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Billet de blog 2 février 2009

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Homme et femme dans le film humaniste bien que truculent des Barbouzes...

Film moins connu que les tontons flingueurs, les barbouzes mériteraient de l'être pourtant. C'est un film drôle, voire hilarant et empli d'une poésie, qui bien que cinglante, peut charmer l'âme tant rabelaisienne que gauloise.

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Film moins connu que les tontons flingueurs, les barbouzes mériteraient de l'être pourtant. C'est un film drôle, voire hilarant et empli d'une poésie, qui bien que cinglante, peut charmer l'âme tant rabelaisienne que gauloise. Plus qu'une ode à l'alacrité de la vie, les Barbouzes sont un petit miroir des relations hommes-femmes de la société de cette époque, à savoir la France de De Gaulle. A tout seigneur tout honneur, parlons des femmes. La place des femmes (car il y en a plusieurs, même si elles sont dominées par la figure sensuelle et envoûtante de Mireille Darc) est assez singulière et toujours dominée par celles des hommes...

* L'éminence voilée de l'alcôve.

La femme, c'est d'abord, encore une fois, celle de l'alcôve. L'alcôve où meurt le seigneur de la guerre, Bernard Shah. Il y décède à la manière du feu Président Félix Faure, dans la chambre des glaces, après le petit salon chinois, où les demoiselles attendent. Car, ici, point de madame, mais des demoiselles, vêtues de tenues affriolantes, riches en dentelle et en voiles plus ou moins diaphanes. Elles sont le sens de l'accueil policé, et rappellent le temps de ces maisons closes qui étaient bien ouvertes pour ceux qui savaient en forcer la porte. Ces demoiselles sont bien sûr les dépositaires des traditions nationales encore vivaces, malgré les Trente Glorieuses. Celles de l'élégance, de la distinction et du charme. Des femmes objets de désirs, des femmes sujets de plaisirs, habiles dans l'art de l'étreinte comme dans celui de servir le champagne millésimé. Qui dit alcôve, boit champagne, évidemment... Il y a bien sûr une Dame Maquerelle (un topos dans l'oeuvre d'Audiard), élégante et raffinée, et dont le vernis du langage laisse rapidement apparaître, devant cet accoucheur d'âme qu'est Lino Ventura, des reliefs dignes de Zazi, voire de Céline. Le maquillage serait-il aussi sémantique ? Mais heureusement, il existe une autre figure féminine...

* De l'épouse à la self-made woman...

La femme, c'est ensuite l'épouse. L'épouse de notre OSS 117, discrète, efficace, distinguée et muette. Une femme parfaite pour cet homme de l'ombre qu'est son mari, barbouze et spécialiste des opérations occultes, des avatars et des identités, secrètes bien que fallacieuses. Mais elle est rejointe et comme estompée par Mireille Darc, qui joue un rôle somptueux, celui d'Amarante. Le prénom n'est pas innocent et évoque le rouge du désir et du plaisir. Il y a assurément de la libation à Bacchus dans le regard de nos barbouzes quand ils doivent séduire la belle pour l'épouser et s'emparer de ses armes et autres formules. En même temps, il a un parfum de suranné, de vieille France, de vieux Paris, qui évoque les grandes familles patinées par les âges et qui sont riches, non en ancêtres (c'est bon pour le commun) mais en aïeux. Amarante, atavisme oblige, c'est la nouvelle duchesse des Hohenzollern. Une femme du monde, digne, économe de ses mots, et qui maîtrise sur le bout de ses doigts (délicieusement vernis et efficacement manucurés) les petits riens, qui seuls font tout... C'est l'épouse en titre de Bernard Shah. Fallacieuse apparence des choses , Amarante est le modèle de la self-made-woman. En effet, elle vendait naguère dans des tenues, dont le terme suggestif est encore un euphémisme, des cigarettes dans une rue populaire parisienne. Elle a donc fait un beau mariage. De vendeuse à la cloche à duchesse, ce n'est plus un ascenseur social, c'est une fusée Diamant. Elle offre ainsi une image de réussite, un précédent, un exemple, voire une norme. (je n'ose employer le terme de canon, par anticléricalisme militant). Elle est une figure morale, moralisatrice même, bien que ses tenues de veuvage auraient incendié un congrès de séminaristes octogénaires. Elle est un modèle à suivre pour la jeunesse féminine. La femme, même occupée naguère à des taches déshonorantes, a retrouvé l'honneur.

* Une figure nationale ? Une femme libérée ?

En même temps que son honneur, elle retrouve les couleurs de la France, pour paraphraser Aragon. In fine, elle accepte de céder plus ou moins les secrets de feu son Shah à la France. Amarante s'éclipse devant Marianne. Quoi de plus attendu dans un film sous la présidence du Général, qui a replacé la France dans le concert des nations, et à la première place, celle qui dérange ? Mais voilà, "souvent femme varie, bien fol est qui s'y fit". Maxime royale qu'Audiard connaissait. Car, Amarante, pas seulement en souvenir des années d'avant dures et austères, préfère aux remerciements rhétoriques gaulliens les espèces sonnantes et trébuchantes païennes. Amarante de femme du monde, devient une femme d'argent. Les barbouzes sont ainsi une ode à la femme libérée. La femme est autonome et dispose librement de son patrimoine. La raison d'Etat s'estompe devant les cordons de la... Bourse... De Gaulle avait tort, la politique de la France se décide, parfois à la Corbeille. Ici, de plus, point de roses à crédit. La femme connaît la force du cash et la vertu du dollar énergique face au franc anémique. Nouveau ou ancien, peu importe, le franc fluctue. La femme, avisée, au fait des réalités macro-économiques, préfère ainsi la rente en billets verts. La femme est donc libérée, sereine, et souveraine. Capable de penser, elle sait où est son intérêt et sait le réaliser. Amarante montre la voie aux femmes. Osez mesdames, osez... tel est son message. Le perdant c'est la fois la femme traditionnelle : Ventura quitte lâchement sa femme, aimante mais modeste, pour Amarante, amoureuse mais fortunée. Et le perdant, c'est aussi l'homme, évidemment, naturellement...

* Du guerrier fatigué...

L'homme incarné dans les Barbouzes, est un homme d'action. Car, dans ce film, l'homme tue, assassine, poignarde, empoisonne, bourre-pife allègrement. Cela épuise voire fatigue. La nervous breakdown n'étant guère loin, l'homme doit savoir s'aménager des moments de détente, dans ce monde où la guerre froide fait rage... Il délaisse un temps la compagnie de ses pairs pour trouver le nécessaire délassement à son énergie urbaine, bien que primitive. D'où l'alcôve. Bernard Shah, vendeur de morts, marchands d'armes, apôtre du non-alignement (il vend à l'est comme à l'ouest), partisan de l'émancipation bandungienne (il vend aussi au Tiers-monde), aimait ainsi venir dans ce boudoir, conservatoire de son passé de jeune janissaire. Sa biographie comportant des lacunes, je suppose qu'il fut janissaire... Et comme l'affirme la Dame Maquerelle, non pas tant pour le plaisir de la bagatelle (ah ces mots choisis) mais plutôt par souci de la tradition. Il venait ainsi chercher, plus qu'un sein accueillant, plus que le puzzle congolais ou le culbuto de Vulcain, l'oreille attentive, la main amie. L'homme, bien que guerrier fatigué, était capable d'incarner un temps, une âme sensible et humaniste, une figure asexuée, un être tendre et délicat, appréciant la compagnie du sexe dit délicieux, juste pour le plaisir de la conversation. Plus qu'un humaniste, le barbouze est un esthète de l'identité féminine...

A suivre...

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