On assiste ce matin, au lendemain du premier tour d’élections législatives, boudées par plus de la moitié des électeurs (rappelons-le car cela n’est pas anodin), à la mise au pilori, prévisible et pathétique, de quelques individus qui seraient responsables à eux seuls de la montée de ces extrêmes mal définis qui se situent à peu près partout, à les en croire, sur les bords d’une Renaissance mal dégrossie. En tête de liste des coupables désignés : les dissidents. Attention, la définition mérite d'être précisée. Un dissident qui gagne face à un légitime mal choisi n’est très vite plus un dissident (comme nous l’avons vu chez les français de l’étranger au grand dam de Manuel Valls) mais s’il a le malheur de perdre… c’est une autre histoire. Les deux facettes de la « loyauté » en politique. On peut être déloyal, oui, mais seulement si cela mène à la victoire.
Prenons un exemple.
Dans un calcul simpliste et faussement mathématique, des militants, bien lobotomisés, considèrent donc, dans l’Hérault cher à mon cœur où cinq circonscriptions sur neuf ont été perdues hier dès le premier tour, que les deux cents soixante quinze voix nécessaires pour se maintenir au second tour qui ont manqué à leur candidat officiel (pour rappel, celui qui leur a été imposé par le jeu d’un baron LR local aux fidélités élastiques) dans l'une d'entre elles, ont été (directement, absolument, outrageusement) siphonnées par le pauvre bougre écarté de l’onction divine qui s’est obstiné à se présenter tout de même. Pire, il serait responsable (horreur, malheur!), à lui seul et par voie (voix?) de conséquence de son entêtement égoïste, de la qualification de l’extrême droite… (Qu’on le jette aux lions !)
La personnification, la désignation et la lapidation d’un coupable rassurent et rassemblent, pour le pire le plus souvent, elles évitent de réfléchir et de remettre en question ses propres pratiques démocratiques et celles du système auquel on choisit d’adhérer aveuglément (et épargnent le poids, fort désagréable, de la responsabilité).
Revenons un instant sur cette situation locale en élargissant la lorgnette (ne vous en faites pas, c’est un peu douloureux au début mais on finit par y prendre plaisir…).
Dans l’exemple qui nous occupe, partir du principe que les 468 voix engrangées par l’infâme dissident auraient été données, en son absence, au gentil candidat légitime arrivé troisième, le propulsant mécaniquement à la deuxième place ouvrant la voie au second tour, place usurpée par l’encore-plus-infâme candidat RN qui plus est, est confortable, mais sans fondement. Il s’agit là d’un sophisme. En effet, si les 468 citoyens, dotés d’un libre arbitre faut-il le rappeler, avaient désiré donner leur voix en conscience ou par amour du légitimisme, au candidat intronisé, ils l’auraient fait. Point. Comme l’obsession, sans cesse renouvelée (depuis trente ans et de plus en plus tôt dans les processus électoraux) du « vote utile » et la culpabilisation permanente des abstentionnistes, ces faux calculs ont au moins le mérite de donner bonne conscience à ceux qui ont perdu tout respect pour l’acte démocratique. La démocratie c’est le choix de chaque citoyen en conscience et le droit de voter (au premier tour au moins) pour le candidat ou la candidate qui lui semble le ou la plus proche de ses convictions. Renier ce droit inaliénable à l’électeur qui n’adhère pas aux discours utilitaristes de pseudo stratèges annonciateurs du pire (le pire étant généralement tout ce qui n’est pas leur propre camp), comme renier celui de ne pas voter d’ailleurs, il est là le vrai déni de démocratie.
Et il me semble que c’est au cœur de ce déni que se situe réellement le coupable dont on a tant besoin. Les citoyens montrent la Lune et certains s'acharnent à regarder le doigt. Des élections législatives où la séparation des pouvoirs est niée dès la racine en utilisant comme seuls arguments de campagne la nécessité de « donner une majorité confortable au président élu » et « lutter contre (insérez l’épouvantail qui vous convient le mieux) » ne suffisent pas à réenchanter les électeurs… Flûte !
La réalité c’est que les 275 voix qui ont manqué à notre fameux candidat malheureux, elles sont plus sûrement (et statistiquement) dans la poche des 51317 électeurs qui ne se sont pas déplacés ou dans les 32130 votes qui se sont portés sur les huit autres candidats. Trouver un coupable tout désigné en se planquant derrière un calcul faussement imparable, cela évite l'inconfort de se demander pourquoi on n’a pas réussi à convaincre… Aïe.
Vous reprendrez bien quelques pistes ?
Peut-être, tout simplement, parce qu’un attelage opportuniste (Ensemble) qui dénonce à grands cris un autre attelage opportuniste (Nupes) ne fait plus illusion, peut-être également que l’absence de visibilité sur les tenants et les aboutissants à venir du mandat qu’on s’apprête à donner (pour faire court l’absence de programme clair et certains grands écarts ou pirouettes idéologiques) n’est pas rassurante, peut-être encore que la stratégie de « trucidation » en règle de toutes les nuances au profit d’une binarisation du paysage (nous/les extrêmes) a trouvé ses limites, notamment dans les régions où les extrêmes ne cessent de s’implanter depuis 30 ans, peut-être que la légitimisation à géométrie variable de candidats sortis de chapeaux de plus en plus improbables a fini par alerter jusqu'aux plus convaincus, peut-être enfin que le piège de la « gourouification » (Macron, Mélenchon, Le Pen) qui a fait perdre toute substance à la politique des idées et aux élections intermédiaires depuis cinq ans est en train de se refermer… peut-être... Les hypothèses pour émettre une analyse sur les résultats de ce scrutin sont donc nombreuses, et je ne prétends pas être capable de les envisager toutes, mais elles méritent au moins une démarche intellectuelle d’honnêteté et de courage, plutôt qu'une indignation feinte et téléguidée.
On peut légitimement accuser un dissident d’avoir jeté de l’huile sur le feu. On peut.
Comme on peut continuer, comme on en a pris l’habitude, d’accuser les abstentionnistes d’être tous de gros flemmards irresponsables qui vont à la plage et ceux qui n’ont pas voté pour un « nous » de circonstances d’être d’infâmes fascistes écervelés... On peut.
Mais le réveil sera probablement cuisant. Il me semblerait en revanche assez urgent, sans vouloir vous commander, dans le camp des fameux gardiens autoproclamés de la raison et de la nuance, de se demander ce qui a allumé et entretenu le feu (avant l’huile donc…) et de songer à dérouler le tuyau pour l’éteindre… à moins de vouloir régner sur le champ de ruines calcinées de la démocratie que d'hypothétiques "autres" auraient incendiée.
Comment disait Jacques Chirac déjà ? « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs »...