Tu me permettras de te tutoyer, Dany, pour le temps d'une lettre.
Quand tu enflammais notre chère Sorbonne, je n'étais même pas né, même pas encore une jeune pousse... J'ignorais que nos chemins allaient se croiser, bien plus tard, dans des livres d'histoire et dans un salon VIP des Rendez-vous de l'Histoire de Blois, autour d'une coupe de champagne...
Tu agitais, en ce printemps de 68, d'un verbe fou et bien ciselé, les zétudiants et les zétudiantes. Tu leur faisais voir, tu leur faisais croire en des mots qui, pendant longtemps pour moi n'ont été que des concepts dans des livres. C'était lors d'un joli mois de mai, pas le mois des tomates, mais le mois des surgeons des rêves brisés. Tu échappais déjà à toute classification, à toute taxinomie. Tu avais cent noms, Dany,Dany le Rouge, l'étudiant allemand, déjà insaisissable aux étiquettes. On te soupçonnait d'être un agent de l'étranger... d'être une plante parasite, une mauvaise herbe, toujours étrangère au pré carré gaulois, bien taillé, bien coupé.
Tu es devenu ensuite écologiste, et ainsi tu as fait mentir ce proverbe forgé outre-Rhin sur les écolos, dont on disait qu'ils étaient comme les tomates, car ils commençaient verts, mais ils finissaient rouges... Or, toi, c'est l'inverse. Tu as inversé l'évolution de la tomate, puisque tu commenças rouge et tu as fini... vert. Tu es un miracle botanique et politique...
Tu es un homme à paradoxes, plutôt qu'à préjugés. Il faut l'avouer.
J'ai suivi ta carrière, de loin, ton expérience édilitaire, puis européenne. Tu es des rares qui parlent de l'Europe, la vraie, pas l'Europe d'en haut, celle de la Commission, mais l'Europe d'en bas, qui est tissée, jour après jour, par des Pénélope anonymes, des Erasmus, des Comenius, des citoyens simples qui aiment un(e) citoyen(ne) d'un autre coin d'Europe que le leur. L'Europe se fait dans les classes Abibac, dans les classes européennes, dans les voyages, les grands comme les modestes, qui rendent toujours l'Autre, toujours un peu inconnu, un peu plus intelligible. L'Europe se porte, non comme un rêve, non comme un projet, mais comme une identité, un patrimoine, une pédagogie. Cette pédagogie, cette identité, tu la possèdes, et tu en es fier. Tu l'évoques souvent, tu la défends tout le temps. Insensiblement, j'ai appris à t'écouter.
Tu parles d'une Europe sucrée, fruitée, pas d'une Europe amère ultra-libéralisée, d'une Europe citoyenne, d'une Europe qui serait forte, et qui parlerait d'une voix forte et assurée.
Je ne suis pas d'accord avec toi, sur tout, loin s'en faut. Tu seras, sans aucun doute, le seul personnage de gauche que j'évoquerai dans cet espace consacré à nos droites et à leurs valeurs. Dans toute tomate, il y a des pépins... non ?
Qui mieux qu'un écolo sait semer, dans une campagne un peu grise, des semailles, qui germent en dépit de tout ? Tu as parlé de l'Europe, tu fus certes le seul...
Tu en as récolté les fruits dimanche.
Ta victoire, dont on annonce déjà qu'elle est éphémère, tes pourcentages dont on promet qu'ils seront volatiles, étaient mérités amplement. Les Cassandre ne font pas de bons jardiniers, je le sais par atavisme et par expérience. La terre se mérite, certains disaient qu'elle ne ment pas, ce serait un peu audacieux de t'associer au Maréchal... Cela te ferait rougir, peut-être, comme une tomate... Ou sans doute rire, pas jaune j'espère...
Tu as bien servi l'Europe ces dernières semaines, ces dernières années, cela restera.
Un petit peu d'Europe, un petit peu plus... grâce à toi.
Alors, merci...