Yolaine Vignaud

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Billet de blog 5 avril 2022

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Et maintenant... 5 avril 2022

Parce que les enjeux sont trop grands pour ne pas en partager l’analyse, parce que, n'appartenant plus à aucun camp après avoir été engagée, il ne m'est pas possible de me résoudre à valider cette campagne présidentielle qui se finit immanquablement en vote utile culpabilisant parfumé à l'eau de boudin après élimination soigneuse, méthodique, chirurgicale de toutes les options raisonnables...

Yolaine Vignaud

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Des semaines que je cherche à mettre des mots sur ce qui me dérange dans la campagne macroniste et que j’ai du mal à y parvenir. Les sensations sont là : une forme de dégoût, le sentiment d’être manipulée à coups d’images déjà vues, une dissonance insistante comme un acouphène entre les mots et les actes, des caresses que je reçois comme des claques, un parfum d’ambiance vaporisé par brassées généreuses qui ne parvient pas à masquer l’odeur des restes qui pourrissent au fond de la poubelle… mon instinct me hurle qu’il y a un problème mais l’instinct n’a jamais fait un argument, alors je creuse.

Il y a bien sûr le fonctionnement interne, dur, douteux, darwinien, qui n’a pas changé d’un iota depuis le lendemain de l’élection présidentielle en 2017. Ce qui, dès les investitures aux législatives, s’est fait jour cruellement pour les dizaines de milliers de citoyens (et de citoyennes qu’on avait tout particulièrement sollicitées dans un plaidoyer débordant d’émotion positive…) à qui on a même pas pris la peine d’envoyer un mail avant les annonces télévisuelles pour les informer des résultats de leur candidature, dont on leur avait fait croire qu’elle était si précieuse, cette toute première trahison à la promesse initiale qui a consisté à aller ratisser jusqu’au dernier instant du côté des déjà élus qui voulaient le rester, de droite comme de gauche, pour grossir les rangs des candidats assurés de profiter de la vague initiée. D’aucuns ont affirmé que même une chèvre aurait été élue députée avec l’étiquette EM lors de ces législatives 2017… pas faux. Alors pourquoi, dès cet instant-là, alors que l’estocade démocratique promise était possible en investissant des citoyens engagés, avoir choisi de transiger ? J’ai d’abord cru naïvement, comme beaucoup, qu’il s’agissait de se rassurer sur l’obtention nécessaire d’une large majorité et puis on m’a expliqué ensuite doctement que cela était nécessaire pour « élargir » cette majorité. Une sorte de passage obligé en quelque sorte, une concession pour devenir adulte dans le monde politique… Dont acte. L’argument se tenait.

Chaque élection depuis n’a fait que confirmer que le but n’était pas d’avoir les meilleurs candidats, au sens de cette fameuse phrase d’Emmanuel Macron en 2016 « entourez-vous de gens plus intelligents que vous », mais bien de poursuivre méthodiquement la destruction des équilibres politiques en s’appuyant sur un levier infaillible contre lequel on prétendait lutter : la volonté de conserver sa place et l’absence de scrupule qui l’accompagne. Nous avons ainsi vu, à chaque échéance, des ralliements improbables, des love stories d’une nuit entre la carpe et le lapin, oubliées au lendemain des élections comme une rencontre éthylique de boîte de nuit, qui se finissent en apothéose aujourd’hui avec Éric Woerth et Elisabeth Guigou, jouant, dans une salle soigneusement décorée pour l’occasion, un mauvais remake de Dirty Dancing. Comme le roulage de pelles à quatre grammes sous les stroboscopes du Macumba, ces gymnastiques auront à n’en pas douter un goût amer au réveil, le 25 avril comme déjà après la « soirée mousse » des européennes, la « soirée kitsch » des régionales et départementales et le « grand karaoké » mémorable des municipales. On prend les mêmes et on recommence. Et cela fonctionne, encore.

