation selon l’effectif de l’entreprise), par l’état ensuite, par le biais du Revenu Supplémentaire Temporaire d’activité (50% de la revalorisation quelque soit la taille de l’entreprise), par les collectivités enfin (25% de la revalorisation pour les entreprises jusqu’ à 100 salariés).

La durée de prise en charge étant fixée à 36 mois pour l’état, 12 mois pour les collectivités, l’accord prévoyant qu’à l’issue de la période de trois ans, l’augmentation de salaire désormais intégrée à la rémunération des salariés resterait à la charge des entreprises (articles V- clause de convertibilité-).

Il est enfin prévu que la part de revalorisation de salaire incombant aux entreprises est exonérée des cotisations et contributions sociales (hors CSG et CRDS) pendant trois ans, voire au delà suivant l’adoption d’une disposition législative.

Cet accord longuement et durement négocié, a été finalement signé le 26 février avec une certaine solennité en présence du Préfet de la région Guadeloupe (événement suffisamment rare pour être relevé) et de quatre « médiateurs » nommés par le gouvernement.

A cette date cependant, l’accord Jacques Bino ne produisait effet qu’à l’égard des seules entreprises adhérentes à une organisation syndicale ou groupement d’employeurs signataires de l’accord.

Parmi les non signataires de l’accord ou ayant refusé de participer à la négociation, le MEDEF (malgré les injonctions du préfet), la CGPME, la FNSEA... ces dernières étant très peu représentatives en Guadeloupe.

Dès lors, l’accord ne pouvait s’appliquer à l’ensemble des salariés de l’île, malgré le fait que la quasi totalité des organisations syndicales de salariés aient signé l’accord.

C’est pourquoi, conformément au code du travail, les syndicats ont saisi le ministre chargé du travail pour lui demander d’étendre à tous les salariés de la Guadeloupe les dispositions de l’accord Jacques Bino.

En effet, l’extension, quand elle est admise a pour objet de rendre obligatoire les termes d’une convention ou d’un accord collectif à l’ensembles des entreprises du champ territorial concerné, qu’elles soient ou non signataires de la convention ou de l’accord collectif concernée.

Le ministre chargé du travail a donc la possibilité d’étendre la totalité du texte dont il est saisi, ou bien de refuser purement et simplement l’extension (ex. de Mme Aubry, alors ministre du travail, ayant refusé l’extension d’un accord collectif qu’elle estimait trop défavorable aux salariés… et renvoyant les partenaires sociaux à rouvrir les négociation).

Mais le ministre du travail a également la faculté de procéder à une extension partielle de l’accord ou de la convention.

Ce mécanisme d’extension créé par le gouvernement du Front Populaire a une fonction à la fois sociale (égalité de traitement entre les salariés, homogénéisation des conditions de travail et d’emploi évitant le dumping) et économique (éviter ou limiter les distorsions de concurrence entre les entreprises).

En principe, dès lors que certaines conditions de forme ont été respectées et que (pour résumer)les dispositions de la convention ou de l’accord ne soient pas en contradiction avec les textes législatifs ou réglementaires en vigueur, le ministre chargé du travail procède à l’extension dans le respect de la volonté des partenaires sociaux signataires de l’accord ou de la convention visée.

En l’espèce, toutes les conditions semblaient réunies pour que le gouvernement, respectant la volonté majoritairement exprimée par la population de la Guadeloupe, donne à cette accord sa plénitude d’application.

Une telle décision aurait ainsi permis de favoriser un apaisement des tensions sociales et d’amorcer dans des conditions normales l’ouverture des « Etats Généraux de l’Outre Mer » annoncés par le Président de la République.

Or, tel n’a pas été le choix effectué par le gouvernement.

Dans son arrêté paru au J.O. du 10 avril 2009, (décision peu reprise ni commentée en France hexagonale, par rapport à la couverture médiatique du conflit social dans les Antilles), le ministre du travail a étendu l’accord du 26 février 2009 à tous les employeurs et salariés dans le champ d ‘application de l’accord.

Cela signifie tout d’abord que l’augmentation générale de 200 € prévue par l’article II s’applique désormais à toutes les entreprises de Guadeloupe dans les conditions de versement et de financement visés par cet accord.

Mais comme nous le verrons, cette augmentation n’a en principe qu’un caractère provisoire (3 ans).

