Yohann Chanoir

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Billet de blog 19 novembre 2009

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L'Histoire, l'Education Nationale et... moi

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je ne sais plus quand j'ai commencé à aimer l'Histoire.

Ce n'était pas sous les auspices de l'Ecole. C'est sûr. L'Histoire, je l'ai rencontrée avec mon grand-père. Prisonnier de guerre, résistant, et pas de salon, ni de 1944, communiste et admirateur de De Gaulle. Il fut pour moi le meilleur livre d'histoire. Il y avait tant de pages à lire avec lui et tant de pages que le cancer m'a empêché de lire en lui. Qu'il soit maudit ce crabe, il devait être un matheux ce crabe...

C'est peut-être pour cela que, cette soif étant grande, j'ai voulu l'étancher à l'Ecole. Clio m'a bien servi. J'ai eu la chance d'avoir en face de moi un de ces hussards noirs, vêtu d'une blouse grise made in Camif, comme premier professeur d'Histoire. Il était grand cet instituteur, sévère et juste, une figure vétéro-testamentaire. Je me souviens encore quand il nous parlait de Philippe Auguste et de Bonaparte... Je connaissais par coeur mon livre d'histoire. C'était ma Bible. Privilège insigne, j'avais le droit de le sortir de classe. Claude Lelièvre, sans doute un jour, écrira combien l'Ecole a su, a pu remplir ses missions et ouvrir des vocations grâce à des petites transgressions.

Le collège, devenu unique, n'a pas démérité de Clio. Tous mes professeurs d'histoire étaient ardents, enthousiastes et parfois des conteurs hors-pair. Je me souviens de Madame Galinari, qui venait de Marseille, moi qui passait mes beaux jours dans le Var tropézien, et de sa voix chantante qui évoquait les histoires, dont la trame dense nourrit l'Histoire. Je me souviens de ce professeur communiste, encore un rouge, qui nous parlait du miracle économique en... RDA et qui a pleuré le jour où des militants de Solidarnosc sont venus nous raconter la vie en Pologne. Je me souviens de ces professeurs qui aimaient leur discipline et de nous, élèves, pour qui, ces cours étaient une fenêtre sur un monde en mouvement.

Puis vint le temps du lycée. Ce fut cet agrégé de Seconde, qui en compagnie de son collègue agrégé aussi, mais de lettres, me sauva de cette classe de seconde délétère (on ne sait où on doit aller mais on y va, sous la dictature de ses résultats en maths) dans un lycée difficile. Il me réorienta, dans un "beau" lycée. Je l'ai trahi, il m'avait fait jurer de ne jamais devenir enseignant. S'il lit ces lignes, qui sait, j'espère qu'il me pardonnera. Il savait parler aussi bien de l'Empereur que le Grand Bainville. C'est dire s'il était grand.

Pourtant, je lui ai obéi un temps. A la faculté, je n'ai pas choisi histoire tout de suite, mais d'abord philo. Et puis, un jour, je me suis retrouvé à l'enseigner. J'ai connu tous les changements. La Seconde Guerre Mondiale en Terminales, puis en Premières. J'ai vu la disparition, ou presque de l'Antiquité au lycée... J'ai vu la valse des épreuves, les dissertations remplacées par les compositions (et je cherche encore la différence, pas mes élèves, pas nos élèves, à 90% ils ne la choisissent pas...). J'ai vu les programmes changer, rechanger et changer encore. Je me suis vu un jour dans une classe enseigner Clio en allemand, ou, du moins tenter de le faire. J'ai vu l'Histoire de l'autre côté de l'amphi. J'ai vu ce que c'était de parler du bas de l'amphi... J'ai vu les amphis de la faculté devenir plus vides... J'ai vu apparaître l'ECJS un jour, c'était un mardi...

Je verrais, peut-être, l'Histoire disparaître de la Terminale S, mais rester dans le tronc commun, reconnue donc comme une matière nécessaire à l'édification du citoyen.

C'est sans doute cela le plus essentiel. Que l'Histoire ne devienne pas un sujet d'Histoire... comme aux Etats-Unis, où des élèves ne savent pas qu'il y a eu la Seconde Guerre Mondiale en Europe...

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