J’ai longtemps voulu croire… Cernée par une enfance où l’absurde le disputait au sale, où l’indifférence avait un goût de moindre mal, où l’amour inconditionnel avait passé son tour, l’idée d’une espérance, d’un ailleurs juste, même s’il fallait en passer par la mort, et surtout la promesse d’un dieu qui aimerait tous ses enfants, m’a évidemment semblé plutôt séduisante. Me sachant mal équipée, et en bonne élève, j’ai d’abord tenté de rejoindre certains de mes camarades de classe aux cours de catéchisme du samedi matin… L’échec fut cuisant. Les enseignements, pourtant appliqués et accompagnés de petits gâteaux, de Mme Forêt n’apportèrent aucun apaisement à ma vielle âme torturée de 10 ans tout juste. Sans me décourager, au long des quelques années de chemin de croix qui suivirent, je lus tout ce qui me tombait sous la main, la bible en premier lieu, plusieurs fois, méticuleusement, en me disant qu’ainsi je finirais bien par être touchée par la grâce plutôt que par les sales pattes de mon bourreau (qui, il est intéressant de le noter, avait installé des crucifix au dessus du lit de ses enfants pour les protéger…). Mais rien n’y fit. Je ne parvenais pas à croire. Bien entendu, avec le recul, ma démarche n’était clairement pas la bonne… on n’apprend pas à croire, même en s’y attelant avec le plus grand des sérieux. C’est même le contraire. Je finis donc par admettre que je ne goûterais jamais cette douce consolation qui semblait balayer les douleurs et les fautes ou en tout cas leur fournir un sens, et un alibi. Je ne trouverais pas dans les religions la clé de l’accès à l’espérance, j’y avais même plutôt trouvé les plus efficaces raisons de ne pas croire. J’étais et resterais agnostique.
Pourquoi cette (trop longue) introduction sur mon enfance ? Mais où donc veut-elle en venir ? vous demandez-vous. J’y viens.
Nous avons assisté ces derniers mois à l’enchaînement de révélations de comportements inappropriés (aaah le doux euphémisme que voilà) envers des femmes de la part de figures politiques… Hulot, Darmanin, Abad, Peyrat, Bouhafs, Coquerel se sont retrouvés tout à tour sur la sellette, l’un chassant et banalisant l’autre. La parole se libère… comme ils disent. Les victimes, toutes les victimes, celles qui n’ont pas la « chance » d’avoir subi les assauts d’une « personnalitay » et dont, on ne va pas se mentir, par conséquent, tout le monde se contrecarre, devraient pouvoir s’en réjouir.
Et pourtant… (les plus attentifs d’entre vous auront noté une deuxième référence à la mélancolie de Charles Aznavour ici)
Une fois de plus, cette séquence de supposée libération de la parole se transforme à peine née et déjà morte en une salve de crachats supplémentaires (envolée à nouveau l’espérance…). Les remises en cause, les accusations de manœuvre politique, les procès en manière d’être une « vraie » victime qui se respecte (spoiler : le point commun de toutes les victimes, c’est qu’on les a privées en une interminable seconde des mécanismes de l’estime de soi…), les leçons sur le comment, où, à qui, il conviendrait de dire l’indicible, tous ces petits commentaires rationnels, souvent avisés, et surtout bien confortables dans leurs certitudes, les louanges et déclarations d’amitié sur tous ces « honnêtes hommes dont on essaie de détruire la vie », on en a l’habitude.
Mais subir le spectacle désolant des champions de plateaux télé de chaque bord, puis de leurs factions militantes comme un seul homme sur les réseaux sociaux, qui instrumentalisent les révélations (et donc les victimes une petite fois supplémentaire… plaisir d’offrir!) pour se livrer une bataille rangée d’indignations feintes et de contorsions morales… c’en est trop. Appliquer quoiqu’il en coûte la loi du clan, par dessus tout, en dénonçant à grands cris ce qu’on pratiquera soi-même la semaine suivante, placer la loyauté envers le gourou, ou les lieutenants libidineux qu’il s’est choisis, au dessus de tout, fustiger l’inexcusable dans le camp d’en face le lundi puis enrober ensuite l’impardonnable dans son camp le mardi, voilà un ping-pong de la morale qui ressemble bien à une salve de kalachnikov dans la tête des quelques victimes qui ne seraient pas encore à terre.
Cette politique, celle qui consiste à secouer des drapeaux réels ou virtuels sans réfléchir plus loin qu’un « on va gôgner! On va gôgner! » viril et conquérant entonné à l’unisson, celle qui apprend à défendre sans réfléchir un dieu autoproclamé ou ceux qu’il semble vouloir protéger parce qu’ils « sont des nôtres », celle qui préfère continuer le match de foot dans la cour de récré même quand une spectatrice est à terre après avoir pris une patate dans la gueule de la part d’un des petits caïds qu’on a recruté dans son équipe en espérant que son punch assurerait la victoire, s’assoit allègrement sur le respect des victimes qu’elle prône par ailleurs la main sur le cœur et l’œil humide… alors que l’on devrait pouvoir attendre des hommes et femmes qui se disent « d’état » qu’ils ne défendent pas l’indéfendable quelle que soit la couleur de son maillot. Comme l’église a longtemps choisi de protéger ses bergers plutôt que ses agneaux, nos gouvernants placent manifestement encore le respect de l’esprit d’équipe au dessus de l’esprit d’éthique.
Comme j’ai cherché des raisons de croire, je cherche désespérément un homme ou une femme d’état capable de classer les lois de sa petite chapelle politique en dessous du respect tout simple de l’humanité dans son échelle de valeurs… je cherche. Sans trouver.
En même temps, ils auraient tort de s’embêter avec si peu, dans un monde où la politique persiste à se résumer à une succession de matches qu’il faut gagner à coups de chiffres… Abad, Darmanin et Coquerel n’ont ils pas été largement réélus par le peuple souverain, comme si de rien n’était ? Chloé Morin a raison, je le crains, « on a les Politiques qu’on mérite ».