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Billet de blog 22 mars 2009

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Le choc de la vague, un film allemand...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C'est le Printemps. Enfin, au cinéma du moins, car le calendrier ment...

C'est le Printemps, pour encore deux jours.

Parmi tous les beaux films à voir, un film allemand, La vague... Un film qui résume bien ce qu'est l'Allemagne aujourd'hui.

Etre cool...

Cool est le maître mot en Allemagne. Il y a différentes manières d'être cool. Il y a les parents cools, qui n'ont pas encore digéré 1968. Les enfants doivent découvrir eux-mêmes leurs propres limites. "Il est interdit d'interdire" a franchi le Rhin, la vague nous le montre. Mais être cool, c'est aussi une attitude. Dans le lycée du film, le prof-héros se fait appeler par son prénom, tutoyer par les élèves, qui n'hésitent pas à aller chez lui au moindre problème. Le prof est cool ou il n'est pas. Ou plutôt ou il n'est qu'un affreux réactionnaire bavarois (pardon pour le pléonasme), cravaté, capable de citer du latin dans le texte, même si c'est du latin des pages roses. Pire qu'un conservateur, ce type de prof est has-been, le contre-modèle du cool... Ce film dresse bien l'alternative qui régit la vie des adultes, to be cool or not... Cette cool-attitude est le pendant d'une culture, la culture alternative.

Un cool alternatif...

Pour qui a étudié en Allemagne, la vague rappellera de l'aiguillon de la nostalgie les parties am Strand, les caisses de Becks, ces bières vertes à long col bues au goulot même (il faut être cool, je le rappelle), cette musique tonitruante et ces grillades improvisées (on peut être un carnivore cool), avec ces pains qu'on ne trouve qu'au-delà du Rhin. C'est aussi cela l'Allemagne, ces moments emplis de Gemütlichkeit. C'est là que l'on rencontre l'âme allemande. La jeunesse teutonne ne s'ennuie pas, elle a gardé le sens de la fête, toute en étant capable de s'investir dans des luttes politiques. Car le jeune Allemand, s'il n'est pas réactionnaire, s'il est capable désormais de hisser les trois couleurs et d'applaudir aux exploits de la Mannschaft, est en réaction contre la Mondialisation. Bon nombre de films contemporains exaltent ce penchant de la jeunesse contre les effets et les caractères nocifs de la mondialisation. Cette conscience citoyenne (Goethe appelait déjà de ses voeux les Weltbürger) a déjà été dépeinte dans The Edukators (die fetten Jahren sind vorbei), film cool, pour des jeunes cools et plébiscité par un public non moins cool. Réagir contre la mondialisation, c'est agir contre elle. C'est dénoncer les conditions de production des baskets, c'est procéder à des boycotts citoyens, c'est se découvrir une conscience qui s'affranchit des lois de l'Etat, qui ... collabore avec le processus inique de la mondialisation.

Un film contre l'autorité...

L'échec de l'expérience même constitue un désaveu de l'autorité. Mais cette dénonciation de l'autorité est inscrite en filigrane dans tout le film. L'autorité en Allemagne, depuis 1949, est appréhendée comme un Minotaure, dont il faut se garder. L'autorité est mauvaise, délétère même et elle nécessite, non seulement qu'on l'encadre, mais aussi qu'on la conteste. La vague montre aussi la séduction exercée sur une frange de la jeunesse par l'activisme militant. La scène du taguage, conduite comme une opération militaire, est un défi à l'autorité, aux marques commerciales, aux banques et aux symboles de l'Etat (la voiture de police , elle aussi, est taguée...). Il y a comme un parfum de la Bande à Baader dans ce film, dont un (autre) film récent a montré combien ils étaient romantiques ces jeunes gens révoltés, combien ils étaient cools...? Bref, il y aurait comme un message dans ce film...

La vague, un film à message...

Certes, l'exemple de manipulation d'un groupe d'adolescents prend un relief saisissant dans un film allemand inscrit dans l'espace allemand. Cette société que l'on pense immunisée contre la tentation fasciste, on la voit dans ce film, dans sa jeunesse... prête à succomber aux mauvaises sirènes de la discipline, de l'ordre, de la loi et de l'exclusion. Mais quel pays est exempt de cette dérive ? La vague, c'est d'abord un choc, un émoi. Choc devant le film, servi par une formidable bande-son, qui laisse au générique de fin, le spectateur un peu sonné. Pas tant à cause de la révélation de la force des techniques de manipulation que l'on subit tous les jours (avec le marketing, notamment). Mais, plutôt pour le choc dû au rythme, de la rapidité insensible avec lequel cette expérience pédagogique sort de la quiétude de la chaire pour glisser dans les rues et les esprits. Et le réalisateur a su nous faire épouser ce rythme, nous emporter dans sa ronde infernale. La fin, ignoble dans son dépouillement, montre combien notre société n'est devenue qu'un agrégats d'individus. Certains jeunes se contentent de filmer l'arrestation avec leur téléphone portable, juste des témoins, des passifs, qui ont obéi au groupe et qui restent silencieux, d'autres craquent et s'effondrent, d'autres enfin sont abasourdis, presque orphelins. Ce film montre bien comment une société si plurielle, entre l'Allemand de souche, l'Allemand de l'est et le l'Allemand d'origine turque, celui issu de milieu aisé et celui de milieu plus modeste, combien donc une société si diverse peut être rassemblée et agrégée par un tribun, par des idées simples, par l'exclusion de l'Autre...

La vague ne s'arrêtera donc jamais, tel semble bien être le message de ce film...

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