... ou autrement posée autrement, est ce que la psychanalyse, du moins la connaissance modeste que j'en aie, peut servir de boîte à outil pour décrypter un peu la trame brouillée, constituée par les événements agitant les droites depuis 1995 ?
Il y a, d'abord, bien sûr, évidemment, le meurtre du père. A droite, on souffre du complexe d'Oedipe. Trop de pères, du moins, trop de figures paternelles. Et combien lourde est leur tutelle. Alors, on tue le patriarche, le parrain, le mentor. L'enfant terrible est Jacques Chirac, lui qui a "tué" politiquement tant de ces figures, Chaban assassiné, VGE poignardé en 1981, Pasqua encore et plusieurs fois, il y a des pères qui ont la peau tannée. Et les disciples suivent la voie tracée par le maître. L'actuel président a ainsi parfaitement intégré les enseignements de son ex grand mentor Chirac. Il s'y est repris à plusieurs reprises, d'ailleurs, pour le pourfendre. Et est-ce d'ailleurs achevé ? Il a aussi balayé, d'un revers de sa main, notre insulaire Pasqua de son fief des Hauts de Seine. Pauvre Charles, qui a pu, privilège unique dans l'histoire de nos Césars, s'écrier plusieurs fois de suite "tu quoque fili". Ce n'est plus une galerie de portraits, mais un cimetière. Qui tentera aujourd'hui, ou demain, de se débarasser de l'hyperpuissant père des droites qu'est notre président ? Tache délicate, voire dangereuse. Notre Président a la main leste, efficace et rapide. Il est un véritable pater familias. Malheur à celui qui nourrit des pensées incestueuses et iconoclastes. Second terme d'analyse, le principe de plaisir.
Tout fonctionnement cérébral a pour finalité la recherche du plaisir. Et l'homme de droite aime être libre, en économie, comme dans la recherche des activités susceptibles de combler ses plaisirs. Déjà, l'homme de droite aime ennuyer, embêter, agacer. Par taquinerie, évidemment. L'ouverture actuelle, qui achève de disloquer ce qui reste du Parti Socialiste, relève de cette recherche du plaisir. Cette politique pourrait, bien sûr, être vue, par l'homme naïf, comme la recherche des meilleures volontés, des meilleurs de nos cadres, afin de relever le pays de sa situation malheureuse. Situation qui rogne hélas le champ des possible. Las, il n'en est rien. Ouvrir, c'est a-ga-cer. Notre président, en débauchant, par l'attrait du maroquin, agace, énerve, irrite même et cela fait plaisir. Cela comble, cela rend heureux, devant la frustration des autres. Et rajoute aux formations adverses un problème supplémentaire. Antoine Pinay l'avait déjà un peu tenté sous la Quatrième, en désirant ne s'entourer que de personnages compétents. La mesure toute provinciale de l'homme au chapeau a été systématisée. Cela permet aussi d'avoir une caution sociale et de faire avaler à des adversaires, de naguère, des méchantes couleuvres. Le spectacle de l'indigestion conceptuelle est un plaisir supplémentaire à celui d'attirer. Du plaisir au narcissisme, la transition est toute trouvée.
Ô mon beau miroir, dis-moi que je suis le plus beau, le plus grand, le plus fort, celui a les plus beaux (entendez coûteux) artefacts. D'autres ont déjà énoncé et dénoncé, au chevet présidentiel, le travers narcissique de notre dirigeant actuel. Le bling-bling est le bruit du Narcisse. Le bling-bling de la montre de prix (encore que cela, apparemment, concerne aussi des figures de gauche...), le bling-bling des paillettes et des dorures, le bling-bling des talons de prix sur le marbre précieux (pardon pour le pléonasme, un lapsus sans doute...) palaces. Combien d'hommes de droite ont succombé à ce trait ? Et puisqu'ils étaient persuadés d'être les plus forts, les plus grands etc. se sont ainsi laissés gagnés à exiger le meilleur, le plus beau, le plus cher, le superflu aussi. Mais Voltaire, écrivait que "le superflu est chose bien nécessaire...". Et se disent-ils, "ils le valaient bien", contractant après le complexe du Narcisse, le syndrome de Loréal. Il y eut naguère des diamants et des chasses africaines, pardon, un souci de la cynégétique exotique... Des frais de bouche démentiels de certains édiles droitiers, aux palaces fréquentés dans des endroits paradisiaques, le narcissisme contemporain droitier multiplie ses miroirs. La mare ne lui suffit plus, il lui faut la mer, l'océan... ô Narcisse, écrivait le poète, la mer (chaude et privée) est ton miroir... Autre concept susceptible d'être utile pour rendre intelligible l'histoire des droites, la répétition.
