Aller aux Etats-Unis avec des élèves vaut toutes les leçons de géographie. Et le voyage est la meilleure des propédeutiques à l'étude de cette société.
L'espace, le changement d'échelle, y compris dans le verre de coke ou le hamburger, cet optimisme, même en temps de crise, et surtout à Las Vegas, investi du pouvoir de corriger par la magie du jackpot les aléas de la vie, cette société qui construit des villes inaccessibles aux piétons, cet tranquille étalage des convictions partisanes sur sa voiture etc. tous ces éléments réduisent l'éloquence éventuelle du professeur à des propos superficiels. Pour comprendre les Etats-Unis, il faut les voir, les sentir, et les vivre, de l'intérieur. C'est assurément valable pour tous les espaces.
Mais un jumelage américain permet aussi de montrer à nos élèves, pas toujours convaincus, la force de notre système éducatif, et notamment dans l'enseignement de l'histoire.
Quelques élèves sont allés voir, avec leurs correspondants, Opération Walkyrie... Il y a beaucoup à écrire sur ce film, qui a soulevé une polémique féroce outre-Rhin et qui, ici, suscite l'étonnement de certains devant l'existence d'une résistance allemande. Mais il y a beaucoup à écrire aussi de la réaction d'un jeune public américain.
Certes, ce film est aussi un film de genre. Pour les Américains, c'est un film de guerre, qui reprend tous les canons du genre, la dédicace en opening, les destins des personnages après l'épisode filmé. Ce film s'inscrit dans une longue tradition, citons, par exemple, et parce que c'est un bon film, Objective Burma, 1945, de Raoul Walsh. Le cocktail est efficace. Les scènes d'action sont fortes, surtout sur grand écran, et les écrans américains sont si vastes...
Mais ce film est aussi, qu'on le veuille ou non, un film qui évoque l'histoire, une histoire relativement récente, sans être une histoire immédiate, celle de la Seconde Guerre Mondiale.
Devant nos élèves ébahis, leurs correspondants se sont étonnés de savoir qu'il y avait eu la dictature nazie en Europe durant la Guerre. On pourrait, bien sûr, affirmer, avec la sagesse professorale, que ce n'était que des potaches de fonds de salle. Ce serait assurément facile. Mais cet étonnement est davantage l'écho de ce qu'est devenu l'enseignement de l'histoire aux Etats-Unis. L'histoire est comme balkanisée, segmentarisée. On enseigne désormais la contribution à l'histoire américaine de groupes ethniques, je ne sais plus comment on doit dire, les appellations avec l'aiguillon du supposé politiquement correct valsant plus vite que mon appréhension modeste des concepts. Une telle histoire est sans doute nécessaire et permet de s'éloigner des absurdités, comme celles enseignées dans nos colonies africaines naguère, avec le fameux "nos ancêtres les Gaulois...".
Mais cette segmentarisation de l'histoire s'opère et s'intrumentalise certainement, aux dépens de l'histoire globale, d'une histoire nationale, même si ce terme aux Etats-Unis ne renvoie pas à la même réalité que dans la "vieille Europe". Il manque un fil conducteur, Clio a aussi besoin de Pénélope et de sa sagesse, sinon, la toile se réduit à une étoffe trouée. Il faut une histoire nationale, ou européenne, et pourquoi pas un peu universelle... pour placer un cadre, une trame, un ordre dans la brouille des événements. Certes, les jeunes Américains savent que leurs grands-pères se sont battus, en Europe, dans une société où les vétérans sont encore honorés et reconnaissables dans la rue avec leur casquette. Mais quid des autres guerres, comme la guerre de Corée, comme Clint Eastwood le fait remarquer dans Gran Torino, lorsque ses petits-enfants fouillent dans sa malle de soldat ?
A l'heure des réformes annoncées sur l'enseignement de l'Histoire, il est sans doute bon de rappeler que Clio a besoin de Pénélope et de montrer ce qui peut nous attendre..., une société sans histoire(s)...