Depuis le service dans lequel je travaille avec mes collègues, j'observe jour après jour, l'angoisse s'emparer de l'équipe soignantes et des patient.e.s, ainsi que les consignes de la direction et de la chefferie médical du pôle tomber.
Cette angoisse, symptôme central de notre pratique quotidienne - issue pour nos patient.e.s de romans familiaux tragiques, de maltraitances, de traumatismes... Et qui se traduit chez la plupart par une anxiété sociale, un isolement, un manque d'estime de soi, des troubles du sommeil (insomnies, cauchemars, énurésies...), des troubles de l'appétit, une reconstruction délirante de la réalité, des perceptions extra-sensorielles, des troubles des conduites addictives - vient se heurter à des impératives légitimes et nécessaires en période de pandémie virale.
Pour comprendre la difficile - voire impossible - convergence des exigences du soin en psychiatrie et de ceux celles liées au confinement, je me permets de développer le sens du soin infirmier en psychiatrie.
Nous accueillons des personnes dont l'atteinte psychique - parfois permanente, parfois transitoire - les empêche de mettre en adéquation par eux-même leur action au quotidien avec les besoins vitaux pour tout être humain (s'alimenter, se laver, garantir sa sécurité...) pour des raisons listées plus haut.
Nous accompagnons donc ces personnes dans la restauration de l'estime d'eux-même, de leur sommeil et de leur alimentation, par une présence au quotidien pour ces moments a priori futiles mais devenus difficiles pour eux, nous proposons alors une aide manuelle, des informations, des conseils adaptés à chacun.
Nous apportons surveillance, écoute, réassurance et étayage psychique aux personnes en crise (crise suicidaire, manique, délirante...).
Nous veillons à recréer du lien pour des personnes isolées , avec leur entourage familial, amical ou professionnel...
La qualité de ces soins nécessite que l'on réponde préalablement à deux questions fondamentales : La question du temps et celle de la méthode.
A la question du temps, à savoir "combien de temps ça va demander?" La réponse est "un certain temps", cette problématique résolue, il reste la seconde.
Avec quelle méthode soigne-t-on en psychiatrie? Par la rencontre avec la personne, à égalité, avec respect et humilité. Par l'écoute bienveillante, par la présence pendant ces gestes de la vie courante devenus pénibles et lors ces situations sources d'angoisse.
Je pense qu'en vous développant brièvement le sens de ma pratique au quotidien, vous sentez venir les points d'achoppement de cette démarche soignante. En effet, depuis quelques jours, nous sont annoncées les mesures à prendre pour prévenir la contamination dans les services :
- isolement stricte de toute personne admise
- isolement stricte de toute personne avec toux ou hyperthermie
- port de masque et gants pour tous le personnel
Ces mesures - légitimes et nécessaires - rendent difficiles voire impossible la rencontre à égalité avec la personne soignée. Par l'isolement, nous reproduisons un symptôme contre lequel nous luttons, nous générons de la distance, de l'angoisse, nous limitons à la personne sa faculté à interagir et à évoluer avec autrui. Le tout dans des locaux inadaptées et vétustes - pour mon centre hospitalier du moins mais nous pensons partager ce quotidien avec beaucoup d'autres CH - à savoir : couloirs étroits, douches et WC communs, cabine téléphonique commune...
La discordance entre le nécessaire confinement pour lutter contre l'épidémie et les outils des soignants en psychiatrie pour accompagner les patient.e.s vers une restauration de leur santé mentale est symptomatique d'un système de santé tiraillé par les politiques publiques entre les exigences d'une rationalisation des coûts et les besoins croissant de santé pour la population...
En un mot : schizophrénique