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Billet de blog 5 février 2009

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Quels cinémas pour les droites ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Puisque les Tontons sont à droite, puisque les Barbouzes ne sont pas à gauche...

...puisqu'OSS 117 est une apologie à l'oeuvre cotyenne, dont la magistrale intelligence nous éclaire encore aujourd'hui, et pour rebondir sur l'idée stimulante, ô combien, d'Axel, établissons, tentons d'établir une filmographie de droite, et puis, ensuite, par parité, et par souci de l'alternance, une cinémathèque de gauche.

Quels sont les films qu'un homme de droite ne renierait pas et qu'il possède dans sa cinémathèque personnelle ?

Des historiens, des vrais, j'entends, ont déjà essayé d'établir ce que pouvait être un cinéma de droite (in Histoire des droites en France, tome 2, Cultures, SIRINELLI Jean-François, sous la dir. de). L'auteur de la contribution annonce que l'idée d'un cinéma de droite est plus une aporie qu'une réalité. Le cinéma de droite n'existerait pas au sens où on ne trouve trace d'un militantisme propagandiste. Le cinéma se contenterait de véhiculer des opinions communes, pas d'idées programmatiques. L'auteur de la même contribution, se demande, dans une partie savoureuse, si le cinéma de droite n'est pas impossible. Et pourtant...

L'homme et la femme de droite (il y en a, pas forcément mariée à un homme de droite d'ailleurs) vont au cinéma et privilégient certains films, comme on privilégie certains livres, certaines revues, certains journaux. Quel est le pendant cinématographique du Figaro et de Valeurs Actuelles ? Et qu'est-ce que peut rechercher un être de droite dans le cinéma, qu'il ne trouverait pas dans un Ken Loach, et pour cause ?

Plusieurs choses...

* Des valeurs qui ne mentent pas...

L'être de droite a des valeurs, de celles qui sont patinées par le temps et consacrées par l'histoire. L'homme de droite n'est pas un parvenu, plutôt un héritier. Quel cinéma lui offre le miroir de ses propres valeurs ? Le cinéma d'un Schoendoerffer le rassure. De saines et belles valeurs y sont défendues, l'honneur, la tradition, l'obéissance, le courage devant l'épreuve (guerre et/ou maladie, je pense au Crabe-Tambour), l'abnégation même. Ses films dressent une véritable nomenclature de ces valeurs, de la 317e section, écrit à l'origine par un homme de droite, aussi à Diên Biên Phu... En même temps, il défend ces soldats perdus, dans une vision assurément droitière du temps de nos colonies, qu'un Michel Sardou reprendra dans bien de ses chansons. L'être de droite est un adepte de la nostalgie. Du passé, il ne fait point table rase. Le passé, il y pense, y compris en se rasant...

* l'exaltation des hommes providentiels

Des soldats à l'homme providentiel, la transition est toute trouvée. A droite, il y a l'homme, le leader, le chef, l'élu, le désigné. Il y a souvent la recherche (sauf pour les bonapartistes) du notable, chef naturel et légitime, chez les personnes qui se classent à droite. Le chef, c'est la valeur de l'autorité. L'ordre contre la chienlie, la loi contre la rue... Des hommes providentiels, le cinéma en est riche, comme les droites. Tant de chefs et si peu de troupes. On peut voir le stimulant et superbe OSS 117, nid d'espion au Caire, comme une parodie d'un film rendant hommage à un homme providentiel. Le barbouze n'est plus une icône. Il est inculte, ignorant, ignare, mais tout en ayant (comme dans le film éponyme) un don pour les langues assez peu répandu... L'homme providentiel, c'est René Coty, l'anti-de Gaulle absolu. René Coty... Président de la République si peu connu, qu'il en est effacé de la mémoire collective. Et pourtant la droite aime ces hommes là, ces hommes modérés, ces hommes de la rue, au chapeau, au feutre mou, à la parole atone, au discours plat. L'homme à droite n'est pas qu'un agité du bocage. Il peut être aussi un attitré du paysage. De Pinay à Coty, en n'oubliant pas François B, l'homme providentiel de droite peut être aussi une figure anonyme, quelconque, semblable, qui permet à l'humble citoyen de droite de se reconnaître en lui. La providence, c'est aussi de se voir à l'image de Dieu, semblable à Lui et donc Lui à nous,voire vice et versa et réciproquement. Et tous ces chefs d'entreprise incarnés par de Funès, ne sont-ils pas des figures de droite ? Le bon docteur du Corbeau peut-il se classer dans cette cinémathèque, lui qui dénonce le vichysme sirupeux et délateur ? Le Coty de 0SS 117 assurément. En outre, dans ce cinéma là, on trouverait aussi le leader de forte envergure. Les Barbouzes rendent hommage à la statue du commandeur, par dérision, sans doute, en le désignant comme un "Il", "Monsieur le Président"... Le Gabin des Grandes familles n'est-il pas aussi une de ces figures ? Et le Napoléon de Gance et de Clavier ? Le Bonaparte d'Arcole est à gauche, mais le Consul, l'Empereur ?

* Une certaine idée de la France et de son histoire

Toujours, l'homme et la femme de droite se sont faits une certaine image de la France. Là encore, dans notre filmographie droitière, on retrouverait Pierre Schoendoerffer, un peu isolé. Ce cinéma là, c'est le temps d'avant, le temps des plages roses dans la carte du Larousse. Le soleil ne se couche jamais sur l'empire français. Nostalgie du temps d'avant, du temps de la grande puissance française. Un cinéma Banania en fait, chocolaté, et épicé. Fort Saganne est-il de droite ? Question angoissante, Depardieu joue dedans...

Là un souci heuristique se pose. Comment in fine classer un film à droite ? Est-il intentionnellement de droite ou peut-on y plaquer une lecture de droite, qui donc le range à droite, mais qui pourrait être aussi classé à gauche par un autre biais perceptif, comme le souligne Axel ? L'origine du scénario aussi entraîne ou déporte à droite. L'Anglaise et le duc, pour Rohmer vient d'une source inscrite dans la vision contre-révolutionnaire, la sensibilité de la première des droites, reprise par des plumes comme Bainville ou Gaxotte... Il en devient un film de droite, comme le documentaire sur Varennes actuellement qui agite les consciences républicaines. Il existe bien une lecture de l'histoire de droite, et le cinéma peut s'en faire l'écho et l'image...

Axel, tu as soulevé un problème de taille. J'attends tes réponses. Et celles des autres, évidemment...

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