Si cette méthode, car il s’agit bien d’une méthode, réfléchie, organisée, pragmatique jusqu’au cynisme, n’avait pour conséquences que la perte des illusions de quelques idéalistes engagés, ce serait déjà dangereux (si ceux-là abandonnent, je ne donne pas cher de la démocratie), mais elle a d’autres conséquences dévastatrices sur un débat public déjà à terre.

Le macronisme s’est fondé, en théorie, sur la volonté de réhabiliter la complexité, sur la dénonciation du simplisme et de la binarité d’une vie politique qui, il faut bien le dire, avait perdu toute saveur. Or où en est-on aujourd’hui ? Le clivage gauche droite tel que nous le connaissions a bel et bien disparu. Les PS et LR atomisés par les bombes à fragmentations des trajectoires personnelles qui les constituaient… pris à leur propre piège, surpassés dans l’exercice par un petit nouveau biberonné aux méthodes de communication et de nudge imparables partagées par les stratèges anglo-saxons et les tyrans. Penser que les citoyens puissent se laisser prendre encore et encore à ce déguisement grotesque d’humanisme rassemblé face à la menace masquant mal les intérêts personnels qu’il recouvre a malheureusement (ou heureusement je ne sais pas) été efficace, durant quarante ans, mais c’est terminé. Nous devons désormais nous confronter à leur effet pervers irréversible : invisibiliser les nuances de l’humanisme, les gommer jusqu’à les anéantir et, de ce fait, valider la fin du régime démocratique. Avec Anne Hidalgo et Valérie Pécresse, c’est la possibilité d’une véritable démocratie qui disparaît. Et comme une dernière manœuvre, peut-être même pas consciente pour beaucoup, on a convaincu les militants d’abord, les citoyens ensuite, qu’il était normal d’en rire. Dégoût.

C’est là un paradoxe intéressant : tout en promettant de remettre de la philosophie dans la politique en 2016, tout en chantant les louanges de la nuance et de la bienveillance, Emmanuel Macron a réussi le tour de force de donner le coup de grâce à tout ce qui n’était pas lui. On se doit de lui accorder cela : seule une personnalité exceptionnelle, dotée de qualités intellectuelles hors normes et d’une intelligence sociale extrêmement pointue, était susceptible de mener à son terme ce tour de force… ce qui explique probablement en partie que ce résultat, somme toute prévisible, d’une nouvelle binarité politique bien plus dangereuse que la précédente d’un camp de la raison unique face aux extrêmes, ne soit pas advenue avant. Les autres étaient moins doués. Ou peut-être avaient-ils tout de même plus de scrupules. Comme les voyous à l’ancienne et leur code d’honneur.

On pourrait penser que, dans un idéalisme flirtant avec la naïveté, je refuserais tout stratégie dans la vie politique au profit d’une passion aveugle et irréaliste pour l’intérêt général. Peut-être un peu, à vrai dire. En tout cas comme objectif, comme boussole, comme cible. La nécessité de garder en ligne de mire des objectifs plus grands que les échéances électorales qui s’enchaînent à un rythme effréné (2017,2019,2020,2021,2022) a très vite disparu des esprits des militants En Marche, trop pressés de retrouver la passion des débuts, la galvanisation des ballons et selfies avec leurs nouvelles stars à écharpe, et l’illusion d’« en être » soigneusement entretenue pour tenir jusqu’à la prochaine campagne présidentielle, seul objectif réel. Le mot est fort mais j’ai croisé là tous les ressorts du fanatisme et c’était malin, à défaut d’être vraiment machiavélique au sens propre. Emmanuel Macron, tout en se réclamant de la philosophie des lumières, s’est appuyé en réalité sur le besoin de transcendance et le retour au religieux qui avaient pointé leur nez dans le cœur des Français bien avant que sa carrière politique ne démarre. Après des années de crises, de déclassements, de renoncements, les Français avaient besoin d’une chose : de croire. Pas de comprendre, pas de réfléchir, pas d’adhérer à des arguments. Juste de croire. Et dans ce sens, il est bel et bien sûr la même ligne que l’extrême droite et l’extrême gauche qui vendent la croyance dans des coupables désignés et des solutions miracles portées par un homme ou une femme providentiels.