La répétition est nécessaire en politique. Si enseigner, c'est répéter dit le pédagogue avisé et économe de ses mots nouveaux, gérer c'est répéter. Et répéter, c'est agir. C'est du moins donner l'impression d'agir. L'homme de droite aime répéter. Il apprécie les incantations, il adore les mantras, cela lui rappelle les antiennes bibliques... Il répète et ainsi entend plier les événements à la force de son verbe et à l'énergie de sa verve. Le verbe est une politique. On multiplie ainsi les interventions médiatiques, on parle, on raconte, on promet, on menace, on admoneste, on cajole, on sermonne. La répétition recouvre un large éventail. Notre président corrézien entendait ainsi réduire la fracture sociale par sa seule évocation. L'actuel président a des réponses à tout, du capitalisme malade à la Palestine trop promise. Et il le dit, et il le répète. Mais le peuple est sourd et un peu bête (c'est le peuple et les droites s'en méfie de cet acteur politique). Le peuple ne comprend pas. D'où la frustration entre le peuple et les hommes de droite. Le peuple est un agent de frustration. Il oblige ainsi notre Corrézien à cohabiter avec un austère qui ne se marrait pas vraiment. Il regimbe et donne les mairies aux gauches... Le peuple ne comprend pas bien, il est un peu limité, alors, on lui répète encore et encore. Les caisses sont vides lui dit-on, les caisses sont vides, vides sont les caisses. Or, la répétition inscrit nos droites (les enracine pourrait-on dire dans un élan barréssien) dans un terreau où la symbolique est prégnante.
Les droites, comme nos gauches, ont une symbolique. La symbolique, si j'ai bien tout compris Lacan, c'est l'accès aux mots, donc au langage. Le mot, le concept est le premier élément qui constitue le sujet désirant. Et il n'y a pas de pouvoir sans constitution concomitante d'un champ écrit, affirmait Foucault, qui n'était pas vraiment un homme de droite. Quels sont donc les mots qui composent la symbolique de nos hommes et de nos femmes de droite ? Force est de reconnaître que leur vocabulaire est riche, bien que sélectif. Entreprendre, initiative, effort, libertés, tôt, se lever, réformer, devoirs, courage, efforts, impôts, déréglementation, sécurité, déflation... On trouve ainsi en creux des mots qui leur font peur, des mots qui, s'ils sont trop agités, provoquent névrose, voire psychose à droite. Quels sont ces mots ? Fonctionnaires, droits acquis, laïcité, justice, Europe, pouvoir d'achat... en constitue un florilège. Certes, parfois par lapsus, fatigué, l'homme de droite, peut en utiliser. On promet ainsi d'être le "président du pouvoir d'achat" ou, comme naguère de "réduire les inégalités" béantes à cause d'une fracture... En outre, les droites, depuis l'aggiornamento dû à la cohabitation (la première) ont recomposé le langage. Ils ont changé les mots. La réalité est nouvelle et possède un sens différent. Il faut donc changer les mots. Ainsi, dans le monde de l'entreprise, on ne doit plus dire "je suis mobile", mais "je peux épouser les dynamiques externalisées de l'entreprise", ce qui n'est pas la même chose, reconnaissons-le. On ne doit plus prononcer le concept affreux de séparation de l'Eglise et de l'Etat, mais "fille aînée de l'Eglise". Contraception décidée devient une association coupable de syllabes, et doit être remplacée par procréation imposée. Cette symbolique là dresse comme un imaginaire droitier, dont il faudrait un jour relever la géographie et ses territoires.
La psychanalyse au service de l'histoire politique des droites... cela doit renvoyer à mon inconscient, non ?