En effet, l’arrêté ministériel exclut de l’extension :

- Le préambule de l’accord

- L’article V de l’accord – clause de convertibilité-

Ce faisant, le ministre du travaille vide l’accord Jacques Bino d’une partie de sa substance et en limite fortement la portée.

- Sur l’exclusion du préambule, le gouvernement en la personne du ministre du travail, donne gain de cause au MEDEF qui avait montré une forte hostilité de principe vis à vis de cet accord tant dans son aspect social (l’augmentation des bas salaires) que dans son préambule qu’il analysait comme « …portant atteinte aux valeurs fondamentales de la république… ».

On ne voit cependant pas sur quels fondements constitutionnels il pourrait être sérieusement soutenu que les principes contenus dans ledit préambule seraient contraires aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales…y compris du fait de la référence au « modèle de l’économie de plantation ».

D’ailleurs, l’arrêté ministériel préfère écarter cette argumentation, pour se retrancher derrière un raisonnement juridique spécieux selon lequel le préambule serait « …dénué de toute portée normative et de tout lien avec l’objet d’un accord collectif… » !

C’est oublier que le « diagnostic » économique et social établi par les partenaires sociaux , employeurs et salariés signataires de l’accord figurant dans le préambule (et qui ne se limite pas au qualificatif « d’économie de plantation ») éclaire le sens et le contenu concret de l’accord Jacques Bino.

En tout état de cause et plus généralement, les préambules qui précèdent fréquemment les accords collectifs conclus au niveau national ou local et interprofessionnel, se présentent le plus souvent comme de simples déclarations d’intention sans autre portée que symbolique et limitée au surplus, comme en l’espèce, à un territoire bien déterminé.

En réalité, la décision ministérielle d’écarter la totalité du préambule apparaît dénuée de tout fondement juridique sérieux, alors qu’il aurait été possible de n’écarter que le ou le paragraphe/ litigieux.

Les vraies raisons de l’exclusion totale du préambule sont donc probablement à rechercher dans la volonté de certains membres du gouvernement et du patronat de minimiser les succès obtenus par le mouvement populaire en Guadeloupe, voire de nier aux signataires de l’accord la capacité ou la légitimité d’établir un véritable état des lieux.

-De portée beaucoup moins symbolique car entraînant d’importantes conséquences financières, est la décision d’exclure de l’extension la « clause de convertibilité », au motif que cette stipulation de l’accord « … imposerait une augmentation générale de salaires sans tenir compte de la situation économique…qui prévaudra aux échéances qu’il fixe… ».

Les conséquences directes de l’exclusion de cette clause est qu’au terme des trois ans prévus par l’accord, l’augmentation mensuelle de 200 € ne s’appliquera plus en principe qu’aux seules entreprises signataires de l’accord.

Paradoxalement, ce sont donc majoritairement les petites entreprises qui devraient seules être tenues à l’application intégrale de l’accord Bino au delà du délai de trois ans, puisque ce sont celles qui sont membres des organisations patronales signataires de l’accord du 26 janvier 2009, ainsi que celles qui à la suite de la signature de l’accord ont accepté d’y adhérer directement et volontairement.

L’arrêté du ministre du travail d’amputer l’accord Jacques Bino va donc créer une instabilité économique, sociale et juridique.

Economique d’abord, par le fait que la plupart des grandes entreprises de Guadeloupe (adhérentes ou non au Medef) ayant refusé de signer l’accord, alors que globalement les petites entreprises l’ont accepté, cette situation ne pourra que renforcer la domination des grands groupes de l’île.

Sociale et juridique ensuite, car comment admettre que dans trois ans soient remises en cause des augmentations désormais intégrées dans la rémunération des salariés et considérées comme droits acquis… ?

Quelques pistes cependant :

Des recours judiciaires sont encore parfaitement envisageables à l’encontre de la décision ministérielle. Les organisations syndicales doivent sérieusement y penser.

Le LKP avait anticipé la décision gouvernementale en continuant à développer les mouvements sociaux ; dans de nombreuses entreprises de toutes dimensions, les salariés ont obtenu par leurs actions l’application de l’accord (non amputé).

Enfin, des entreprises ont quant à elles clairement manifesté leur adhésion à l’accord Jacques Bino et ont volontairement décidé d’en appliquer tous les termes.

Comme l’a écrit le LKP dans un tract récent : « Il n’existe qu’un seul accord Bino, l’accord signé le 26 février 2003…L’accord Bino étendu n’est pas l’accord Bino. Respé pou BINO. Respè pou Travayé !!! »

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