Car les militants n’ont pas été les seuls à être aveuglés par ce système et c’est là que réside le tour de force. Les nouveaux élus par le peuple ou le roi en 2017 (députés et ministres), caressés, chouchoutés, comme une nouvelle noblesse, ont eux aussi été pris au piège. Très vite on leur a signifié qu’ils n’étaient à leur place qu’au bon vouloir du chef qui pouvait les défaire comme il les avaient faits, qu’il était bien présomptueux de leur part de vouloir penser par eux-mêmes, que le contrat Faustien qui avait été signé à la va vite dans l’euphorie d’un autre possible les tenaient par les… sentiments. Syndrome de Stockholm. Carotte et bâton. Il y en a de plusieurs sortes. Ceux qui ont émis des doutes, se sont fait taper sur les doigts comme des enfants mal élevés qui salissent leurs beaux habits du dimanche, et qui ont fini par se résoudre à rentrer dans le rang d’une campagne de réélection incontournable pour ne pas être ceux par qui le malheur arrive. Ils avalent silencieusement les couleuvres du recul de l’âge de la retraite et du recours aux cabinets de conseil comme évidence et se rassurent en se disant, sans y croire vraiment, qu’ils mèneront le combat de l’intérieur, une fois réélus… dans les yeux de certains, qui subrepticement se baissent, on distingue un peu de honte, la conscience de la lâcheté et la douleur de la compromission.

Et puis il y a ceux qui semblent croire encore, comme au premier jour, des étoiles dans les yeux malgré toutes les preuves, tous les signes, toutes les humiliations… ceux-là, somme toute nombreux, je les regarde avec fascination et presque un peu d’envie. Heureux les simples d’esprit car le royaume etc. Il y a enfin ceux qui ont assez douté pour s’exprimer, ceux qui ont trouvé en eux la ressource de dire non. Mis au ban. Accusés non seulement de traîtrise envers le chef mais, puisque le chef est l’alpha et l’oméga de la pensée politique recevable, accusés de faire le jeu des extrêmes, de prendre le risque de l’effondrement. Ceux-là sont rares, se sont parfois fourvoyés à la recherche d’une nouvelle « famille politique » parce qu’il est tellement difficile et inefficace, dans ce contexte ultra violent, d’avancer seul, ont essuyé, avec courage, les quolibets et les petits poignards de leurs anciens « amis ». Ceux-là, ces quelques-uns, méritent un respect sans borne. Et ils pourraient constituer une force non négligeable pour affronter les temps obscurs qui se profilent au sein de notre démocratie en soins palliatifs. Ils ont vécu la manipulation de l’intérieur, ont refusé le confort personnel rassurant qu’on leur offrait, ils savent.

Et maintenant… A l’heure où les sondages, arme fatale s’il en est de lobotomisation collective, donnent à ne pas penser, voilà la carte du vote utile, le joker ultime, le Lilou Multipass de la 5ème république, qui refait son apparition sur la table de jeu. Macron contre les extrêmes bien entendu, et la droite, et la gauche (alpha et oméga on vous dit), Mélenchon pour la « vraie gauche », Le Pen pour la « vraie droite » (tiens, mais on nous avait pourtant vendu qu’elles avaient disparu). C’est désormais le premier tour qui se heurte au grand effacement, auprès d’électeurs transformés en fossoyeurs en puissance de la démocratie, par ceux-là même qui ont installé le non-choix comme seul choix, en organisant le forfait de tous les candidats potentiellement crédibles...

Je suis bien élevée. Je n’irai pas tout casser dans la rue pour dénoncer la manipulation permanente à l’œuvre. Je ne soutiendrai pas non plus ceux qui le font, bien que je comprenne ce qui les y pousse. Ma résistance passera par le fait d’écrire encore, de dire encore, et d’aller voter au premier tour, en mon âme et conscience, car il s’agit bien là du seul vote utile, utile et indispensable au maintien des principes démocratiques qui étayent notre société. J’irai voter en conscience surtout de n’être qu’un grain de sable, sans certitude, sans dieu, ni maître, ni culpabilité.

Libre en somme.

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